Galères
Galères en 1643
En 1662, Colbert écrit : « Sa Majesté désirant rétablir
le corps des galères et en fortifier la chiourne ( i.e. groupe de rameurs ) par
toutes sortes de moyens. Son intention est qu’on y condamne le plus grands
nombres de coupables qu’il se pourra et que l’on convertisse même la peine de
mort en celle des galères.
La peine des galères était une condamnation pénale surtout
pratiquée en France sous l'Ancien Régime et qui consistait à envoyer les
forçats comme rameurs sur les galères. D'autres nations usaient aussi de cette
pratique : les républiques de Venise et de Gênes, l'Empire d'Espagne,
l'Empire ottoman, mais de manière beaucoup moins systématique que la France.
La condamnation aux galères est à la fois une réponse face à
la déviance mais aussi une manière pour le Roi
Louis XIV de marquer sa puissance sur l'ensemble de ses sujets, y
compris le bas peuple et les opposants religieux : les huguenots au roi très
catholique.
Les galères sont un type de « peine afflictive et infâmante » à laquelle condamnaient
les juridictions pénales de l'Ancien
Régime pour certains crimes car le droit commun de la France ne
prévoyait de peines de prison que pour des causes civiles comme les dettes ou
pour s'assurer de la personne d'un accusé en attente de son jugement. Outre les
condamnations civiles ont été galériens au temps du Roi Soleil.
Avec la révocation de l'Édit
de Nantes et la guerre des Camisards qui suivit, plusieurs centaines de
protestants y furent
condamnés. S'y trouvaient aussi des prisonniers turcs et maures marins ou
soldats des navires barbaresques et
prisonniers de guerre européens des guerres menées par Louis XIV.
La plus importante flotte européenne de galères au
XVIIe siècle, était celle de l'Arsenal des galères. Le vaisseau la Grande Réale avait à bord 450 rameurs esclaves royaux (la chiourme)
et mesurait 130 mètres de long ; à ces hommes s'ajoutaient les
soldats, la maistrance qui pilotait le navire et les argousins chargés des
gardes-chiourmes (pertuisaniers) qui mataient les prisonniers. Sur cet espace
se trouvaient donc plus de 600 hommes. La flotte de l'Arsenal de Marseille en
1630, qui avait plus 20 galères,
demandait une véritable concentration de galériens, 6,000 hommes.
La mise en place de
cet Arsenal demandait non seulement une organisation militaire importante mais
aussi un système pénitentiaire de plusieurs milliers d'hommes. C'est cet Arsenal des galères qui est à
l'origine des bagnes maritimes en France.
Enfin pour faire face aux besoins de la puissance royale de
Louis XIV et à la mortalité très importante des galériens, Colbert organise la mise en place d'un véritable réseau de
recrutement à partir des prisons dans toutes les provinces de France. C'est
l'épreuve de la chaîne qui oblige les prisonniers à aller à pied enchaînés au
travers de toute la France. Victor Hugo décrit cette épreuve dans Les Misérables au travers du personnage de Jean Valjean, qui se rend ainsi
au bagne de Toulon. Jean Marteilhe, huguenot
condamné, décrit son parcours au travers de la France et sa vie de
galérien dans son livre autobiographique,
La condamnation aux galères, pour un temps de 3, 6 ou 9 ans,
jamais plus, consistait en travaux forcés qui s'effectuaient en principe sur
les galères du roi, mais à partir de la fin du XVIIe siècle dans les arsenaux de la Marine, où des
bagnes, c'est-à-dire des chantiers fermés et réservés aux personnes forcées de
travailler (les forçats), sont organisés.
Les femmes condamnées aux galères voyaient leur peine
commuée par des lettres patentes en une réclusion du même temps, soit dans une
maison religieuse, soit à l'Hôpital général de leur domicile. Ces lettres
étaient automatiquement délivrées par les services de la chancellerie, dès
qu'un lieu de réclusion était arrêté avec l'avis des familles si elles se
manifestaient, et sinon d'office.
Une circulaire ministérielle recommandait aux commandants
des arsenaux et chantiers où étaient établis des bagnes de faire en sorte que
les personnes instruites, tels que les notaires, soient affectées à des travaux
utiles en rapport avec leurs capacités et non à des travaux de force pour
lesquels ils n'étaient pas endurcis.
