Louis XIV - Conditions de vies des paysans, nos ancêtres en France
La France d'en bas les paysans sont en guenilles
Au XVIIe siècle, sur les vingt millions d'habitants que compte la France, un sur deux est un ouvrier agricole, sans autre bien qu'un lopin de terre de quelques ares. Bien loin des grandes propriétés des nobles de la France d'en haut.
L'ouvrier agricole habite généralement une maison d'une seule pièce, parfois partagée avec une autre famille. A l'intérieur, des paillasses sur le sol en terre battue, une cheminée où pend la crémaillère, une armoire où il range sa vaisselle en terre cuite, ses chemises de chanvre, quelques draps et des couvertures de laine. Dehors, un cabanon avec quatre ou cinq poules, deux ou trois brebis que les enfants mènent paître sur les terrains communaux ; elles sont élevées pour la laine et la reproduction, pas question de les abattre pour la viande. Attenant à la maison, un potager, où l'on cultive quelques légumes (choux, fèves ou bettes, lentilles, pois ou navets).
Ces manouvriers, comme on les appelle alors, ne possèdent que de rares outils à main, une bêche et une faux, voire simplement une fourche de bois et une faucille. De mai à octobre, ils vont sur les domaines des nobles, du clergé ou chez les laboureurs, ceux qui possèdent des terres, un cheval et une charrue, se louer pour aider à la moisson, aux foins, à la vendange. Journées épuisantes où hommes, femmes et enfants, cassés en deux pendant des heures, s'échinent à scier, couper, lier, entasser. Du moins, peuvent-ils être assurés de manger à leur faim. Le reste de l'année, le manouvrier offre ses services comme maçon de terre, couvreur de chaume, débardeur de bois ou charbonnier, tandis que sa femme tisse à domicile pour un marchand de toile.
Le repas des paysans consiste presque exclusivement en un pain, mélange de seigle et de blé, dont on consomme 700 grammes par jour et par personne, trempé dans une soupe de légumes cuite lentement dans le pot de terre accroché à la crémaillère. Chacun y plonge des morceaux du pain que, traditionnellement, le père de famille rompt au début du repas. Un repas à peine agrémenté par quelques œufs et, selon les provinces, par une galette de sarrasin, une bouillie de maïs ou une purée de châtaignes. Presque jamais de viande ni de laitages, d'où une carence en graisses dont on aurait grand besoin, surtout l'hiver pour lutter contre le froid. Au dessert, selon la saison, un fruit, des baies, quelques tartines frottées d'ail ou trempées dans du cidre. La chasse et la pêche sont réservées au seigneur, mais certains se risquent à braconner pour ramener un lapin ou un peu de poisson.
Presque partout les terres arables sont réservées à la culture des céréales (seigle, blé, orge, avoine, millet, maïs). L'élevage reste rare, sauf celui du cheval ou du mulet. Aucune autre machine agricole que la charrue. Aussi, à l'exception des labours, tout le travail des champs reste manuel. Or semer à la main prend du temps et la pluie interrompt souvent les semailles, qu'on n'a pas toujours le temps de terminer avant l'hiver, ce qui rend les récoltes aléatoires. D'autant que, faute d'insecticides, les semis restent exposés aux rongeurs et aux maladies. On moissonne à la faucille ; même en embauchant les jeunes enfants, la famille du laboureur ne suffit pas à la tâche, aussi fait-on appel aux manouvriers.
Le rendement (le rapport de la récolte aux semences) est en moyenne de quatre ou cinq grains récoltés pour un grain semé, mais sur les mauvaises terres, ou pendant les années de disette, il peut tomber à trois pour un: si l'on déduit de la récolte le montant des impôts et la réserve de grains nécessaire à l'ensemencement de l'année suivante, il ne reste rien pour nourrir une famille.
Ces années-là, lorsque l'humidité empêche les grains de mûrir et que la moisson se révèle mauvaise, les laboureurs préfèrent moissonner uniquement avec l'aide de la main-d’œuvre familiale. Le chômage s'ajoute alors à l'envolée des prix des céréales, et le manouvrier en est réduit à envoyer d'abord ses enfants mendier aux portes des couvents et des villes, puis, la misère s'accentuant, les parents prennent eux-mêmes la route et finissent par constituer de petites troupes de chapardeurs, voire de vrais brigands, ou, pour les hommes, par se faire enrôler comme soldats du roi.
Si les paysans les plus aisés, les laboureurs, semblent manquer de charité chrétienne, c'est que, depuis les guerres de Richelieu, ils sont écrasés d'impôts, devenus la principale cause de la misère.
Le clergé, la noblesse, les titulaires des offices en sont exempts ; les impôts retombent entièrement sur le peuple, surtout celui des campagnes. La taille absorbe en moyenne 20 % du revenu des paysans. En y ajoutant la gabelle, les aides, la dîme due au clergé (qui varie de 3 % à 12 %), les droits seigneuriaux, etc., la moitié environ du revenu paysan est ponctionnée par l'impôt. De quoi décourager les plus entreprenants : à quoi bon, en effet, travailler davantage, pour engraisser les agents du fisc ?
