mardi 24 février 2015

École de rang au Québec de 1890 à aujourd'hui

Petites histoires des écoles au Québec


Les écoles de rang


Au début de la Nouvelle-France, Marguerite Bourgeoys, ses compagnes et le curé de paroisse, dispensaient les rudiments de l'instruction et de l'éducation aux fils d'habitants.
École de rangs au Québec


C'est après l'adoption en 1829 de l'Acte pour l'encouragement de l'éducation populaire que les écoles de rang surgissent ici et là en milieu rural. Les habitants convertissent certaines maisons en école, à un endroit qui peut favoriser une trentaine d'enfants d'âge scolaire.


Pendant plus de 150 ans, les écoles de rang, de la première à la septième année, ont permis aux enfants de la campagne d'obtenir les connaissances nécessaires en français, en arithmétique, en histoire et géographie, sans oublier la religion, la bienséance, le dessin et le chant.


D'apparence très modeste, l'école de rang était généralement construite en bois, éclairée de plusieurs fenêtres. Un hangar à bois, un tambour qui sert de vestiaire, des latrines sont attenants à l'école. Sur le faîte de la toiture, un clocheton lui donne un cachet spécial. La cloche, par ses tintements, annonce le commencement des cours. La salle de classe se trouvait au rez-de-chaussée. L'étage supérieur était réservé à l'institutrice et comprenait généralement deux pièces: la cuisine et la chambre à coucher.


Un long tableau noir couvrait une partie du mur en avant de la classe au pied duquel étaient installés, sur une tribune, le bureau et la chaise de l'institutrice. Trois rangées de quatre pupitres à deux places étaient fixées au plancher, à partir du milieu jusqu'au fond de la classe. Le local était muni d'un poêle en fonte à deux ponts qui réchauffaient le local durant l'hiver.


L'âme de l'école de rang était sans contredit l'institutrice. Les parents lui donnaient toute leur confiance, car, après le curé, le maire et les commissaires d'école, l'institutrice était la personne la plus respectée de la paroisse.


Honoré Mercier et l’éducation 1840-1894
Honoré Mercier se fait l’instigateur d’une éducation à l’avantage des masses axées sur l’enseignement primaire et pratique, soit une instruction qui prépare à l’industrie et au commerce. L’instruction devient la gardienne d’un gouvernement démocratique. Pour lui, «s’instruire c’est s’enrichir».
L’instruction permet à chaque citoyen de profiter de la prospérité nationale. C’est le seul moyen de sortir les Canadiens français de leur situation d’infériorité socio-économique. Mercier prend donc le parti des non-instruits étant lui-même issu d’une famille de cultivateurs. Il croit à l’instruction obligatoire, ce qui ne fait pas l’affaire du clergé qui revendique le contrôle de l’éducation.


Il déplore les mauvaises conditions de travail des enseignants. À l’époque, ces derniers sont souvent payés de 50$ à 60$ par année, pendant qu’aux États-Unis leur salaire est souvent supérieur à 1000$. Il favorise nettement les enseignants laïques pour l’école primaire. Mercier doit composer avec le Conseil de l’instruction publique formé, depuis 1875, de tous les évêques du Québec pour une moitié et de laïcs pour l’autre moitié.
Religieuse
Cela laisse l’emprise du clergé sur l’ensemble du système d’éducation publique. Il favorise également l’école du soir pour permettre à un plus grand nombre possible d’analphabètes d’apprendre les rudiments de l’écriture, de lecture et de calcul. Il reçoit pour ce projet l’appui de l’Église. Mercier comprend qu’à cause de ses moyens financiers limités, l’État ne peut exclure le clergé de ses entreprises sociales.
Honoré Mercier est un homme d’avant-garde. Il considère que le Québec constitue une nation, car les Québécois possèdent une religion, une langue, un territoire et un État. Il désire établir des relations avec l’extérieur. Il croit fermement que les investissements publics vont susciter des financements privés, ce qui va favoriser le développement des villes et des campagnes. Il a la conception d’un État moderne qui joue un rôle important pour la collectivité.
Il croit que l’État doit exercer une forme de contrôle sur les différentes composantes des activités économiques et sociales. Il favorise une fonction publique forte et compétente. Il considère que le système d’enseignement doit être axé davantage sur l’apprentissage des métiers de l’industrie. L’idéologie qu’il propose est différente de celle proposée par l’Église, celle-ci étant davantage basée sur la tradition. Il propose un État provincial qui devient la plate-forme de la nationalité. Il pense finalement que le droit du Québec au titre de nation ne pourra se réaliser qu’en modifiant le pacte confédératif.
École de rang 1950
Il est donc le représentant d’une idéologie libérale et nationaliste qui veut renforcer le rôle de l’État. Cependant, cette idéologie est en contradiction avec les groupes dominants de la société québécoise que sont le clergé et les grands pouvoirs économiques anglophones.