Une déclaration de Louis
XIV portant règlement des bagnes rappelle que les dimanches et jours de
fêtes doivent être observés, que les condamnés ne sont forcés de travailler
qu'un jour sur deux afin de contribuer à leur entretien, que pour les autres
jours, ils doivent recevoir le salaire qui a cours chez les ouvriers des
arsenaux, mais que ces sommes doivent être consignées et leur être remises,
comme pécule et contre reçu, le jour de leur libération.
La Marine recrutait ses galériens auprès des tribunaux qui
condamnaient, dans un premier temps, les criminels et, par la suite les petits
délinquants, les faux-sauniers, les contrebandiers, les déserteurs, les
mendiants, les vagabonds, les protestants, les révoltés contre les nouveaux
impôts.
Construction des
galères à Marseilles
Colbert intervenait ainsi auprès des juges :
« Le Roi m'a commandé de vous écrire ces lignes de sa
part pour vous dire que, Sa Majesté désirant rétablir le corps des galères et
en fortifier la chiourme par toutes sortes de moyens, est que vous teniez la
main à ce que votre compagnie y condamne le plus grand nombre de coupables
qu'il se pourra et que l'on convertisse même la peine de mort en celle des
galères. »
Lettre envoyée aux présidents de parlements (11 avril 1662)
Par une ordonnance signée par Louis XV le 27 septembre 1748,
une partie des personnes condamnées aux galères sont dirigées vers des bagnes.
On crée alors, dans les différents arsenaux de la Marine, le bagne de Toulon et
le bagne de Brest (le bagne de Cayenne ne sera créé qu'en 1854 par Napoléon
III).
La peine des galères subsistait pendant la Révolution, comme
le montre la loi du 22 août 1790, qui condamnait à cette peine les voleurs ou
les transporteurs à terre de munitions des vaisseaux d'une valeur supérieure à
50 francs (Bulletin des Lois).
Les Galères Royales, ayant à leur tête un Général des
galères indépendant de l'Amiral de France et servies par un corps spécial,
eurent dès l'origine leur base à Marseille ; c'est à Marseille que se
trouvèrent jusqu'au milieu du XVIIIe siècle toutes les installations du
Bagne. Quand les galères séjournaient à Toulon, les rameurs restaient en
général à leur bord. Mais en 1748, Louis
XV décréta la suppression du Corps des Galères et le rattachement de
celles-ci à la Marine Royale.
Toulon devint ainsi la base des galères qui quittèrent
définitivement Marseille, dont le Bagne fut supprimé. Toulon dut dès lors loger
les forçats. On le fit d'abord sur les galères auxquelles on adjoignit des
vaisseaux qui prirent le nom de bagnes flottants ; puis il fallut procéder
à des installations à terre. À la fin du XVIIIe siècle, on ne construisit
plus de galères mais on continuait à envoyer des forçats à Toulon. Il y en
avait environ 3,000. Ces forçats ne faisaient plus office de rameurs ; on
les employait à des travaux de force, de terrassement, de construction, dans
l’Arsenal et même en ville.
Le paquetage du
bagnard
Contrairement aux matelots qui, à l'époque, n'ont pas
d'uniforme spécifique, les forçats disposent d'une tenue réglementaire. Mais
c'est pour mieux les reconnaître.
Le
vêtement
La tenue du bagnard comprend une casaque, deux caleçons, une
vareuse, deux chemises et un bonnet de laine. Le col de la casaque et le bonnet
ont une couleur spécifique en fonction de la peine, par exemple, rouge pour les
condamnés à temps.
Les chaînes
Une chaîne pour le travail simple, dit de fatigue. Elle est
fixée à la cheville du détenu par une manille, ou manicle.
La gamelle
Comme la cuillère, elle est en bois. Il n'est pas question
que les bagnards aient fourchette et couteau. En fait, ils mangent avec leurs
doigts.
La couverture
C'est la seule pièce de tissu qui sert aux bagnards à se
protéger la nuit, lorsqu'ils sont enchaînés sur leurs tolas.
Les chaussures
et la ceinture
Les chaussures en vilain cuir sont accompagnées d'une paire
de bas. Le crochet du ceinturon sert à accrocher la chaîne.