On ne croit pas plus aux révoltes, l'agitation paysanne diminue sous Colbert. Sa mandature ne connaît en effet que deux émeutes, l'une en Vivarais, en 1670, l'autre en Bretagne, en 1675.
Dans le Vivarais, le bruit a couru que deux nouveaux impôts allaient être établis, l'un sur les chapeaux, l'autre sur les naissances. Après avoir écrasé la révolte, les mousquetaires pendent quelques centaines de montagnards cévenols et en envoient d'autres aux galères. En Bretagne, la révolte des Bonnets rouges contre le papier timbré est tout aussi aisément réprimée. « Nos pauvres Bas-Bretons, écrit Mme de Sévigné, s'attroupent par les champs et, dès qu'ils voient les soldats, ils se jettent à genoux et disent mea culpa : c'est le seul mot de français qu'ils sachent... On ne laisse pas de les pendre, jusqu'à quatorze au même arbre. Ils demandent à boire et du tabac, et qu'on les dépêche. »
La quasi-totalité des revenus du manouvrier est dépensée pour subvenir aux besoins en nourriture. Il ne reste donc pas grand-chose pour acheter du linge, de l'huile pour s'éclairer, et un morceau de lard pour les jours de fête. Car, dans cette existence désespérément triste, de loin en loin, la fête de village met une note de gaieté. Ce jour-là, on mange des crêpes ou des galettes, avec du lard et des châtaignes. Sur la place de l'église, au milieu des gueux, des colporteurs et des arracheurs de dents, on prend plaisir à regarder un acrobate, à écouter jouer du hautbois, de la flûte ou de la cornemuse. On danse le menuet, le branle ou la courante, tandis qu'un aveugle joue du violon ou chante une complainte. Mais il se trouve toujours quelque capucin ou cordelier pour rappeler la crainte de l'enfer.
Vie des paysans
Après vingt-cinq ans de répit relatif, correspondant à peu près au ministère de Colbert, la France d'en bas renoue avec le malheur. Ce n'est plus la peste ou la révolte contre le fisc, comme sous Richelieu, mais la disette. En 1686, au mois de mars, l'intendant du Poitou note : « Les habitants sont obligés de manger de l'herbe bouillie », et celui du Languedoc : « Il y a une misère extrême dans les Cévennes, parce que le blé et les châtaignes y ont manqué et beaucoup de paysans ne vivent à présent que de glands et d'herbe. » Pire encore! La récolte médiocre de 1692 est suivie à l'automne de pluies diluviennes qui détruisent les semailles et provoquent, en juillet 1693, une moisson désastreuse. « La misère et la pauvreté sont au-delà de ce que vous pouvez imaginer, écrit le lieutenant général en Normandie. Dans le pays de Caux, une infinité de peuple meurt fréquemment de faim. Il est à craindre que le peuple, qui ne mange que des herbes, ne coupe et ruine tous les blés avant qu'ils ne soient mûris. » Des spéculateurs accaparent le grain, de sorte que son prix va jusqu'à quintupler.
A chaque disette, marginaux, infirmes, malades, veuves sans ressources, paysans dépossédés de leur terre affluent vers les villes pour y trouver assistance. Mais, éconduits par les bureaux des pauvres, qui réservent leurs aumônes aux gens du cru, ils sont dûment enregistrés et pourvus d'un signe distinctif ; ils échouent alors dans les faubourgs des villes. Oubliant son devoir de charité, la société prend peur devant ces vagabonds indésirables, oisifs, asociaux, fauteurs de troubles ou porteurs d'épidémies.
Aussi, tant pour assurer le salut des âmes que par mesure de police, Mazarin promulgue, en 1656, un édit de grand renfermement, confirmé par Colbert quelques années plus tard. Tous les démunis de Paris sont, de gré ou de force, internés dans un hôpital général, qui compte bientôt trois établissements, la Salpêtrière, Bicêtre et la Pitié, et plus tard l'hospice des Enfants trouvés. Le régime de Bicêtre, réservé aux hommes, ressemble à celui d'une maison de redressement : les plus violents reçoivent le fouet ou sont mis aux fers. Au moins, chacun y mange à sa faim, un privilège.
Ces mesures d'enfermement ne choquent guère à l'époque. « Les pauvres étant nés tels ou étant réduits à cette condition par l'ordre de la Providence, disait l'évêque de Grasse, ne doivent pas songer à vivre ni abondamment ni délicieusement. Ce n'est leur ôter la liberté que de les enfermer, c'est leur ôter leur libertinage. »
Durant l'hiver 1693, l'Hôtel-Dieu de Paris voit chaque jour mourir de faim plusieurs centaines de personnes. D'autres, faute de lit, périssent en pleine rue. La Reynie, lieutenant général de la police, tente de
Hôtel-Dieu de Paris en 1693
prévenir d'éventuelles émeutes en faisant construire une trentaine de grands fours dans la cour du Louvre pour y cuire chaque jour 100 000 rations de pain vendues deux sous la livre. La vente s'effectue en cinq endroits: le Louvre, la place des Tuileries, la Bastille, le Luxembourg et rue d'Enfer. On se dispute, on se bat, on s'écrase pour acheter ce pain vendu à perte. Une bourgeoise qui, par curiosité, était allée voir la distribution du pain périt étouffée.
Suite en partie 2