École dans les années 1950
  1. L’école dans les années 50 selon Marcel Tessier
La récréation est terminée. Dès le lendemain de la fête du Travail, tous les enfants de la paroisse marchent vers leur école respective. En ce temps-là, les écoles de quartier pleuvaient. À l’ombre de chaque église se dressaient l’école des garçons et l’école des filles, et les communautés religieuses dirigeaient d’une «main de fer» ces institutions du Québec, répondant aux directives du Département de l’instruction publique.
Que de souvenirs garde chacun de nous de sa vieille école, comme sans doute ces élèves du primaire photographiés au début des années soixante.
La rentrée
La veille, ma mère a sorti mon pantalon le plus propre ainsi que ma plus belle chemise et mon père a ciré mes souliers. Pour mes sœurs, c’est plus élaboré: tunique bleu marine lavée et repassée, blouse blanche, cheveux à friser, etc. Après avoir assisté à la messe de 6 h à l’église, située tout près, nous avalons nerveusement notre petit déjeuner, nous endossons notre sac d’école qui contient les instruments élémentaires dans un petit coffre de bois : crayons, petites plumes, gomme à effacer, règle… et nous prenons la rue.
En ces temps bénis, pas d’autobus jaunes. Une marche de santé de 10 minutes tout au plus et nous sommes rendus. Dans la salle de récréation, les élèves se retrouvent pêle-mêle, formant des petits groupes. Les plus vieux se connaissent et savent à quoi s’attendre. Les plus jeunes, timides, certains retenant des larmes, attendent qu’on leur dise où se diriger. Le frère directeur arrive sur scène, sévère, la voix haute perchée, il exige un silence parfait. Après un bref message, les frères titulaires s’approchent et, devant eux, les élèves s’alignent selon les classes : 7e, 6e, 5e, …
En classe
Chaque religieux titulaire prenait soin de son local et le décorait selon ses goûts. Il était le maître des lieux. Dans ma classe, une devise est écrite à gauche du tableau : D +S (Dieu seul) suivie d’une pensée religieuse différente à chaque jour de l’année. La journée commence par une prière et l’étude détaillée du «petit catéchisme» à apprendre par cœur, commentée et expliquée par le «frère» suivie d’une lecture de «l’Histoire Sainte». Et qui ne se souvient pas des fameuses dictées de français très populaires à l’époque et qui, chaque jour, faisaient grimacer les moins doués. 10 h 15. La cloche sonne pour la récréation à l’extérieur pour tout le monde ou dans la grande salle les jours de pluie.


De retour en classe, assis à notre bureau rivé au sol et dont le couvercle était percé d’un trou pour recevoir l’encrier, les bras croisés, nous attendons la suite: lecture orale, rédaction de textes,… L’après-midi, c’était toujours l’arithmétique: problèmes, calcul mental, calcul écrit et, pour terminer cette journée chargée, vers 15 h 30, on avait droit à une leçon d’histoire du Canada, mettant en vedette les exploits des Cartier, Champlain, Bourgeoys, Mance et, bien sûr, les méchants.  
La strappe


La strappe: quel moment horrible! C’était douloureux d’entendre ces bruits, ces pleurs et surtout de sentir la peur qui s’accrochait à ceux qui en étaient témoins à partir de la page 10 Amérindiens. Le vendredi après-midi, c’était l’heure du dessin, moment exaltant pour les plus doués, mais exaspérant pour les «sans-dessin». La semaine se terminait par le cours de bienséance et le lavage des pupitres.

L’appartenance


Notre école nous appartenait, c’était notre deuxième chez-nous. Elle représentait la seule préoccupation des religieux et des religieuses qui se donnaient corps et âme. Aller à l’école, c’était aussi choisir une activité. Les religieuses invitaient les jeunes filles à prendre des leçons de piano, de tricot en dehors des heures de classe.