Le matricule
Sur chaque pièce de l'habillement est inscrit le matricule
du détenu. Porté, sur un registre, ce numéro permet d'identifier le bagnard
Châtiments
corporels : de la bastonnade à la mort
Les forçats qui commettent une faute grave passent devant le
tribunal maritime spécial. La bastonnade, à l'aide d'un cordage goudronné de 65
cm de long, est infligée aux voleurs. La peine de mort sanctionne les
assassinats. Elle est rare, environ une par an.
L'habillement des bagnards, composé d'un bonnet et d'un
habit, avait une couleur différente suivant la nature et le motif de leur
condamnation. Sous l'ancien Régime, ils étaient marqués au fer rouge. On
encerclait un de leurs pieds d'un anneau muni d'un bout de chaîne permettant de
les immobiliser. Les plus "durs" étaient enchaînés deux à deux ;
le boulet au pied constituait une punition disciplinaire avec la bastonnade à
coups de corde. Ces châtiments s’adoucirent progressivement. La nourriture, qui
comportait peu de viande et une ration de vin pour les travailleurs, était
surtout à base de légumes secs, d'où le nom de gourgane qu'ils donnaient à
leurs gardes-chiourme.
L'état sanitaire n'était guère brillant, de sorte que, dès
le début, on avait dû se préoccuper de loger les malades à terre et d'aménager
un hôpital du Bagne. Celui-ci fut installé en 1777 dans les casemates du
rempart sud-est de la Darse Vauban, où des constructions supplémentaires furent
édifiées, adossées au rempart. Puis l'hôpital se transporta en 1797 dans un
immense bâtiment de 200 mètres de long, orienté Nord-Sud, construit en
1783 le long du quai Ouest de la Vieille Darse, appelé « Grand
Rang ».
Ce bâtiment avait un vaste rez-de-chaussée voûté à trois
travées ; l’hôpital occupa le 1er étage. Deux tours d'angle carrées à toit
pyramidal le terminaient au Nord et au Sud ; dans celle du Nord fut
installée la Chapelle des Forçats. Le reste du bâtiment était occupé par les
Services Administratifs. Quant aux forçats valides, on les avait logés là où se
trouvait antérieurement l’hôpital ; mais en 1814, ils furent installés
dans un bâtiment Est-Ouest de 115 mètres de long, perpendiculaire à
l’hôpital, bâti en 1783 sur le quai sud-ouest de la Vieille Darse, entre la
Chaîne Vieille de la passe et le Grand Rang.
Près de là se trouvait amarré un navire dit
"Amiral" qui gardait la passe et tirait le coup de canon du matin et
du soir. La Révolution est marquée dans un premier temps par la libération des
victimes de l'arbitraire de l'Ancien régime avec le code pénal de 1791. À
partir du Directoire puis de l'Empire, on assiste au retour à une politique de
répression. On passe de 4 000 bagnards en 1795 à 10 000 en 1812. La
condamnation aux galères est transformée en peine des fers par le code pénal de
1804. Cette condamnation ne change pas le fonctionnement des bagnes dans les
arsenaux. Il faudra attendre la politique de
transportation, pour que le système pénitentiaire français
change en 1850.
La Grande-Bretagne pratiquait la transportation des
condamnés criminels au bagne dans les colonies britanniques: en Amérique, à
partir les années 1610 jusqu'à la révolution américaine dans les années 1770,
puis dans les colonies pénitentiaires en Australie entre 1788 et 1868.
Notamment à Botany Bay qui fut la principale colonie pénitentiaire d'Australie.
Comme en France, la pratique des pontons-prisons dans les
bagnes a été pratiquée jusqu'à la mise en place d'un système pénitentiaire
moderne inspiré du système de Jeremy Bentham
Galères de Marseilles
Peu de temps avant que les galères
soient transférées de Marseille à Toulon, un hôpital des forçats est mis en
service.
Cet
hôpital est créé en 1646 à l’initiative d’un gentilhomme provençal, Gaspard de
Simiane, sieur de la Coste, chevalier de Malte, célèbre par sa piété et sa
charité, et de l’évêque de Marseille, Jean-Baptiste Gault. Ils s’adressent à la
duchesse d’Aiguillon, nièce du cardinal de Richelieu, qui financera
l’entreprise. Le roi offre le terrain occupé par quatre tercenaux de l’époque
de Charles VIII et s’engage, par lettres patentes de juillet 1646, à couvrir
les frais de fonctionnement de cet hôpital royal des forçats.
