Seuls quelques catholiques osèrent rappeler que ces communions forcées n’étaient, pour l’Église, qu’autant de sacrilèges. La reine Christine de Suède elle-même, qui, elle-même convertie, vivait à Rome en catholique zélée depuis trente ans, flétrit les dragonnades de sa désapprobation, peu suspecte, dans une lettre du 1er février 1686 : « De bonne foi, êtes-vous bien persuadé de la sincérité des nouveaux convertis ? Je souhaite qu’ils obéissent sincèrement à Dieu et à leur roi ; mais je crains leur opiniâtreté, et je ne voudrais pas avoir sur mon compte tous tes sacrilèges que commettront ces catholiques, forcés par des missionnaires qui traitent trop cavalièrement nos saints mystères. Les gens de guerre sont d’étranges apôtres, et je les crois plus propres à tuer, à voler, à violer, qu’à persuader : aussi des relations (desquelles on ne peut douter) nous apprennent qu’ils s’acquittent de leur mission fort à leur mode. »
L’invention
de Louvois lui survécut ; pendant près d’un siècle
avant de tomber graduellement en désuétude. Les
dragonnades devinrent le moyen régulièrement employé
pour réduire les protestants récalcitrants de toute une
contrée, pour obtenir d’eux des actes de catholicité
et, par exemple, faire baptiser en masse leurs enfants. On cite comme
particulièrement rigoureuses les dragonnades du Rouergue en
1745, du Languedoc en 1752, en Guyenne en 1758.
Les
régiments de cavaliers qui furent alors appelés «
dragons » étaient des compagnies régulières
qui servaient en temps ordinaire à percevoir l’impôt
et spécialement à l’encontre des contribuables
redevables d’arriérés, en logeant les soldats à
leurs frais jusqu’au paiement effectif.
Sous Louis XVI, l'armée royale n'était qu'un ramassis de bandits, provenant soit de la milice soit du recrutement. Pour la milice, les communes donnaient tous les mauvais sujets, tous les vagabonds dont elles voulaient purger leur territoire, et les officiers recruteurs acceptaient sans difficulté le pire des vauriens, pourvu qu'il fût robuste et vigoureux. Pour le recrutement, opéré par violence ou par ruse, c'était une véritable chasse à l'homme que faisaient les recruteurs, par les rues et les grands chemins, dans les cabarets, les tripots et les prisons même. Le résultat de cette chasse à l'homme était de convertir en recrues pour l'armée royale, des gens de sac et de corde, des voleurs, des évadés du bagne.
Sous Louis XVI, l'armée royale n'était qu'un ramassis de bandits, provenant soit de la milice soit du recrutement. Pour la milice, les communes donnaient tous les mauvais sujets, tous les vagabonds dont elles voulaient purger leur territoire, et les officiers recruteurs acceptaient sans difficulté le pire des vauriens, pourvu qu'il fût robuste et vigoureux. Pour le recrutement, opéré par violence ou par ruse, c'était une véritable chasse à l'homme que faisaient les recruteurs, par les rues et les grands chemins, dans les cabarets, les tripots et les prisons même. Le résultat de cette chasse à l'homme était de convertir en recrues pour l'armée royale, des gens de sac et de corde, des voleurs, des évadés du bagne.
Un jour,
une chaise de quatre-vingt-dix-neuf forçats a la chance de se
trouver sur le passage du roi; par suite de cette heureuse rencontre,
cette centaine d'honnêtes gens, au lieu d'être conduits
aux galères, sont incorporés pour six ans dans l'armée
du roi. Un autre jour c'est le contrôleur général
qui, à un intendant lui demandant les ordres nécessaires
pour faire conduire au bagne des bohémiens condamnés
aux galères, répond de tenir dans les prisons
d'Angoulême, tous ceux d'entre les condamnés qui peuvent
porter les armes, jusqu'à ce qu'il passe une recrue à
laquelle ils seront joints sur les extraits d'interrogatoire de
Bicêtre, on trouve un avis favorable à la demande de
prendre parti dans les troupes faite par (Adam, scélérat
de premier ordre, fameux fripon, chef de filous).
Cette
promiscuité étrange entre les prisons, le bagne et
l'armée, semblait chose si naturelle qu'il était de
règle, de donner aux déserteurs et aux réfugiés
la faculté d'opter entre les galères et le service
militaire.