Chez les garçons, il y avait deux choix importants: enfant de chœur ou membre de la chorale. Bien sûr, les premiers prenaient part aux nombreux offices religieux, habillés d’une soutane noire ou rouge selon la liturgie et les autres pratiquaient tous les midis, au local de musique, les partitions nécessaires aux célébrations.
La discipline, la politesse


Discipline, ce mot aujourd’hui souvent condamné, régnait à l’école. La politesse était de mise, jamais un «frère» et une «sœur» n’auraient supporté d’être tutoyés. Il y avait une grande distance entre le maître et l’élève. D’ailleurs, même en classe, le bureau du maître était installé sur une tribune, signe d’autorité. Les devoirs et les leçons étaient de rigueur. Chaque jour, on devait écrire dans un petit carnet les leçons à apprendre et le faire signer par nos parents.


Chaque mois, nous recevions un bulletin et les notes de chaque matière étaient colligées. Un espace y était réservé pour le comportement. Malheur à nous si, en apportant notre bulletin à faire signer, une «croix» s’y trouvait. Après nous avoir questionnés et sermonnés, nos parents prenaient rendez-vous avec le frère titulaire pour en connaître la raison. La honte nous envahissait totalement…
Le clergé


Durant les années 50, le clergé prenait toute la place dans l’éducation au Québec. L’école de paroisse située près de l’église se confondait avec elle. Le curé en était le grand manitou. Ses visites à l’école étaient tout un spectacle! Il faisait le tour des classes. Reçu comme un roi, il questionnait les élèves, leur faisait sortir leur chapelet, objet par excellence de leur pratique religieuse, leur distribuait des images saintes et ne manquait pas de les inviter à respecter les commandements de Dieu et de l’Église.


Punitions et récompenses

Vous vous souvenez sûrement de l’importance de la belle écriture. Dès les premières années d’école, les enfants pratiquaient la calligraphie. On insistait beaucoup pour que les mots suivent la ligne horizontale et on devait utiliser un transparent placé sous la page comme guide. Le lendemain de ce devoir difficile, on récompensait le travail bien fait par un collant représentant une étoile ou un petit ange apposé dans le cahier. Dans ce monde de jovialité, de récompenses et de religion, il y avait aussi des moments moins conviviaux…
Religieux 1950


En effet, des punitions corporelles, hélas, existaient surtout chez les garçons. Le directeur avait le pouvoir de donner la «strappe» à un élève indiscipliné. Quel moment horrible. L’élève pris en défaut sortait de la classe et le bon «frère», armé de son instrument, administrait des coups puissants sur les mains du coupable. C’était douloureux d’entendre ces bruits, ces pleurs et surtout de sentir la peur qui s’accrochait à ceux qui en étaient témoins.


Malheureusement, c’était la norme acceptée par la société d’autrefois. D’autres punitions étaient aussi administrées. Pendant la dictée du matin, parfois, le «frère», se promenant dans les rangées, distribuait des coups de règle aux malheureux qui faisait des fautes. Les copies et le bonnet d’âne affublaient souvent les élèves moins intéressés.


Cette grande famille élargie vivait ensemble durant sept ou neuf années, avant que les finissants du temps s’orientent vers des études supérieures ou s’éparpillent un peu partout dans le monde du travail. Cette société tissée serrée a sûrement formé des femmes et des hommes remplis de bonnes intentions, mais aussi des citoyens frileux…


La nouvelle école au Québec
Quelque 4000 écoles de rang coloraient toujours le paysage québécois dans les années 1940.
Quelque 4000 écoles de rang coloraient toujours le paysage québécois dans les années 1940.<br />

«Mains comme ceci», lance mère Maria de Luz à son groupe d'élèves en plaçant ses paumes l'une contre l'autre, en prélude à la prière. Dociles, les petites filles de six ans s'exécutent, puis lèvent les yeux vers l'icône de la Vierge Marie, placée sur un mur à l'arrière de la classe.

Pas un bruit. Mère Maria de Luz brise le silence. «C'est la leçon de catéchisme. Bon Jésus, bénissez-nous. Marie ma Bonne Mère, aidez-nous à bien comprendre.» Dans ce document d'archives conservé par Radio-Canada, la leçon porte sur «la toute-puissance de Dieu». Les fillettes répondent «Oui, mère», ou «Non, mère» à l'unisson à chacune des questions de leur institutrice.

