Curé et la dîme de l'église en Nouvelle-France
Louis XIV instaure une organisation où le gouverneur, l’évêque et l’intendant se surveillent mutuellement et s’opposent très souvent. C’est ainsi que Mgr François de Laval s’est directement opposé à Louis de Buade de Frontenac pour le commerce de l’eau-de-vie, celui-ci étant devenu un mal qui décimait les tribus amérindiennes.
En 1660, l'évêque prend les grands moyens et lance un avis d’excommunication contre tous ceux qui pratiquent ce commerce. D'autre part, Louis de Buade de Frontenac s’oppose à Mgr François de Laval sur plusieurs autres sujets. À un certain moment, la crise est à son maximum et Frontenac décide d’ignorer Mgr Laval et de ne plus l’impliquer dans le Conseil souverain.
Gouverneur Frontenac
Dès 1675, avec l’arrivée d’un nouvel intendant (Duchesneau), l’évêque reparaît au Conseil souverain et revient aux affaires. En outre, Mgr François de Laval Laval doit lutter contre l’autorité du gouverneur pour la nomination des curés.
L’Église est donc dépendante de l’État et l’État de l’Église. Comme Rome veut avoir le contrôle sur le nouveau diocèse et que le roi partage le même désir, Rome commence par nommer un délégué apostololique qui est le représentant direct du Saint-Siège et ne dépend pas du roi de France.
Lorsque Mgr François de Laval devient évêque en titre en 1674, il relève directement de Rome. Malgré tout, les différents évêques qui se succéderont dépendront du roi de France. La dîme y est mise en commun pour la subsistance des prêtres. Il s'agit d'un système d’administration centralisée pour asseoir l’autorité de l’évêque.
Mgr Jean-Baptiste de la Croix de Chevrières de St-Vallier lui succède et veut défaire en partie ce que son prédécesseur a mis des décennies à bâtir. Mgr Saint-Vallier a un caractère très particulier et se chicane avec son prédécesseur comme avec les autorités civiles. Mgr Saint-Vallier a plus confiance au clergé d’origine française que canadienne. Il fonde les fabriques et décentralise l’organisation de l’Église.
Le curé devient le guide de cette communauté et a la responsabilité de mener son peuple vers le salut. Lorsque dans un village il n’y a pas de seigneur, c’est le curé qui en tient lieu. Dans la plupart de nos villages, en plus d’une église souvent richement décorée, il y a un presbytère qui tient lieu de manoir. Le curé agit non seulement dans le domaine spirituel, mais souvent dans le domaine matériel. Il est souvent conseiller juridique, arbitre dans les conflits entre paroissiens et même conseiller médical.
L’Église est en relation étroite avec l’État qui souvent devient sa rivale. Mais il y a toujours un sentiment de protection réciproque. L’un ne va pas sans l’autre. C’est pourquoi Frontenac et même l’intendant Jean Talon vont chercher à tempérer l’autorité religieuse. En retour, l’Église prêche l’obéissance au roi, représentant de Dieu sur la terre. Il faudra attendre le gouverneur Philippe de Rigaud de Vaudreuil pour délimiter les paroisses et en prévoir de nouvelles.
La dîme
En 1724, on passe de 15 à 40 paroisses. L’État confie aux curés les registres d’état civil et oblige les paroissiens à payer la dîme et autres montants pour subvenir aux besoins de l’Église. Pour aider les communautés religieuses dans leurs missions, l’état les dote d’immenses seigneuries qui peuvent assurer leur fonctionnement, mais non leur développement. La Nouvelle-France jette les bases d’une société qui confiera à l’Église un rôle qu’aucune région de l’Amérique ne lui laissera.
L’Église est dépendante de l’État, mais ce dernier lui confie une mission sociale qu’il ne veut pas assumer. Il lui en coûte moins d’agir ainsi que d’assumer lui-même les frais reliés à cette obligation. C’est une marque bien particulière de la société québécoise. On ne peut reprocher à l’Église d’avoir pris une place trop importante dans la société québécoise, car historiquement, c’est l’État qui a favorisé cette situation.
Mgr François de Laval
Les sulpiciens sont seigneurs de Montréal tandis que les récollets le sont à Trois-Rivières. Le clergé séculier pour sa part exerce ses fonctions dans les campagnes. Il y a une centaine d’ordinations durant tout le régime français. Cependant, les habitants aiment vivre dans un cadre paroissial. Dès qu’un nombre significatif de colons le permet, on s’empresse de demander un curé en promettant la construction d’une église et d’un presbytère. La paroisse apporte un sentiment d’appartenance et de solidarité.