Cet
hôpital se trouvait à l’angle sud-est du port, sur le quai de Rive-Neuve, à
proximité de l’actuel cours Jean-Ballard. Il disposait de 175 lits à deux
places. Son personnel comprenait un médecin, un chirurgien, six garçons
apothicaires et cinq infirmiers. La direction de l’hôpital est confiée à quatre
administrateurs. Les premiers furent : Henri d’Armand, trésorier de
France, Pierre de Bausset, seigneur de Roquefort, Gaspard de Simiane de la
Coste, chevalier de Malte, et Charles Moulas, écuyer. Chaque année, deux administrateurs
sont renouvelés. Cet hôpital sera par la suite englobé dans l’arsenal créé sous
Colbert.
L’arsenal de Louis XIV
Le roi Louis XIV et Colbert par Charles Le Brun, 1667.
Quand Louis XIV vient à Marseille en 1662, le port n’abrite
plus de flotte de guerre. En effet, les galères végètent à Toulon, où il n'en
reste plus que six capables de prendre la mer et 1 655 hommes de chiourme.
Le Roi veut une flotte surpassant celle de l’Espagne et des puissances
italiennes. Or, la présence d’une telle flotte exige des infrastructures
suffisantes pour assurer son accueil, son entretien et son approvisionnement.
Le 10 avril 1665,
Nicolas Arnoul est nommé « intendant de justice, police et finances des
fortifications de Provence et de Piémont et des galères de France ». Il
est donc lieutenant général, commandant militaire sous l’autorité de l’Amiral.
Il dirige l’administration, l’intendance et le personnel correspondant (les
« officiers de plume »).
Le
24 juillet 1665, un ordre de Louis XIV est expédié aux échevins de
Marseille dans lequel le roi exprime son désir d’armer les galères et de
construire un arsenal avec les moyens nécessaires, par la mise à disposition
dans le Port d’une place « propre à mettre bois, fers, antennes, mâts,
canons et autres choses nécessaires aux armements et constructions et des
galères ».
Trois phases seront nécessaires à l’édification de ce
« parc des Galères ».
Première phase (1665-1669)
À peine arrivé à Marseille, Nicolas Arnoul va tout faire
très vite. Il fait revenir les Galères de Toulon. Il s’occupe tout d’abord du
choix du terrain pour l’implantation de l’arsenal. Contrairement aux ordres de
Colbert, qui souhaitait qu’un terrain entièrement inutilisé soit trouvé, il
annexe le terrain du plan Fourmiguier (actuellement du quai des Belges au
bassin de carénage), où étaient construits les bateaux de commerce de la ville
de Marseille, et met les échevins devant le fait accompli. Le chantier
municipal est transféré dans le jardin des Bernardines.
La construction du nouvel arsenal occupe Nicolas Arnoul
pendant quatre ans (1665-1669). Les travaux sont réalisés sous la direction de
Gaspard Puget, frère de Pierre Puget, qui travaille à cette époque à Gênes.
Colbert vient à Marseille en juin 1669, alors que les
travaux viennent de se terminer.
Deuxième phase (1673-1679)
Dès la mise en service des premiers ouvrages, Arnoul
s’aperçoit de l’insuffisance de cette réalisation et envisage d’étendre
l’arsenal au-delà de l’angle sud-est du port, le long du quai de Rive-Neuve en
expropriant le couvent des Capucines. Arnoul se trouva alors dans un conflit
aigu avec les échevins, soutenus par le duc de Mercœur.
L’acquisition du couvent des Capucines qui jouxte l’hôpital
des forçats est réalisée en 1673, grâce à l’intervention de l’évêque de
Marseille, Toussaint Forbin de Janson. Les nouveaux travaux durèrent jusqu’en
1679, avec comme entrepreneur maçon un certain Pierre Puget, qui a été souvent
confondu avec son célèbre cousin, le sculpteur du même nom, Pierre Puget.
Troisième phase (1685-1690)
Après une nouvelle série
d’expropriation, l’arsenal des galères qui s’étend alors jusqu’à la rue du
Fort-Notre-Dame, est achevé. Les Marseillais perdent à nouveau leur chantier de
construction navale qui doit être transféré plus à l’ouest sur les terrains de la
Miséricorde.