                                                     Début du XXe siècle
L'école québécoise est sous domination religieuse. Quarante pour cent du personnel enseignant est religieux. Le catéchisme compose une large part de l'enseignement prodigué aux enfants, aux côtés de la lecture, l'écriture et l'arithmétique.

Les Filles de Caleb d'Arlette Cousture ont marqué l'imaginaire québécois; certains peinent à imaginer qu'on ait pu marcher plusieurs kilomètres dans le blizzard pour aller à l'école de rang, chauffée par la maîtresse! À cette époque, petits et grands sont parfois divisés en deux groupes, à qui l'institutrice enseigne à tour de rôle. Les malcommodes goûtaient à la «strappe» sur les doigts. C'était le temps où l'autorité, un concept aujourd'hui un peu délavé, avait toujours résonance.

En 1911, le vicaire apostolique du golfe Saint-Laurent (la Côte-Nord), Gustave Évêque, écrit au surintendant de l'Instruction publique afin de décrire l'état des écoles de son district. Sur «700 milles de littoral laurentien», il compte 17 écoles: «Six bonnes, quatre passables, sept misérables», écrit-il, déplorant l'abandon dans lequel on laisse certains villages, complètement coupés du reste du monde.

«On tient à avoir une école, mais les parents ne s'attachent pas assez à suivre leurs enfants, à les faire travailler à la maison, à se rendre compte de leurs progrès, à s'assurer s'ils sont exacts à fréquenter la classe», écrit M. Évêque. Il déplore en outre la faible rétribution des institutrices — la majorité reçoit 100 $ par année, mais cinq sont à 30 $, et logées chez l'habitant: «Si les salaires étaient plus élevés, le personnel de l'enseignement se renouvellerait moins souvent et les progrès intellectuels seraient à coup sûr plus satisfaisants.»

Dans leur Brève histoire des institutrices au Québec de la Nouvelle-France à nos jours (Boréal, 2004), les historiennes Andrée Dufour et Micheline Dumont rappellent la précarité dans laquelle travaillaient ces maîtresses d'école, des célibataires qu'on congédiait dès qu'elles se mariaient, et ce, jusque dans les années 1960! «Les institutrices sont victimes de discrimination sur les plans de la formation, du salaire, des pensions, des lieux de travail, des promotions. La situation prétendument objective — jeunesse, manque d'expérience, célibat, formation inadéquate, absence de responsabilités — justifie, prétend-on, les bas salaires.»

Poussée par l'essor industriel et un baby-boom, l'école se remplit au milieu du XXe siècle. Elle est devenue obligatoire en 1943. 4000 écoles de rang colorent le paysage québécois en ces années. Les institutrices qui y œuvrent dans des conditions encore difficiles font face à une «clientèle» homogène qui n'a rien à voir avec la faune qui grouille aujourd'hui dans le milieu scolaire.
Les familles sont toutes à peu près figées dans un modèle similaire; la religion est omniprésente, et ce, jusque dans les programmes scolaires: la moitié des 700 pages guidant les sept années du primaire est consacrée à l'enseignement religieux. Même en mathématiques, on calcule des chapelets, relatent Andrée Dufour et Micheline Dumont dans leur livre.
                                                     La révolution tranquille

Dans le vent de Révolution tranquille qui a donné naissances aux structures scolaires telles qu'on les connaît, l'école est appelée à changer, en accord avec la société qui la fait vivre, tant élèves, que parents et institutrices. Condamnées au célibat si elles voulaient conserver leur travail, les enseignantes se marient désormais. Dans les cercles intimes, on cause contraception et laïcisation.

En 1968, l'Alliance des professeurs de Montréal présente un mémoire à la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada, qui s'intitule Les Valeurs transmises par l'éducation. «L'enseignante, comme les autres femmes du Québec, d'ailleurs, n'a pas été préparée à assumer son rôle social. [...] L'image de la femme que l'on a inculquée aux Québécoises de 40, 30 et même 20 ans, c'est l'image d'une femme visant en vase clos, l'image de la femme au foyer, servante de ses enfants et de son mari, l'image d'une femme douce, patiente et soumise.»