L’enseignement pour sa part souffre de l’éparpillement de la population et des rigueurs de l’hiver. L’Église demeure seule dans ce domaine. Elle veut conserver ce rôle pour la formation religieuse de ses ouailles. Ce sont d’abord les curés qui portent l’enseignement à bout de bras. Le collège des jésuites est la seule institution à dispenser l’enseignement classique complet. Les candidats à la prêtrise font leur formation au séminaire. Toute formation supérieure est d’abord orientée en fonction de la formation du clergé et cela demeurera ainsi jusqu’à la fin des années 1950.
La société civile sous le régime français est une société religieuse. On fait baptiser dès que possible. On assiste à la messe régulièrement. La vie se fait au rythme du dimanche des périodes de pénitence et des grandes fêtes religieuses. On peut compter au total plus de cent cinquante jours de jeûne et d’abstinence. De plus, les curés mettent sur pied des confréries de dévotion comme le Tiers Ordre franciscain, l’Oeuvre de la Bonne Mort, etc. D’autres associations spécifiquement réservées aux femmes mariées ou aux jeunes filles visent la perfection chrétienne.
On incite les femmes à faire prier les leurs en famille. S’il y a un fléau, tous réclament de leur pasteur des prières publiques et des processions. Le clergé de la Nouvelle-France réussit à maintenir la religion du pays originaire. Les vocations sont assez nombreuses: de 1650 à 1762, il y a 841 vocations religieuses, dont 630 femmes et 211 hommes. Les communautés séculières attirent surtout les vocations féminines.
Cependant, les jésuites et les sulpiciens refusent d’admettre des coloniaux dans leur rang tandis que les communautés de femmes sont entièrement canadiennes tout comme 80% du clergé séculier. L’Église d’avant la Conquête est fortement enracinée dans son milieu. Elle a donné à la société de la Nouvelle-France avec l’aide du Gouvernement royal les cadres essentiels pour assurer sa survie.
Payée par les fidèles pour subvenir aux dépenses de l’Église, la dîme porte sur les récoltes et l’élevage, et ne concerne que le monde rural. Son taux est généralement de huit pour cent. Lors des moissons, les paysans préparent les meules et le décimateur passe prélever sur le champs les gerbes qui lui sont dues. Mais s’il tarde un peu, ou si le mauvais temps menace, les paysans ont le droit de rentrer leur récolte avant son passage. Ils en profitent alors pour frauder en cachant une partie des grains ou en ne donnant que les petites gerbes. D’ailleurs la dîme est un sujet perpétuel de procès et bien souvent le curé, lors du prône, est obligé d’excommunication les décalcitrants.
L’excomminication
Chaque dimanche au prône, les curés « jettent des ecommuniements« (excommunications), comme le peuple appelle les menaces d’excommunication prononcées contre les usuriers, les devins, ceux qui vivent en concubinage… mais aussi contre les paysans qui ne payent pas la dîme.
L’excommunication est aussi employée comme moyen de délation publique : lorsque la justice royale «ne peut pas avoir preuve autrement des faits contenus en une accusation», elle demande au curé de publier au prône des «monitoires», lettres qui obligent les fidèles à «venir déposer ce qu’ils savent des faits qui y sont contenues sous peine d’excommunication».
Mais le risque réel est faite: il faut véritablement avoir commis quelque chose de grave pour être interdit de sacrément ou pis encore, chassé de la communauté des fidèles. La menace n’en est pas moins réelle surtout pour des croyants qui ne peuvent envisager d’aborder la mort sans l’assistance de la religion. Si on ne brûle plus les excommuniés, le souvenir en reste dans des expressions quuotidiennes : ainsi on dit qu’«un fargot est communié, quand on ne le peut faire brûler»…
Gouverneur James Murray (1774) adopte ainsi une politique conciliante face aux Canadiens : mise en place d'un système judiciaire parallèle respectant le Code civil français, permission aux avocats canadiens d'exercer leur profession, nomination d'un surintendant de l'Église catholique (évêque), encouragement aux dons (dîmes) versés à l'Église catholique, etc.
James Murray et les partisans du French Party jugent que les Canadiens sont trop nombreux pour être totalement intransigeants face à eux. Ces actions conciliantes avaient toutes pour but de simplifier la gestion et éviter que les Canadiens français se révoltent contre Sa Majesté britannique.
Parmi les autres clauses de l'Acte de Québec, on retrouve la reconnaissance du régime seigneurial, de la société française, de la fonction d'évêque et la reconnaissance de la dîme. Aucune disposition linguistique n'est incluse dans le texte de l'Acte de Québec. Toutefois, les Canadiens ont le droit de pratiquer leur religion dans leur langue, tout comme le français est employé dans les cours de justice et dans les affaires civiles. Les gouverneurs de la Province of Quebec, tout comme plusieurs dirigeants, sont bilingues. Le français est encore, à cette époque, la langue de communication internationale.
Cette loi a été abrogée au Québec vers les années 1975 pour la dîme ne soit plus obligatoire.
Alain Laprise 24 avril 2019
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