Un projet est dressé par
l’Ingénieur en chef des Fortifications Antoine Niquet et accepté en 1685 par le
marquis de Seignelay, fils de Colbert. Les démolitions sont effectuées la même
année. Les constructions qui sont confiées à André Boyer, architecte des
Bâtiments du Roi, se poursuivent de 1686 à 1690. La partie construite en
1665-1669 prend alors le nom de « vieux parc ».
L’ensemble de l’Arsenal a alors la forme d’un L majuscule,
la barre horizontale représentant le quai des Belges et la barre verticale le
quai de Rive-Neuve. Il englobe les terrains limités aujourd’hui par l’église
des Augustins, le palais de la Bourse, la Place du général de Gaulle, les rues
Paradis, Sainte et du Fort Notre-Dame.
L’entrée de l’ancien Arsenal se
situe quai des Belges et a une forme de fer à cheval. En face de cette porte
d’entrée s’élève un important pavillon surmonté d’une horloge et placé dans
l’axe de la rue Pavillon à laquelle il a donné son nom.
Dans cet ancien arsenal se
trouvent également deux formes pour la construction des galères ainsi que des
magasins où sont entreposés les rames, cordages et agrès des galères. Au nord
se situe l’hôpital des galériens, une cour pour l’entreposage des bois de
construction, le logement de l’intendant avec le jardin du roi, qui contient
plantes rares et cages d'animaux exotiques. Cette résidence de l'intendant,
somptueuse, est appelée la Maison du Roi. Entre ce dernier et la cour aux bois
de construction se trouve un bâtiment avec des magasins au rez-de-chaussée et
au premier étage la fameuse salle d’armes. Celle-ci, où sont entreposés
10 000 mousquets et autant de sabres, passait pour la plus belle d’Europe.
Le nouvel arsenal occupe le sud de
l’ancien arsenal et le quai de rive neuve. La porte d’entrée se situe à l’est
en bordure de l’actuel rue Paradis. Au-dessus de cette porte d’entrée,
Jean-Baptiste Grosson signale que dans un cartouche se lisait l’orgueilleuse
louange du roi soleil : « Le grand Louis aux flottes invincibles a
bâti cette citadelle ; d’ici il dicte ses lois à la mer domptée »).
Dans ce nouvel arsenal se trouvent également: deux formes pour la construction
des galères, mais plus grandes que celles de l’ancien arsenal.
Une darse en forme de L reliée au vieux port qui deviendra,
après la destruction de l’ensemble de l’arsenal, le canal de la douane, et qui
occupe la Place aux Huiles et le cours d’Estienne d’Orves actuels. Disposées
parallèlement à la rue Sainte, deux immenses bâtisses mesurant 450 mètres de
long séparées par une rue, abritent l’une, la plus proche du port, les ateliers
et le bagne, l’autre, la plus au sud, la corderie.
Après le déclin de la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle, il y a en 1675, peu de temps après la mort de l’intendant des galères Nicolas Arnoul, 25 galères à Marseille. Ce nombre augmente progressivement pour atteindre 30 en 1680 puis 40 galères en 1690, qui marque l’apogée sous le règne de Louis XIV. Si l'on ajoute aux unités stationnées au Levant, les 15 galères de l'Atlantique, la France possède alors la plus puissante flotte d'Europe. En 1688, Louis XIV fait graver une médaille qui porte la devise « Assertum maris mediterranei imperium » (la maitrise de la mer Méditerranée est assurée).
Même si les Galères n'ont plus de
rôle réel dans la marine de guerre du temps, elles sont toujours une grande
marque de prestige. En 1673, Mme de Sévigné décrit à sa fille la comtesse de
Grignan, « La Réale, faisant l'exercice, et les banderoles et les coups de
canon... ». En 1680, cette dernière, épouse de François Adhémar de Monteil,
comte de Grignan, lieutenant général du roi en Provence, est, comme le narre le
Mercure Galant allée à Marseille, « est allée au château d'If sur la Réale
qu'avait armé Vivonne, général des Galères... elle fut saluée par vingt-six
galères...».