À cette époque, l'élève s'adaptait à l'école. À défaut de quoi, il en sortait rapidement. On l'a oublié peut-être, mais les taux de décrochage dans les cours classiques avoisinaient les 70 %. Une centaine de vaillants inscrits en Éléments latins n'étaient plus que 25 ou 30 en Philosophie II en bout de course. Pour sortir entre autres de ce carcan, c'est un appel à la «polyvalence» de l'école que les auteurs du rapport Parent lancent donc au début des années 1960. Il a donné forme à l'école moderne.

                                              École multiculturelle et ethnique

Désormais, ce n'est plus «mère» qui est l'avant de la classe, mais «madame Marie-Josée», pourquoi pas. La leçon de catéchisme a fait place au cours Éthique et culture religieuse, qui n'a rien de confessionnel. Les écoles de village, qu'on ouvrait à l'époque dès que se pointaient 20 élèves avides d'apprendre, sont menacées de fermeture, car notre démographie chancelle.

Les communautés culturelles sont maintenant omniprésentes dans les écoles, particulièrement à Montréal, dont la clientèle de certains établissements est exclusivement composée d'enfants d'origine multiethnique. Les élèves, à l'ère de l'Internet, laissent le cellulaire au casier ou se «textent» des messages d'un pupitre à l'autre.


Les familles éclatées sont légion. Partout, des parents travailleurs compulsifs «consomment» l'école, sur laquelle le marché du travail, en manque de main-d’œuvre, exerce une pression constante. Les enfants rois défilent la liste de leurs «droits» en riposte à tout mouvement d'autorité. Les enseignants, certains eux-mêmes issus de la génération des «moi je», se plaignent de faire plus de «gestion de classe» que d'enseignement.

L'école, désormais, s'adapte aux élèves. Elle tente du mieux qu'elle peut de répondre aux besoins particuliers de tous. Mais les profs s'épuisent à la tâche et dénoncent le fait qu'on leur demande l'impossible: enseigner à la carte, comme le voudraient certains parents, mais aussi s'adapter aux nombreuses difficultés d'apprentissage des enfants, en hausse constante.

La réforme de l'éducation, lancée au début des années 2000 dans le but précis de rehausser le niveau des apprentissages, est toujours remise en question, car les taux de réussite ne se sont pas améliorés — comme un boulet, le Québec porte ce lourd 30 % de décrochage. On reste perplexes notamment devant l'échec des garçons, qu'on tente d'intéresser autrement à l'école.

Un forum doit scruter cet automne, l'espace d'une journée, la lancinante question de l'adaptation scolaire, que plusieurs associent à l'un des plus grands errements de l'école moderne. Peu importe l'époque, l'école restera finalement toujours un miroir de la société qui la mène.


Le nivellement vers le bas depuis la révolution tranquille


18 mai 2010 |Antoine Bressani - Élève de la cinquième secondaire au Collège Jean-de-Brébeuf |


C'est un rêve — utopique — que d'espérer voir la totalité de la population partager un niveau d'éducation élevé. C'est aussi, sans doute, l'idéal absolu de notre système d'éducation qui fait tout pour inciter la jeunesse à poursuivre des études. Seulement, je pose la question: est-ce pour le mieux que d'encourager à outrance les études supérieures?

Je suis convaincu que l'éducation fait fausse route en s'efforçant de satisfaire l'ensemble intégral des élèves, dans l'espoir qu'aucun ne délaisse l'école. En effet, cette visée est synonyme d'un nivellement par le bas de la qualité même de cette éducation. C'est le système en entier qui souffre de cette volonté d'imposer le même niveau d'éducation à tous.

L'enseignement du primaire jusqu'au pré-universitaire s'est dégradé durant les dernières décennies. Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer les manuels scolaires d'aujourd'hui à ceux d'autrefois qui, plutôt que d'offrir des images et des leçons vides, insistaient sur l'acquisition de connaissances. Ou alors d'observer les problèmes grandissants de disciplines, et la perte d'autorité du corps professoral, ou de constater les nouvelles évaluations de «participation» qui ne sont qu'un boniment en vue de permettre une bonification des moyennes.
Pertes de disciplines

Les programmes deviennent de plus en plus vagues et de moins en moins exigeants, au détriment évident de la valeur du résultat. Est-ce raisonnable qu'un instituteur ait à se demander s'il parviendra à donner son cours? Les enseignants le disent, le répètent, l'éducation se détériore. J'en suis témoin navré depuis maintenant plus de dix ans: le labeur et l'apprentissage perdent toute primauté. On déplore dans les universités le calibre moyen des élèves, qui va en diminuant. Les nombreuses réformes de notre système sont autant de coupables et de preuves flagrantes de cet affaiblissement, leur but premier étant invariablement de rendre l'enseignement plus accessible et de retenir le plus possible de jeunes.