Chaînes humaines vers les galères
Ainsi, par exemple, les réfugiés Lebadoux et Jean Bretton, faits prisonniers, s'engagent dans l'armée pour éviter les galères. Perrault est condamné aux galères pour émigration, l'intendant de Franche-Comté écrit au ministre :
Chaînes humaines vers les galères
Ainsi, par exemple, les réfugiés Lebadoux et Jean Bretton, faits prisonniers, s'engagent dans l'armée pour éviter les galères. Perrault est condamné aux galères pour émigration, l'intendant de Franche-Comté écrit au ministre :
« Comme il est d'ailleurs jeune et bien fait, si Sa Majesté jugeait à propos de commuer sa peine, en celle de le servir pendant un temps dans ses troupes, il lui serait plus utile comme soldat que comme galérien. »
On comprend ce que pouvait valoir une armée composée de tels éléments; qu'elle fût campée en France ou en pays ennemi, suivant l'énergique expression du temps, elle mangeait le pays ; quant à l'habitant, il était à la discrétion du soldat qui pouvait impunément piller, battre, voler, violer et maltraiter ses hôtes. — Que se passe-t-il, en Bretagne, lorsqu'en 1675, on a amené, par de bonnes paroles à se disperser ceux qui s'étaient soulevés à la suite de l'établissement de taxes excessives et illégales? Les troupes entrent dans la province et, disent les relations du temps, « les soldats jettent leurs hôtes par la fenêtre après les avoir battus, violent les femmes, lient des enfants tout-nus sur les broches pour les faire rôtir, brûlent les meubles, etc. »
Nous n'avons pas besoin de rappeler les scènes de la désolation des provinces du midi ordonnée en 1683 par Louvois, ni les horreurs commises pendant la guerre des Cévennes par les soldats du roi.
Mais, pour juger de ce que pouvaient faire de tels bandits, il n'est pas inutile de rappeler leurs exploits à l'étranger, en Hollande et dans le Palatinat, avant les dragonnades ; en Savoie, après cette croisade à l'intérieur. Quel spectacle l'armée du grand roi donne-t-elle en Hollande?
Trois cent mille gueux, dit Michelet, sans pain, ni solde, jeûnant il est vrai, mais s'amusant, pillant, brûlant, violant. Les soldats, sans frein ni loi, par-devant les officiers faisaient de la guerre royale une jacquerie populaire en toute liberté de Gomorrhe. »
Que se passe-t-il encore quelques années plus tard, quand l'armée de Louis XIV se présente devant Heidelberg, ville ouverte et après que la population valide s'est enfuie, en s'écrasant aux portes, dans le château dont le gouverneur a fait enclouer les canons?
Les faibles, les dames et les enfants refoulés dans la ville, s'entassent dans les églises. Le soldat entre sans combat, et, à froid, il tue parfois un peu, puis bat, joue et s'amuse, met les gens en chemise. Quand ils entrent dans les églises et voient cette immense proie de femmes tremblantes, l'orgie alors se rue, l'outrage, le caprice effréné. Les dames, leurs enfants dans les bras, sont insultées, souillées par les affreux rieurs et exécutées sur l'autel. Près de ces demi-mortes, laissées là, la joyeuse canaille fait sortir les vrais morts, les squelettes, les cadavres demi-pourris des anciens Électeurs. Effroyable spectacle! Ils arrivent dans leurs bandelettes, traînés la tête en bas... »
En
1685, alors que les dragonnades touchent à leur fin en France
Louis XIV envoie quelques milliers des étranges missionnaires qui viennent de convertir les huguenots, pour débarrasser son allié le duc de Savoie des hérétiques des vallées à Pignerol.
Louis XIV envoie quelques milliers des étranges missionnaires qui viennent de convertir les huguenots, pour débarrasser son allié le duc de Savoie des hérétiques des vallées à Pignerol.
Déjà les hommes en état de combattre, désarmés à la suite de perfides négociations, avaient été entassés dans les prisons de Turin, où la peste les avait presque tous emportés.
L'armée française, en arrivant sur le territoire de la Savoie, ne trouve donc devant elle aucun combattant, elle n'a d'autre chose à faire que de massacrer.
