dimanche 3 novembre 2013

Louis XIV - Dragonnades - Les hughenots - Nos ancêtres protestants en France suite 7


Louis XIV - Dragonnades - Les hughenots - Nos ancêtres protestants en
 France suite 7

Quand une galère avait à soutenir un combat en mer, la situation des rameurs, réduits à l'état de rouages moteurs de la galère, était horrible; enchaînés à leurs bancs, ayant dans la bouche un bâillon en liège, appelé tap, qu'on leur mettait pour les empêcher, s'ils étaient blessés, de troubler leurs voisins par leurs plaintes et leurs gémissements, ils devaient, bon gré mal gré, attendre impassiblement la mort au milieu d'un combat auquel ils ne prenaient point part. La mitraille et la fusillade de l'ennemi frappaient sur les rameurs, car tuer ou blesser les galériens, c'était immobiliser la galère en la privant de l'usage des jambes redoutables qui lui permettaient de marcher sans le secours du vent. Pendant ce temps, deux canons de la galère étaient braqués sur la chiourme, que tenaient en respect cinquante soldats, prêts à faire feu à la moindre apparence de révolte; les malheureux forçats étaient donc placés entre deux feux. Ils attendaient ainsi la mort, sans savoir pour lequel des deux combattants (leur galère ou le navire ennemi) ils devaient faire des vœux.

Un jour la galère où se trouvait Marteilhe, ayant échoué dans la tentative qu'elle avait faite, de clustériser avec son éperon d'avant, une frégate anglaise, se trouva bord à bord avec ce navire qui la retint dans cette situation périlleuse avec des grappins de fer.

« Ce fut alors, dit Marteilhe, qu'il nous régala de son artillerie... tous ses canons étaient chargés à mitraille... pas un coup de son artillerie, qui nous tirait à brûle-pourpoint, ne se perdait. De plus, le capitaine avait sur les hunes de ses mâts plusieurs de son monde avec des barils pleins de grenades qui nous les faisaient pleuvoir dru comme grêle sur le corps...; l'ennemi fit, pour surcroît, une sortie de quarante à cinquante hommes de son bord qui descendirent sur la galère, le sabre à la main, et hachaient en pièces tout ce qui se trouvait devant eux de l'équipage, épargnant cependant les forçats qui ne faisaient aucun mouvement de défense. »


Les rames de la galère s'étant trouvées brisées par suite de l'abordage entre les deux navires, les Anglais n'avaient plus, du reste, aucun intérêt à frapper les forçats qui ne pouvaient plus mettre les rames en mouvement.


Quant à ceux-ci, enchaînés à leurs bancs, les menottes aux mains et le bâillon à la bouche, ils eussent eu bien de la peine à faire quelque tentative de défense. L'eussent-ils pu, ils auraient été bien sots de le faire, ainsi que la montre l'exemple suivant.

Un jour, dans une rencontre entre les galères de l'Espagne et celles de la France, les galères françaises ayant le dessous, on remit aux forçats français des corbeilles de cailloux, leur promettant la liberté si l'ennemi était repoussé. Les forçats firent pleuvoir sur les Espagnols une telle grêle de pierres qu'ils les repoussèrent et que les galères françaises furent dégagées; mais on ne tint pas parole aux forçats qui, le danger passé; restèrent à la rame et furent traités comme devant.


Marteilhe poursuit ainsi l'émouvant récit du combat entre sa galère et la frégate anglaise, dans la terrible situation faite aux forçats-rameurs, par l'abordage des deux navires, Il se rencontra, dit-il, que notre banc, dans lequel nous étions cinq forçats et un esclave turc, se trouva vis-à-vis d'un canon de la frégate que je voyais bien qui était chargé; en m'élevant un peu, je l'eusse pu toucher avec la main... Ce vilain voisin nous fit tous frémir; mes camarades de banc se couchèrent tous plats, croyant échapper à son coup... Je me déterminai à me tenir tout droit dans le banc, je n'en pouvais sortir. J'y étais enchaîné! Que faire?... Je vis le canonnier, avec sa mèche allumée à la main qui commençait à mettre le feu au canon sur le devant de la frégate, et, de canon en canon, venait vers celui qui donnait sur notre banc, je ne pouvais distraire mes yeux de ce canonnier.