Le
déclin qui commence au début du XVIIIe siècle, sera inexorable. De 1719 à
1738, on compte une quinzaine de galères dont seulement 6 à 8 sont
opérationnelles. La dernière campagne des galères a lieu du 15 juin au 7 août
1747, sous le commandement du général des galères en personne Jean Philippe
d'Orléans, bâtard légitimé du Régent. Le général décèdera l’année suivante à
l’âge de 46 ans et deux mois après seulement, Louis XV signera l’ordonnance du
27 novembre 1748, qui réunissait tout le personnel des galères à la
marine royale.
En 1779, il ne restait plus que
deux galères à Marseille et quatre à Toulon. Des deux marseillaises, l’une,
l’Écarlate, est vendue pour la démolition, l’autre, la Ferme, est réparée et
envoyée à Toulon. Celle-ci, qui sera la dernière galère existante, est démolie
en 1814.
Le fonctionnement de l’arsenal
La chiourme
Les galères, héritières directes des trirèmes romaines,
embarcations militaires typiquement méditerranéennes, utilisaient comme
propulsion, la « chiourme » composée de quelque 260 rameurs.
des volontaires qui, poussés par la misère, s’engagent à
servir sur les galères. Le nombre de ces volontaires ou
« bénévoglies » est très faible et diminue constamment avec le temps.
Des esclaves originaires d’Afrique du Nord, de Grèce ou
d’Asie mineure qui sont achetés par des agents sur les marchés, et tous appelés
« les turcs ». Cette catégorie représente 25 % des effectifs
vers le milieu du XVIIe siècle mais baisse régulièrement pour n’atteindre
que 10 % vers 1700.
L’essentiel des effectifs est
fourni par les condamnés de droit commun suite de la création en 1564 par
Charles IX de la « peine des galères ». Regroupés dans les prisons
des grandes villes, ces condamnés sont acheminés par des convois ou
« chaînes » jusqu’à Marseille. Bien que les causes de condamnation
soient variables suivant les périodes, on peut retenir en simplifiant les
chiffres suivants : déserteurs (39 %), contrebandiers du sel ou faux-sauniers
(10 %), criminels (39 %), protestants (12 %).
Gestion de l’arsenal
Vue arrière d'une galère de l'Ordre de Saint-Jean de
Jérusalem en 1765, peut-être dans le port de Marseille. (Marine au soleil
couchant (détail), par Charles-François Grenier de Lacroix)
Vers 1700, on peut estimer à
20 000 le nombre de personnes présentes dans l’arsenal dont 12 000
galériens, 5 000 matelots et soldats, 1 200 officiers ou
sous-officiers, dont 200 officiers d’épée et 200 officiers de plume. On y
retrouve aussi 300 maîtres ouvriers et compagnons engagés à l’année auxquels
s’ajoutent irrégulièrement 2 000 à 2 500 ouvriers et manœuvres
saisonniers employés pour la construction et l’entretien des galères qui
exigent la présence de nombreux outillages et un important stockage de bois.
Une très importante population d'origine extérieure à la ville (près du quart
de la population de la ville), et toute masculine, réside à l'Arsenal.
Les galériens sont
nombreux à circuler dans la ville, surtout quand, entre octobre et mai, les
galères sont désarmées. Beaucoup trouvent un emploi dans la ville (forgerons,
menuisiers, serruriers...). Les patrons y trouvent une main-d'œuvre abondante
et bon marché. Jusqu'à 4 000 hommes quittent l'Arsenal le matin, en
principe enchainés sous la surveillance d'un pertuisanier, pour y revenir le
soir.
Il en résulte un va-et-vient
permanent des personnes et des marchandises entre l’arsenal et la ville, ce qui
nécessite une surveillance continue et une gestion rigoureuse pour éviter les
évasions et les vols de matériel. Une comptabilité précise est dressée avec de
nombreux états, registres où sont notées les entrées et sorties. La gestion de
l’intendant des galères est vérifiée par le secrétariat d’État à la Marine et
les sanctions peuvent aller jusqu’au limogeage, ce qui fut le cas pour Brodart.
L'arsenal et la Ville
Avec les milliers de résidents à l'Arsenal, civils et
militaires, une vie intense s'y développe. Jean-Mathieu de Chazelles
(1657-1710), professeur d'hydrographie à l'Arsenal des Galères, crée le premier
Observatoire de Marseille, en 1685, avant que les jésuites ne débutent en 1702
des observations dans leur nouvel observatoire, subventionné par la Marine,
installé dans leur Collège de Sainte-Croix, rue Montée-des-Accoules.