Restent, dit Michelet, les femmes, les enfants, les vieillards que l'on donne aux soldats. Des vieux et des petits, que faire, sinon les faire souffrir ? On joua aux mutilations, on brûla méthodiquement, membre par membre, un à un, à chaque refus d'abjuration. On prit nombre d'enfants, et jusqu'à vingt personnes, pour jouer à la boule jeter aux précipices...On se tenait les côtes de rire à voir les ricochets; à voir les uns légers, gambader, rebondir, les autres assommés comme plomb au fond des précipices tels accrochés en route aux rocs et éventrés, mais ne pouvant mourir, restant là aux vautours. Pour varier, on travailla à écorcher un vieux, Daniel Pellenc; mais la peau ne pouvant s'arracher des épaules, remonta par-dessus la tête.
On
mit une bonne pierre sur ce corps vivant et hurlant, pour qu'il fasse
le souper des loups. Deux sœurs, les deux Victoria, martyrisées,
ayant épuisé leurs assauts, furent, de la même
paille qui servit de lit, brûlées vives. D'autres, qui
résistèrent, furent mises dans une fosse, ensevelies.
Une fut clouée par une épée en terre, pour qu'on
en vînt à bout. Une, détaillée à
coups de sabre, tronquée des bras des jambes, et ce tronc
informe fut violé dans la mare de sang »
Élie
Benoît dit de son côté :
« Ils pendaient et massacraient les femmes comme les hommes; mais ils violaient ordinairement les femmes et les filles avant de les tuer, et après cela, non contents de les assommer, ils leur arrachaient les entrailles, ils les jetaient dans un grand feu; ils les coupaient en morceaux et s'entre jetaient ces reliques de leur fureur ».
« Ils pendaient et massacraient les femmes comme les hommes; mais ils violaient ordinairement les femmes et les filles avant de les tuer, et après cela, non contents de les assommer, ils leur arrachaient les entrailles, ils les jetaient dans un grand feu; ils les coupaient en morceaux et s'entre jetaient ces reliques de leur fureur ».
Après
les massacres, la dévastation impitoyable du pays.
Catinat
écrit à Louvois : « Ce pays est parfaitement
désolé, il n'y a plus du tout ni peuple, ni bestiaux,
j'espère que nous ne quitterons pas ce pays-ci, que cette race
des Barbets n'en soit entièrement extirpée. »
Louvois ne trouve pas la désolation assez parfaite, il écrit
au marquis de Feuquières : « Le roi a appris avec
plaisir ce qui s'est passé dans la vallée de Luzerne,
dans laquelle il eût été seulement à
désirer que vous eussiez fait, brûler tous les villages
où vous avez été. »
Louvois avait déjà donné de semblables ordres dans le Palatinat. Un jour, apprenant que les troupes se sont contentées de brûler seulement à moitié, une ville, il ordonne de brûler tout jusqu'à la dernière maison et enjoint de lui faire connaître les officiers qui ont ainsi failli à la ponctuelle exécution des volontés du roi, afin qu'ils soient punis d'une façon exemplaire.
Un autre jour, il apprend que les habitants d'une autre ville, qui a été complètement détruite conformément à ses instructions, s'obstinent à venir chercher un gîte au milieu des ruines, il écrit : « Le moyen d'empêcher que ces habitants ne s'y rétablissent, c'est après les avoir avertis de ne point le faire, de faire tuer tous ceux que l'on trouvera vouloir y faire quelque habitation. »
Ce n'était pas en donnant de semblables instructions, que Louvois pouvait faire disparaître les habitudes invétérées de banditisme de l'armée royale, tout au contraire ; il n'est donc pas surprenant que le jour où il se décida à ordonner aux soldats logés chez les huguenots, de faire tout le désordre possible, pour amener la conversion de leurs hôtes, il ne fût d'avance déterminé à fermer les yeux sur les actes les plus odieux et les plus violents de ses missionnaires bottés, ainsi qu'on les appelait.
Mais il
était trop politique pour ne pas masquer le but qu'il
poursuivait et pour vouloir que la persécution prît au
début le caractère qu'elle avait eu en Hongrie, en
1672:
« Les jésuites, menant avec eux des soldats, surprenant chaque village, et convertissant le hongrois qui voyait sa femme sous le fusil... des ministres brûlés vifs, des femmes empalées au fer rouge, des troupeaux d'hommes vendus aux galères turques et vénitiennes. »
C'est au commencement de l'année 1681, que Marillac, intendant du Poitou, soumit à Louvois son plan de convertir les huguenots en logeant exclusivement chez eux les troupes et lui demanda d'envoyer dans le Poitou des soldats pour mettre à exécution ce plan que le hasard ou sa malice, dit Elie Benoît, lui avait fait découvrir.