Il vint donc à ce canon fatal; j'eus la constance de lui voir mettre le feu, me tenant toujours tout droit, en recommandant mon âme au Seigneur. Le canon tira et je fus étourdi... le coup de canon m'avait jeté aussi loin que ma chaîne pouvait s'étendre... Il était nuit; je crus d'abord que mes camarades de banc se tenaient couchés par crainte du canon... Le Turc du banc, qui avait été janissaire, restant couché comme les autres : Quoi! Lui dis-je, Isouf, voilà donc la première fois que tu as peur; lève-toi ! Et en même temps je voulus le prendre parle bras pour l'aider.


Mais, ô horreur ! Qui me fait frémir quand j'y pense, son bras détaché du corps me resta à la main. Je rejette avec horreur ce bras... lui, comme les quatre autres, étaient hachés comme chair à pâté... Je perdais beaucoup de sang, sans pouvoir être aidé de personne, tous étaient morts, tant à mon banc qu'à celui d'au-dessous, et à celui d'au-dessus, si bien que de dix-huit personnes que nous étions dans ces trois bancs il n'en échappa que moi, avec trois blessures.)

Le combat fini, on porta les blessés dans la cale sombre et basse du navire, et l'on jeta à la mer ceux qui paraissaient morts. Dans la confusion et l'obscurité Marteilhe, à qui le sang coulé de ses blessures avait fait perdre connaissance, faillit être ainsi jeté par-dessus le bord : heureusement pour lui, un des argousins qui le déferraient, appuya si fort sur une de ses plaies que la douleur le tira de son évanouissement et lui fit pousser un grand cri.


On l'emporta à fond de cale avec les autres blessés, et on le jeta sur un câble roulé, dur lit de repos pour un malheureux blessé souffrant cruellement. Il resta trois jours dans cet affreux fond de cale, sans être pansé qu'avec un peu d'eau-de-vie et de camphre. « Les blessés, dit-il, mouraient comme des mouches dans ce fond de cale, où il faisait une chaleur à étouffer et une puanteur horrible, ce qui causait une si grande corruption dans nos plaies que la gangrène s'y mit partout. Dans cet état nous arrivâmes, trois jours après le combat, à la rade de Dunkerque. »


C'est dans cette cale que les malades étaient placés au cours d'une campagne et qu'ils avaient à passer, non trois jours, mais des semaines et des mois entiers.

Voici la lugubre description que fait de cette infirmerie des galères l’aumônier Jean Bion : Il y a sous le pont à fond de cale un endroit qu'on appelle la chambre de proue, où on ne respire l'air que par un trou large de deux pieds en carré et qui est l'entrée par où on descend en ce lieu. Il y fait aussi obscur de jour que la nuit. Il y a au bout de cette chambre deux espèces d'échafauds, qu'on appelle le Taular, sur lequel on met, sur le bois seul, les malades qui y sont souvent couchés les uns sur les autres, et quand ils sont remplis, on met les nouveaux venus sur les cordages... Pour leurs nécessités naturelles, ils sont obligés de les faire sous eux. Il y a bien, à la vérité, sur chacun de ces taulars une cuvette de bois, qu'on appelle boyaux, mais les malades n'ont pas la force d'y aller, et d'ailleurs elles sont si malpropres que le choix en est assez inutile.


On peut conjecturer de quelle puanteur ce cachot est infecté... dans ce lieu affreux, toutes sortes de vermines exercent un pouvoir despotique. Les poux, les punaises y rongent ces pauvres esclaves sans être inquiétés et quand, par l'obligation de mon emploi, j'y allais confesser ou consoler les malades, j'en étais rempli... Je puis assurer que toutes les fois que j'y descendais, je marchais dans les ombres de la mort, j'étais néanmoins obligé d'y rester longtemps pour confesser les mourants et, comme il n'y a entre le plancher et le taular que trois pieds de hauteur, j'étais contraint de me coucher tout de mon long auprès des malades pour entendre en secret la déclaration de leurs péchés; et, souvent, en confessant celui qui était à ma droite je trouvais celui de ma gauche qui expirait sur ma poitrine.

C'est dans ce triste réduit que les aumôniers des galères, de durs lazaristes que les huguenots appelaient avec raison les grands ressorts de cette machine à bâtons et à gourdins, faisaient jeter après leur avoir fait administrer une terrible bastonnade les forçats huguenots qui avaient refusé de lever le bonnet pendant qu'ils célébraient la messe.