L’Arsenal joue un rôle important dans la vie de la Cité.
Ainsi, dans la foulée du décret de 1674, signé par le roi Louis XIV et
promulguant un règlement de Police générale des arsenaux de la Marine,
l'ordonnance Royale du 14 août 1719 confie à un préposé de l'arsenal des
Galères de Marseille la garde de quatre pompes à bras dites pompes « à la
hollandaise », lointaine origine du corps des marins-pompiers.
Bien à l’abri de ses murailles et isolé de la ville,
l’arsenal des galères ne fut pas ou peu touché par l’épidémie de peste qui
ravagea Marseille en 1720. Les seuls forçats qui moururent de la peste furent
les fameux « corbeaux » ou fossoyeurs qui furent chargés, à la
demande des échevins, d’évacuer les cadavres dans les fosses communes[39]. Il y
eut tout d’abord 23 galériens qui furent employés à cette corvée, avec promesse
de liberté s’ils échappaient à la peste, ce qui ne fut pas le cas puisqu’ils
moururent tous. Ils furent remplacés par plusieurs contingents successifs qui
furent placés sous une surveillance de soldats. En effet, les forçats pillèrent
les logis abandonnés, achevèrent les moribonds ou les jetèrent dans les
chariots avec les morts, ou s’évadèrent en s’habillant avec les vêtements des
morts. On estime que 335 forçats moururent à la tâche et que 171 échappèrent à
la mort et obtinrent la liberté promise.
Après la réunion du corps des
galères à celui des vaisseaux par l’ordonnance du 27 septembre 1748, le
Secrétaire d'État à la Marine, Antoine Louis Rouillé, adresse le
2 août 1749 à l’intendant de la Tour un mémoire lui demandant de
ramener toutes les galères à Toulon et de justifier par un rapport le maintien
de toute galère à Marseille.
L’intendant
consulta les négociants qui se prononcèrent en faveur du maintien des galères à
Marseille car elles étaient selon eux très utiles au commerce. La Tour envoya
au Ministre le 5 janvier 1750 un mémoire conforme au souhait des
Marseillais qui n’empêcha pas le transfert des galères à Toulon. Les négociants
regrettèrent cette décision. Une telle attitude étonne car cela ne pouvait que
retarder la suppression de l’encombrant arsenal. Il n’est pas moins surprenant
que les cahiers de doléances des négociants en 1789 ne fassent pas allusion à
ce problème vital. En effet, la surcharge du port de Marseille due à
l’augmentation du trafic commercial se faisant d’autant plus sentir que toute
une partie des quais était occupée par l’arsenal et donc soustraite à
l’activité commerciale. Ainsi, sur une longueur de 1 900 mètres linéaires de
quai, 500 mètres échappaient au négoce. De plus, la présence de l’Arsenal
interdisait la liaison entre les deux rives ouvertes au négoce, la rive nord
(quai du port actuel) et une partie de la rive sud (Quai de rive neuve actuel)
qui ne pouvait être réalisée que par barque.
La vente de l’Arsenal
Au début
de l'année 1781, Pierre-Victor Malouet, ordonnateur de la marine à Toulon, est
chargé de proposer à la ville de Marseille l’aliénation de l’Arsenal. Dans sa
séance du 11 février 1781, le conseil municipal accepte le principe
et désigne une commission placée sous la présidence du maire Joachim-Elzéard de
Gantel-Guitton, seigneur de Mazargues pour établir un rapport sur les
conditions de cette vente. Le conseil municipal ayant accepté cette
rétrocession, l’intendant de Provence, des Gallois de la Tour, agissant au nom
du roi, vendit le 3 septembre 1781, les terrains et les bâtiments de
l’arsenal à la ville de Marseille, à charge pour cette dernière de construire
un nouveau quartier sur les terrains rendus disponibles. La nature des travaux
à réaliser fut approuvée par le roi le 12 novembre 1782. Parmi les
différentes obligations, la ville devait faire réaliser un canal pour prolonger
la darse existante et faire ainsi une deuxième liaison avec le port. Le canal
aura alors la forme d’un U et s’appellera le canal de la douane.