Louvois comprit que, pour reprendre dans l'État le rôle prépondérant qu'il avait perdu depuis que les affaires de religion avaient fini par prévaloir sur toutes les autres dans l'esprit du roi, c'était un excellent moyen, ainsi que le disent les lettres du temps, de mêler du militaire à l'affaire des conversions.
Mais, il jugea nécessaire de dissimuler qu'il voulait obtenir par la violence, la conversion des huguenots, tout au moins jusqu'au moment où l'importance des résultats déjà acquis, empêcherait de pouvoir revenir en arrière. — C'est pourquoi, après avoir fait signer au roi une ordonnance, exemptant pendant deux ans du logement des gens de guerre les huguenots qui se convertiraient, il se borne à obtenir la permission de faire passer dans les villes huguenotes des régiments dont la seule présence amènerait des conversions. En effet, disait-il, si les huguenots se convertissent pour toucher une pension; ou une faible somme d'argent, ils seront encore plus disposés à abjurer pour éviter quelque incommodité dans leurs maisons et quelque trouble dans leurs fortunes.
En envoyant à Marillac, l'ordonnance et les troupes qui vont lui permettre de mettre son plan à exécution, Louvois multiplie les précautions pour dissimuler l'existence même de ce plan.
« Sa Majesté, écrit-il, à Marillac, a trouvé bon de faire expédier l'ordonnance que je vous adresse, par laquelle elle ordonne que ceux qui se seront convertis, seront, pendant deux années, exempts du logement des gens de guerre. Cette ordonnance pourrait causer beaucoup de conversions dans les lieux d'étape...
Elle m'a commandé de faire marcher, au commencement du mois de novembre prochain, un régiment de cavalerie en Poitou, lequel sera logé, dans les lieux que vous aurez pris soin de proposer entre ci et ce temps-là, dont elle trouvera bon que le grand nombre soit logé chez les protestants ; mais elle n'estime pas qu'il faille les y loger tous; c'est-à-dire que de vingt-six maîtres dont une compagnie est composée, si, suivant une répartition juste, les religionnaires en devaient porter dix, vous pouvez leur en faire donner vingt et les mettre tous chez les plus riches des dits religionnaires, prenant pour prétexte que, quand il n'y a pas un assez grand nombre de troupes dans un lieu pour que tous habitants en aient, il est juste que les pauvres en soient exempts et que les riches en demeurent chargés... Sa Majesté désire que vos ordres sur ce sujet soient, par vous ou vos subdélégués, donnés de bouche aux maires et échevins des lieux, sans leur faire connaître que Sa Majesté désire, par là, violenter les huguenots à se convertir, et leur expliquant seulement que vous donnez ces ordres sur les avis, que vous avez eus que, par le crédit qu'ont les gens riches de la religion dans ces lieux là, ils se sont exemptés au préjudice des pauvres. »
En dépit de ces instructions, Marillac logea les troupes exclusivement chez les huguenots, qu'ils fussent riches ou pauvres. Lièvre, dans son histoire du Poitou, relève ce fait que, à Aulnay, une recrue ayant été logée indistinctement chez tous les habitants, le subdélégué de l'intendant, accompagné de deux carmes, alla de maison en maison, déloger les soldats mis chez des catholiques, et les conduisit chez des huguenots.
Fidèle à sa politique de prudence, au début de la campagne des conversions par logements militaires, Louvois mettait sa responsabilité à couvert, en blâmant officiellement, les violences trop grandes, surtout lorsqu'elles avaient provoqué des plaintes trop retentissantes.
C'est ainsi qu'il blâmait l'intendant de Limoges, d'avoir logé les soldats uniquement chez les huguenots, et d'avoir souffert le désordre des troupes. Il réprimandait de même Marillac, à raison de l'affectation qu'il Limoge mettait, à accabler les huguenots de logements militaires, à souffrir que les soldats fissent chez leurs hôtes des désordres considérables, et enfin à emprisonner ceux qui avaient l'audace de se plaindre. Une telle conduite étant de nature à sembler, disait-il, justifier les plaintes que les religionnaires font dans les pays étrangers, d'être abandonnée à la discrétion des troupes.