C'est indéniable, l'éducation est un droit fondamental — mais de là à rendre obligatoire à tous, du cancre au prodige, le même programme jusqu'à 16 ans? Le véritable défi, selon moi, est plutôt de réussir à offrir (et non à imposer) un enseignement excellent de façon équitable à tout le monde, classes sociales et origines confondues.

J'admets volontiers considérer les cours comme trop lents — je m'ennuie, je perds ma motivation et m'étonne peu que les jeunes comme les enseignants se découragent. Ces derniers peinent à satisfaire l'appétit des élèves plus doués sans perdre les élèves en difficulté (qu'aujourd'hui il est impossible de recaler). Il est absurde de souhaiter que les jeunes partagent uniformément la curiosité intellectuelle: ce serait forcer la nature. Ce n'est pas en diluant la matière, en reléguant les connaissances à acquérir et en mélangeant toutes sortes de compétences que l'esprit s'en portera mieux. Du reste, beaucoup de décrocheurs le sont par manque d'intérêt et de défi, et non pas par incapacité. La solution n'est donc pas de ralentir encore le rythme — ce serait peut-être même se tirer dans le pied.


Je fréquente le collège privé classique, prétendument à l'épreuve de l'assouplissement, et pourtant je suis en mesure de certifier que l'éducation s'effrite et que les jeunes passent tranquillement de disciples à princes, même dans un tel établissement (soumis, après tout, aux lois et à la société).

Faut-il vouloir que tout le monde possède un diplôme supérieur, ou alors devrait-on simplement souhaiter que tout le monde ait accès à l'université? On ne peut faire fi des différences de force, ou d'intérêt intellectuel, et ce, même avant le collège. Bien entendu, ce serait être idéaliste que de prier pour une éducation adaptée à chaque individu. Ainsi, je soutiens qu'il vaudrait mieux s'en tenir à une certaine qualité, quitte à faire travailler plus ardemment les élèves. La vraie bataille à mener, c'est de permettre financièrement l'éducation à qui la désire vraiment. L'idée à défendre, au risque de rappeler Voltaire, c'est la carrière ouverte au talent, d'où qu'il vienne.

Bref, je crois fermement que l'éducation doit être reine plutôt que subordonnée. Il est beau de vouloir éduquer l'ensemble des citoyens, mais au prix d'admettre une formation piètre et ennuyeuse? Évidemment, la mode de l'époque porte une partie du blâme: il est malaisé pour les enseignants, du haut de leur bac en éducation, de combattre la mentalité de l'enfant-roi, chéri et préservé du moindre effort. Je ne saurais à qui adresser ce mot, car je doute de l'existence d'un thaumaturge disposé à accomplir un miracle. Simplement, je vois le système d'éducation s'enliser, et la maîtrise du français n'est qu'une victime parmi d'autres. Après tout, ce sont les écoles qui forment la société.


Nos ministres de l’éducation cultivent le nivelage vers le bas
Un peuple ignorant et sans ambition est plus contrôlable


La lettre est écrite par Stéphane Lévesque, qui se présente comme un enseignant de français au secondaire, ce qui lui donne l’avantage de voir le système d’éducation de l’intérieur.  Il intitule sa lettre “Le diplôme d’études secondaire n’est plus”.


Dans sa missive, il explique que depuis la réforme de l’éducation (j’ajoute ici qu’il s’agit d’une autre grande réalisation de Pauline Marois!), les élèves de 1ère année du secondaire ne peuvent plus “couler” leur année, parce que l’on considérait désormais les deux premières années du secondaire comme un cycle, et que l’évaluation se ferait globalement, pour ces deux années, à la fin du cycle. 


La chose avait choqué, dit-il, mais on avait rassuré les profs en leur disant qu’il faudrait aux élèves 28 unités sur 36, en 2e secondaire, pour passer en 3e.  Sauf que sa commission scolaire – qu’il ne nomme pas – vient de décider de continuer d’évaluer les élèves à la fin de la 2e année du secondaire, comptant les deux premières années comme un cycle, mais d’abaisser le nombre d’unités requises, pour passer à la 3e année, de 28 à 18, sur 36. 


