Le fraudeur Vincent Lacroix
Le fraudeur Vincent Lacroix ne sera pas seulement un homme libre vendredi prochain. Il est devenu un homme aux goûts «beaucoup plus simples» qui aspire à une «vie tranquille».
C'est du moins la description qu'en fait l'un de ses amis, un avocat montréalais qui connaît Lacroix depuis une douzaine d'années.
«Est-ce que c'est le même homme que celui que j'ai connu à l'époque de Norbourg? La réponse est non. Il est beaucoup, beaucoup plus simple. Je ne doute pas qu'il puisse adopter un mode de vie plus modeste», insiste cet ami qui a exigé l'anonymat. Ses nombreuses heures passées ces dernières années à faire du bénévolat auprès des plus démunis ont contribué à changer sa vision de la vie, croit cet ami.
L'ex-PDG de Norbourg rend visite de temps à autre à son ami dans son cabinet spécialisé en droit des affaires. «C'est arrivé qu'il fasse des recherches de jurisprudence pour moi. Mais il ne travaille pas ici. Il vient surtout prendre des cafés pour passer le temps», nous a confié l'avocat.
Le fraudeur de 47 ans franchit cette semaine une étape cruciale: il pourra profiter d'une libération conditionnelle complète. Le 7 février, il quittera sa maison de transition du sud-ouest de la métropole dans l'espoir de ne jamais y remettre les pieds.
Selon nos informations, Lacroix, une fois libéré, a l'intention de rester dans la région de Montréal.
L'intérêt de Lacroix pour le droit n'est pas surprenant pour quiconque a suivi les procédures judiciaires entourant l'affaire Norbourg. À un certain moment, il a défendu sa cause, seul, après avoir remercié ses avocats, se disant incapable de payer leurs honoraires.
Vérifications faites auprès du Bureau du syndic du Barreau du Québec, il n'est pas illégal de mener des recherches de jurisprudence pour un avocat sans l'être soi-même. Toutefois, seul un avocat peut donner des conseils juridiques.
Ce ne serait pas impossible pour Vincent Lacroix de devenir avocat malgré son casier criminel. Mais pas facile, non plus. «Chaque cas est un cas d'espèce. Un comité d'accès à la profession existe pour évaluer ce genre de cas en fonction de critères précis, dont celui de la protection du public», explique la coordonnatrice des communications au Barreau du Québec, Martine Meilleur.
Lacroix s'intéresse aussi beaucoup au domaine des communications. Le fraudeur aurait suivi des cours universitaires par correspondance en communication alors qu'il purgeait sa peine, toujours selon son ami avocat.
Il désire poursuivre des études au doctorat dans ce domaine, lit-on dans un jugement de la Cour supérieure du Québec rendu en 2012, où il s'est vu refuser sa demande d'être libéré de ses dettes.
Ceci étant dit, le fraudeur a développé un «écoeurement des journalistes», insiste son ami. «Il y a quelque chose d'injuste dans le traitement médiatique, poursuit cet ami. Ses 9200 victimes ont été remboursées, mais ça n'a pas fait la première page des journaux.»
Sous surveillance
Bien qu'il obtienne sa libération conditionnelle totale vendredi prochain, Vincent Lacroix ne sera pas libre comme l'air pour autant.
La Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) doute qu'il sache «s'adapter à des revenus beaucoup moins élevés et, par conséquent, à un mode de vie moins luxueux», peut-on lire dans une décision rendue en 2009.
Cette décision, qui date de presque cinq ans, établit les conditions spéciales auxquelles le fraudeur devra se plier à partir de la semaine prochaine.
Dans leur plus récente décision datant de janvier 2011, les commissaires ne se sont pas penchés de nouveau sur son mode de vie, puisque personne ne le leur a demandé. «Une modification aux conditions doit être demandée soit par Service correctionnel Canada, soit par le délinquant», explique le porte-parole de la CNLC, Louis-Philippe Moisan.
À l'époque, les commissaires étaient catégoriques: «Il est raisonnable et nécessaire que vous concentriez vos efforts sur les projets communautaires afin d'intégrer des valeurs prosociales centrées sur l'altruisme et la contribution à la société. Vous devez toujours approfondir votre conscience sociale et vous éloigner des valeurs matérialistes.» Sa demande de poursuivre des études lui avait ainsi été refusée.
«Les valeurs élastiques et délinquantes, l'appât du gain, le besoin de reconnaissance sociale, certains traits narcissiques, votre égocentrisme, votre caractère manipulateur et un sentiment d'invincibilité où l'échec était impossible sont les principaux facteurs contributifs de votre criminalité», ont aussi analysé les commissaires à l'époque.
«Vous êtes un fin renard, manipulateur, qui réussit par la supercherie, le mensonge ou autres moyens dolosifs à parvenir à ses fins criminelles», soulignaient les commissaires.
À l'automne 2011, la «semi-liberté» de Lacroix a été élargie et il a été autorisé à poursuivre ses études sans avoir besoin de revenir devant la CNLC.
Plus de bénévolat
À sa sortie de la maison de transition, vendredi, le fraudeur devra donc continuer de faire du bénévolat en milieu défavorisé pendant un an à raison de quatre heures par semaine, ordonne la CNLC.
De plus, Lacroix n'aura pas le droit d'occuper un emploi rémunéré ou bénévole dans le domaine de la finance. Il lui sera aussi interdit d'occuper un emploi comportant des fonctions de gestionnaire ou même un emploi qui le place en situation d'autorité.
Le fraudeur devra fournir les preuves de ses revenus et de ses dépenses à son agent de libération conditionnelle chaque mois.
Toutes ces interdictions rassurent l'une de ses victimes, Jean-Guy Houle. «Au moins, il ne pourra plus frauder personne», dit le grand-papa de deux orphelines, dont l'héritage de 190 000$ a été volé par l'ex-PDG de Norbourg.
«Pour moi, Lacroix va toujours rester un bandit, mais j'ai confiance que les autorités carcérales vont le surveiller de près», ajoute le grand-papa.
Le criminel en cravate a été condamné pour avoir orchestré une fraude de 113,5 millions auprès de 9200 investisseurs. Il a écopé d'une peine de 18 ans (une peine criminelle de 13 ans et une peine pénale de 5 ans moins un jour) en vertu d'infractions à la Loi sur les valeurs mobilières.
Après avoir purgé deux ans de sa peine criminelle, il a quitté la prison de Sainte-Anne-des-Plaines en janvier 2011 pour vivre dans une maison de transition du sud-ouest de Montréal.
Le fraudeur a ainsi bénéficié d'une «procédure d'examen expéditif» - mesure abolie par le gouvernement conservateur depuis - qui permettait à un délinquant non violent d'être libéré automatiquement au sixième de sa peine.
Lacroix devra respecter les conditions spéciales qui lui sont imposées jusqu'à la fin de sa peine globale, en 2026.
Si un délinquant déroge à ses conditions, il peut voir sa libération suspendue, explique le porte-parole de Service correctionnel Canada, Serge Abergel.
«Lorsqu'un délinquant est surveillé en communauté, on prend les moyens pour vérifier son mode de vie. À titre d'exemple, on peut se présenter chez son employeur ou au gymnase où il s'entraîne, indique M. Abergel. La police locale est aussi avisée qu'un délinquant réside dans son secteur.»
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