En blâmant officiellement ce qu'il approuvait en secret, Louvois avait soin de formuler son blâme, assez discrètement pour ne pas décourager le zèle de ses collaborateurs. Reprochant à Boufflers d'avoir mis les soldats à loger à discrétion chez les huguenots, il dit : « c'est de quoi j'ai cru ne devoir écrire qu'à vous afin que, sans qu'il paraisse qu'on désapprouve rien de ce qui a été fait, vous puissiez pourvoir à ce que ceux qui sont sous vos ordres restent dans les bornes prescrites par Sa Majesté. » Écrivant à un intendant, pour blâmer un commandant de troupes qui a permis au maire de Saintes d'employer ses soldats, hors de son territoire, pour violenter les huguenots à se convertir, il arrive à cette conclusion, à l'égard de ces deux coupables. « Sa Majesté n'a pas jugé à propos de faire une plus grande démonstration contre eux, puisque ce qu'ils ont fait a si bien réussi, et qu'elle ne croit pas qu'il convienne qu'on puisse dire aux religionnaires que Sa Majesté désapprouve quoi que ce soit de ce qui a été fait pour les convertir »
C'est à
Louvois qu'étaient adressées les lettres des
gouverneurs et des intendants, et quand il y avait quelque
communication délicate à faire, ceux-ci imitaient
l'exemple de Noailles écrivant:
« Qu’il ne tardera pas à lui envoyer (à Louvois) quelque homme d'esprit pour lui rendre compte de tout le détail et répondre à tout ce qu'il désire savoir, mais ne saurait s'écrire. »
« Qu’il ne tardera pas à lui envoyer (à Louvois) quelque homme d'esprit pour lui rendre compte de tout le détail et répondre à tout ce qu'il désire savoir, mais ne saurait s'écrire. »
On net saurait donc s'étonner de ce que « aussi bien lors de la première dragonnade du Poitou, qu'au moment de la grande dragonnade du Béarn en 1685, mettant sur les bras des huguenots toute l'armée rassemblée sur les frontières de l'Espagne » — les relations officielles mises sous les yeux du roi se taisent sur les hauts faits des missionnaires bottés.
À propos de la violente conversion du Béarn, Rulhières affirme avoir fait cette curieuse constatation : «la relation mise sous les yeux du roi ne parle ni de violences ni de dragonnades. On n'entrevoit pas qu'il y ait un seul soldat en Béarn. La conversion générale paraît produite par la grâce divine, il ne s'agit que d'annoncer la volonté du roi... Tous courent aux églises catholiques. » À la fin de la même année 1685, Tessé qui vient de traiter Orange, en ville prise d'assaut, et a converti tous les huguenots de la cité en vingt-quatre heures, déclare dans son rapport officiel, que tout s'est fait doucement sans violence et sans désordre.
En 1685, comme en 1681 et en 1682, de plus, pour ôter toute créance aux réclamations qui parvenaient directement à la cour, on dragonnait à nouveau, ceux qui se plaignaient d'avoir cédé aux violences des soldats, afin de les obliger à signer qu'ils s'étaient convertis librement et sans contrainte. Enfin Louvois ne reculait devant aucun moyen, même les arrestations les plus arbitraires, pour empêcher les plaintes des huguenots d'arriver directement au roi.
Il est difficile d'admettre cependant que Louis XIV ignorât ce qui se passait dans les provinces dragonnées, mai s’il était fort aise de pouvoir, grâce aux habiletés de son ministre, sembler ignorer les violences qu'avaient à supporter les huguenots.
« Aucun monarque, dit Sismondi, si vigilant, si jaloux de tout savoir, si irrité contre tout ministre qui aurait prétendu lui cacher quelque chose, n'était encore monté sur le trône de France; et, ce n’était pas une entreprise violente, poursuivie à l'aide de ses troupes, dans toutes les provinces de son royaume, pendant plusieurs années de suite, contre plus de deux millions de ses sujets, qui pouvait être dérobée à sa connaissance.