Charles Thiers, secrétaire
archiviste de la ville de Marseille et grand-père d’Adolphe Thiers, fait
connaître son avis sur l’aménagement des surfaces rendues disponibles dans un
mémoire intitulé « Avis d’un citoyen pour l’emploi du terrain de
l’Arsenal ». Il fait preuve, dans ce texte, d’une conception urbanistique
tout à fait remarquable pour l’époque. Il préconise la réalisation d’une grande
place publique et de rues larges. Malheureusement, les échevins ne suivirent
ces recommandations qu’avec prudence et ne retinrent qu’une largeur de 10
mètres pour les rues ordinaires.
La
ville, ne voulant pas se charger de l'aménagement des terrains, décide de les
rétrocéder ; deux compagnies se portent candidates : l’une est fondée
par Mathieu, procureur de la sénéchaussée de Marseille, associé au marquis
Jean-Baptiste de Rapalli, l’autre par Rebuffel, ancien fermier des boucheries
de Marseille. Dans sa séance du 3 juin 1784, le conseil municipal
vend les terrains à la première compagnie qui prend le nom de Compagnie de
l’Arsenal.
La Capitainerie
La libération des terrains permettra la prolongation de
différentes rues jusqu’au port. C’est notamment le cas de la Canebière dont la
perspective était arrêtée par les bâtiments de l’Arsenal et qui offrira une
magnifique vue sur l’ensemble du port. Les rues Pavillon et Vacon seront
prolongées et prendront respectivement les noms de Suffren et Pythéas.
Au sud-est des terrains libérés, une nouvelle place est
aménagée, actuelle place Ernest Reyer, en bordure de laquelle est construit le
grand théâtre qui après son incendie en 1919 deviendra l’opéra municipal. La
rue Beauvau est également ouverte.
Dans la partie sud, la compagnie
de l’Arsenal modifia les plans initiaux en ne réalisant pas une place
octogonale mais une simple place carrée, l’actuelle place Thiars qui se
trouvait au centre d’un îlot entouré par le canal de la douane. De sérieuses
difficultés s’élevèrent pour établir des liaisons entre ce nouveau quartier qui
prit le nom d’îlot Thiars, et les rues Sainte et du Fort Notre-Dame. En effet,
lors de l’agrandissement de l’Arsenal, il avait fallu procéder à l’enlèvement
de volumineux déblais pour avoir un Arsenal de plain-pied. Pour raccorder cet
îlot Thiars aux rues Sainte et du Fort Notre-Dame, le conseil municipal aurait
souhaité une jonction par des rampes d’accès et non par des escaliers. L’arrêt
du Conseil du roi du 20 février 1786 ordonna la construction des
escaliers qui se trouvent actuellement sur la rue Fortia et la rue de la Paix
pour la liaison avec la rue Sainte et sur la rue Monnier pour la liaison avec
la rue du fort Notre-Dame.
La démolition des derniers bâtiments de l’Arsenal s’effectue
en 1787. En juin 1789, au déclenchement de la Révolution, il ne restait plus
que le pavage des rues de l’îlot Thiars à réaliser.
Au début du XXe siècle, le
canal de la douane présentait de nombreux inconvénients : mauvaises odeurs
et difficultés de liaison entre les deux rives. Le maire de Marseille, Siméon
Flaissières fit voter le 14 mai 1926 une délibération sollicitant de
l’État un déclassement du canal pour permettre son comblement. Ce déclassement
ayant été obtenu, le canal de l’Arsenal fut comblé avec notamment les déblais
des destructions des immeubles situés derrière la Bourse et les voies nouvelles
créées (cours Jean-Ballard, cours d’Estienne d’Orves et place aux huiles)
furent pavées début mars 1929.
Les seuls vestiges de l’Arsenal qui restent visibles sont un
bâtiment situé sur le cours d’Estienne d’Orves, dénommé « la
capitainerie », qui fait l'objet d'une inscription au titre des monuments
historiques depuis le 4 août 1978 ainsi que, officiellement, la Mosquée de
l'Arsenal, ou Mosquée des Galériens Turcs à Marseille, transférée dans la zone
sud de la ville, aujourd'hui au 584 avenue du Prado, inscrite en tant que tel
au titre des monuments historiques depuis le 15 juillet 1965, des recherches
effectuées depuis ont remis en doute l'origine supposée de cet édifice (en fait
surement un simple kiosque au style mauresque) aujourd'hui transformé en
chapelle.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Arsenal_des_gal%C3%A8res
Aucun commentaire:
Publier un commentaire