Ce qui revient à dire que le jeune qui coule tout son secondaire 1, et la moitié de ses cours en secondaire 2, passera quand même au secondaire 3.  Le tout fait en sorte que les élèves seront de moins en moins qualifiés, à mesure qu’ils atteindront les dernières années du secondaire.  L’auteur de la lettre conclut qu’en 2017, le diplôme d’études secondaires n’aura plus de diplôme que le nom, et que celui-ci ne sera plus qu’un permis de travail.  Il dit également que ce faisant, on a pelleté une bonne partie du problème du décrochage scolaire sous le tapis.


Cela revient à ce que je concluais dans plusieurs billets, depuis nombre d’années, à savoir que lorsque se produisent des problèmes, dans les écoles, on se fout royalement des enfants, et on va au plus court, avec la bénédiction des syndicats, bien sûr.  Mais avant de lancer tout le fiel à la commission scolaire – que Stéphane Lévesque prend bien soin de ne pas nommer, je vais demander à ce professeur de français au secondaire quels sont les efforts qu’il fait, personnellement, pour que la matière soit intéressante – à défaut d’être excitante – pour ses élèves. 


Évidemment, on me dira que ce n’est pas une mince tâche de rendre la grammaire française excitante, mais comme le disait Johanne Girard, qui enseignait en 5e année du primaire, dans l’ouest de l’île de Montréal, lorsqu’elle a accordé une entrevue à Sébastien Ménard, du Journal de Montréal, entrevue que j’ai rapporté dans ce billet, il faudrait à tout le moins que les profs aient le goût de rentrer à l’ouvrage, le matin!



Dans une usine de broche à foin, on peut avoir l’air bête, en se pointant au travail; il n’y a que la machine sur laquelle on travaille qui va s’en rendre compte.  Dans une école, surtout au primaire et au secondaire, l’humeur que l’on affiche en entrant dans une classe peut changer l’atmosphère de celle-ci du tout au tout!  Quand on entre avec une bonne humeur qui se voit, et se sent, c’est difficile pour un jeune de persister à avoir l’air bête. 


Un Québec ignorant


Bien entendu, Stéphane Lévesque ne nous indique pas s’il entre dans sa classe avec un sourire communicatif, on encore s’il arrive avec l’air d’un accident qui s’en va quelque part pour arriver!  Pour avoir longtemps côtoyé des gens syndiqués, et non-syndiqués, dans des situations comparables, je peux vous dire par expérience que les gens syndiqués sont toujours plus difficiles à faire sourire que les autres; je ne sais pas si c’est à cause du “combat” à poursuivre, ou d’une autre raison, mais il reste que l’humeur que l’on affiche, en tant que prof, fait partie de l’ensemble des éléments qui vont assurer le succès – ou l’échec – d’un élève, d’une classe, et d’une école.


Bien sûr, le fait d’abaisser les exigences pour passer d’un niveau à un autre n’encourage en rien la réussite, au contraire!  Elle encouragera le jeune à privilégier le moindre effort, parce que de toute façon, il va passer quand même.  Cela devient plus difficile pour le prof de motiver ses troupes.  Celui-ci doit donc trouver un moyen pour stimuler ses élèves, les sortir de leur bulle, et les amener à montrer ce dont ils sont capables. 


L’auteur de la lettre mentionne que la décision origine des gestionnaires de sa commission scolaire, mais il n’indique pas si les conditions qu’il constate sont présentes seulement dans la sienne, ou s’il en est de même à travers tout le Québec.  Le cas échéant, l’amour de la langue française – pour s’en tenir à cette matière – ne sera qu’un peu plus théorique, et le fait de bien la parler, et de bien l’écrire, tiendra davantage du discours identitaire que de l’objectif de réussite en éducation.



Publié le 22 janvier 2014 par Richard



http://richard3.net/2014/01/22/education-on-continue-de-niveler-par-le-bas/
http://www.ledevoir.com/societe/education/289139/libre-opinion-niveler-par-le-bas
100 ans d'éducation au Québec - L'école en trois temps: 1910, 1960, 2010
25 septembre 2010 | Marie-Andrée Chouinard | Éducation