Déjà en 1666, l'électeur de Brandebourg s'était fait l'organe officiel des réclamations des huguenots français, et ayant écrit à Louis XIV
« J'ai osé affirmer que Votre Majesté ignore ces violences et que tout le mal vient de ce que ses grandes affaires ne lui permettent pas de prendre connaissance elle-même, des intérêts de ces pauvres opprimés. »
Louis XIV s'était empressé de répondre : « Je vous dirai qu'il ne se fait aucune affaire petite ou grande dans mon royaume, de la qualité de celle dont il est question, non seulement qui ne soit pas de mon entière connaissance, mais qui ne se fasse par mon ordre. »
Dès le commencement de la première dragonnade, Louis XIV avait été saisi officiellement par Ruvigny, député général des protestants, des justes plaintes des huguenots du Poitou, et il avait été contraint d'ordonner une enquête contre les violences commises contre ses sujets réformés; mais cette enquête, qui avait été considérée comme une interdiction de commettre de nouvelles violences, avait amené un sensible ralentissement dans l'œuvre de la conversion générale. Pour remédier au mal, le roi s'empresse de rendre une ordonnance portant qu'il sera informé contre les ministres « ayant été assez osés que de prêcher publiquement dans leurs chaires que Sa Majesté désavouait les exhortations qui avaient été faites au peuple de sa part, d'embrasser la religion catholique, Sa Majesté ne voulant pas souffrir ces insolences de si dangereuse conséquence. »
Tout naturellement, après cette ordonnance, les violences reprirent de plus belle contre les huguenots du Poitou, et elles aboutirent à faire un tel éclat que Louis XIV dut, l'année suivante, révoquer Marillac et faire suspendre momentanément les conversions par logements militaires.
Cependant, comme s'il eût voulu établir qu'il ne réprouvait pas, en réalité, les violences qu'il se voyait contraint d'interdire officiellement, Louis XIV fit tout pour que les conversions obtenues violemment fussent tenues pour bonnes et valables.
Un arrêt d'exemple (c'est-à-dire faisant jurisprudence pour tout le royaume), rendu par le Parlement de Paris, établit qu'un huguenot, bien qu'il prouvât qu'il avait abjuré par force, pouvait être condamné comme relaps quand il retournait au prêche. Une déclaration royale, allant plus loin, décida que tout huguenot contre lequel ne pourraient être produites ni une abjuration écrite, ni même une simple signature, devait être condamné comme relaps si deux témoins, les deux premiers coquins venus, déclaraient qu'ils lui avaient vu faire un acte quelconque de catholicité.
Enfin, en 1682, comme s'il eût voulu avertir les huguenots que les violences ne tarderaient pas à être de nouveau autorisées contre eux, Louis XIV permettait qu'on signifiât à tous les consistoires l'avertissement pastoral du clergé invitant les protestants à se convertir au plus tôt et en cas de refus de le faire les menaçant ainsi: « Vous devez vous attendre à des malheurs incomparablement plus épouvantables et plus funestes que ceux que vous ont attirés jusqu'à présent votre révolte et votre schisme. »
En 1683 et en 1684, Louvois fut occupé à porter la désolation dans les provinces du Midi, où, à la suite de la fermeture arbitraire de la plupart des temples, les huguenots avaient commis le crime de reprendre l'exercice de leur culte sous la couverture du ciel; mais il n'avait pas renoncé au projet de convertir tous les huguenots de France au moyen des logements militaires. « On voit, dit Roulières, par les lettres de Louvois conservées au dépôt de la guerre, qu'il prenait de secrets engagements pour renouveler à quelque temps de là, en Poitou et dans le pays d'Aunis, l'essai de convertir les huguenots par le logement arbitraire des troupes, lorsqu'un événement inattendu précipita toutes ses mesures. »
Cet événement inattendu, c'est l'emploi fait dans le Béarn, par l’intendant Foucault, pour la conversion des huguenots, d’une armée toute entière, amenée sur les frontières de l’Espagne en prévision d'une guerre, et devenue disponible, par suite d'un changement de politique.
Tout ce que peut imaginer la licence du soldat, dit Rulhières, fut exercé contre les calvinistes et, en quelques semaines, la province toute entière fut convertie.
En contant ce miracle opéré, disait-il, par la grâce divine; le Mercure ne craignait pas d'ajouter : « ce qui a achevé de convaincre les protestants du Béarn, ce sont les moyens paternels et vraiment remplis de charité, dont Sa Majesté se sert pour les rappeler à l'Église.
Louvois en apprenant la rapide conversion du Béarn où, dit-il, les troupes viennent de faire merveilles, ne s'inquiéta plus de savoir si l'on pourra qualifier de persécution, les exhortations que les soldats font aux huguenots pour les convertir.
Il écrit à Boufflers de se servir des troupes qui viennent de catholicités le Béarn, pour essayer, en logeant entièrement les troupes chez les huguenots, de procurer dans les deux généralités de Montauban et de Bordeaux un aussi grand nombre de conversions qu'il s'en est fait en Béarn. Craignant que, sans miracle, il ne puisse le faire, il lui recommande de s'attacher seulement à diminuer le nombre des huguenots, de manière à ce que, dans chaque communauté, il soit deux ou trois fois moindre que celui des catholiques.
Contrairement aux prévisions de Louvois, le miracle du Béarn se reproduit partout, c'est par corps et par communautés que se font les abjurations, et de grandes villes huguenotes se convertissent en quelques heures. Boufflers, après avoir catholicité les généralités de Montauban et de Bordeaux, a le même succès en Saintonge. De Noailles qui avait d'abord demandé jusqu'à la fin de novembre pour convertir le Languedoc, où l'on comptait deux cent cinquante mille huguenots, écrit bientôt qu'à la fin d'octobre, cela sera expédié.
Dans une lettre qu'il écrit d'Alais, il se plaint que les choses aillent trop vite, « je ne sais plus, dit-il, que faire des troupes, parce que les lieux où je les destine, se convertissent tous généralement; et cela si vite que, tout ce que peuvent faire les troupes, c'est de coucher une nuit dans les lieux où je les envoie. » Comment le miracle ne se fût-il pas reproduit? Non seulement les soldats envoyés dans une localité étaient
logés exclusivement chez les huguenots, mais à mesure que les conversions se multipliaient, ils refluaient tous chez les opiniâtres, qui se trouvaient parfois avoir jusqu'à cent garnisaires sur les bras. Si le chef de famille cédait, il fallait qu'il fasse aussi céder ses enfants; si au contraire, il voulait s'opiniâtrer alors que sa femme et ses enfants avaient fait leur soumission, ceux-ci le suppliaient de céder son tour, car il fallait que le père et les enfants fussent convertis pour que la maison fût abandonnée par les missionnaires bottés. C'est ce dont témoigne cette lettre de Louvois à M. de Vrevins :
« Lorsque le chef de la famille s'est converti, il faut que les enfants soient de sa religion... à l'égard des familles dont, le chef demeure obstiné dans la religion, et dont la femme et les enfants sont convertis, il faut loger chez lui, tout comme si personne ne s'était converti dans sa maison. »
Languedoc
Louvois
s'était d'abord réjoui sans réserve de ce succès
des missions bottées, succès qu'il qualifiait de
surprenant, et il était heureux de pouvoir annoncer à
son frère Le Tellier : que les grandes cités du
Languedoc, et, pour le moins, trente autres petites villes, des noms
desquelles il ne se souvenait pas, s'étaient converties en
quatre jours; que les trois quarts des religionnaires du Dauphiné
étaient convertis, que tout était catholique dans la
Saintonge et dans l'Angoumois, etc.
Angoumois
Cette soumission rapide et complète des huguenots finit par lui paraître suspecte. « Il faut prendre garde, écrit-il à Bâville, dès le 9 octobre 1685, que cette soumission unanime maintienne entre eux une espèce de cabale qui ne pourrait, par la suite, être que fort préjudiciable. » Dans l'intention de prévenir cette cabale, sans attendre que toutes les provinces du royaume eussent été dragonnées, Louvois pressa la publication de l'édit de révocation qui devait priver les réformés de leurs directeurs habituels, en bannissant les ministres.
Cette soumission rapide et complète des huguenots finit par lui paraître suspecte. « Il faut prendre garde, écrit-il à Bâville, dès le 9 octobre 1685, que cette soumission unanime maintienne entre eux une espèce de cabale qui ne pourrait, par la suite, être que fort préjudiciable. » Dans l'intention de prévenir cette cabale, sans attendre que toutes les provinces du royaume eussent été dragonnées, Louvois pressa la publication de l'édit de révocation qui devait priver les réformés de leurs directeurs habituels, en bannissant les ministres.
Louvois avait toujours du reste soutenu cette thèse, qu'il fallait séparer les ministres de leurs fidèles et dès le 24 août 1685, il écrivait à Boufflers :
« Sa Majesté a toujours regardé comme un grand avantage pour la conversion de ses sujets que les ministres passassent en pays étranger. Aussi, loin de leur en ôter l'espérance, comme vous le proposez, elle vous recommande, par les logements que vous ferez établir chez eux, de les porter à sortir de la province, et à profiter de la facilité avec laquelle le roi leur accorde la permission de sortir du royaume. »
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