Quand la galère désarmée hivernait dans le port, les aumôniers, par un raffinement de cruauté, obtenaient que l'on donnât pour cachot aux invalides huguenots, l'infecte cale de la galère. « Sur la vieille Saint-Louis, dit le Journal des Galères, où il y a bon nombre de nos frères, vieux, estropiés ou invalides, on les a confinés dans la rougeole, endroit où l'on ne peut se tenir debout et où passent des ordures et les immondices de chaque banc, sans avoir égard à leur vieillesse et à leurs incommodités. M. André Valette est un de ces fidèles souffrants. Pendant l'été, on l'avait placé auprès du Fougon, lieu où l'on fait du feu, afin que la chaleur et la fumée l'incommodassent, et présentement, dans l'hiver, on le fait venir dans la rougeole, où l'eau des bancs coule et où le froid entre plus qu'ailleurs, afin de le mieux affliger. »


Les aumôniers ne se résignaient qu'à regret à laisser porter à l'hôpital les huguenots qu'ils avaient fait maltraiter. Ainsi, Jean L'hostalet ayant reçu une cruelle bastonnade pour n'avoir pas levé, le bonnet, l'aumônier le retint cinq ou six jours sur la galère, bien que le chirurgien eût ordonné de le transporter à l'hôpital. Quand on l'en retira enfin, il était mourant. C'est à cet hôpital que les forçats malades, chargé de lourdes chaîne, n'ayant ni capote, ni feu par les plus grands froids, allaient achever de mourir. Un Cévenol, dit Elie Benoît, y mourut de faim, l'aumônier de l'hôpital ayant défendu de lui donner à manger pour le punir d'avoir refusé de se laisser instruire. C'est là que vint mourir le huguenot Mauru, après avoir craché tous ses poumons : il expira sur un grabat où il grelottait sans feu et sans capote. Pendant dix années, Mauru avait été tourmenté cruellement par l'aumônier de sa galère, et la haine de cet aumônier le poursuivit jusqu'après sa mort, car il fit retirer son corps de la bière dans laquelle on l'avait mis, et le fit jeter tout nu à la voirie.

Les invalides, incapables de manier la rame, restaient enchaînés à leurs bancs comme les autres forçats pendant que la galère était en campagne; à la rentrée dans le port, moyennant un sou payé aux argousins ils obtenaient comme leurs compagnons valides, la faveur d'être déferrés pendant le jour. Cette faveur accordée aux malfaiteurs et aux meurtriers, était refusée aux huguenots. Louis de Marolles écrit en 1687, que, depuis plus de trois mois, il est à la chaîne nuit et jour sur la galère la Fière.


Un des commis de l'intendant, lit-on dans le journal des galères, son rôle à la main, constate si tous les religionnaires sont à la chaîne. Quant à l'argousin trop pitoyable qui avait déferré un huguenot, il était condamné à trente sous d'amende, pour avoir épargné à ce malheureux le supplice de l'éternelle immobilité. Quand on avait un trop grand nombre d'invalides au bagne, on les envoyait en Amérique, et Louis de Marolles, désigné deux fois pour la transportation, eut la malchance de voir rapporter son ordre d'embarquement; on l'envoya mourir dans un des plus affreux cachots de Marseille.

Les aumôniers ne se bornaient pas à faire donner de rudes salades à ceux qui refusaient de lever le bonnet, mais encore ils faisaient si cruellement bâtonner les huguenots qui entretenaient ces correspondances avec le dehors et distribuaient des secours leurs coreligionnaires, que plusieurs furent emportés demi-morts à l'hôpital. Pour arriver à découvrir les coupables, les aumôniers, dit le Journal des Galères, avaient aposté certains scélérats de forçats pour leur tenir toujours les yeux dessus »; parfois même ils mettaient les suspects en quarantaine, interdisant à toute personne étrangère de leur parler et de les approcher.

Grâce au dévouement des esclaves turcs et de quelques forçats catholiques qui leur servaient d'intermédiaires, les huguenots, commis pour régir la Société souffrante des galères, purent continuer à distribuer les sommes qui étaient recueillies en Suisse, en Hollande et en Angleterre, puis envoyées à des négociants de Marseille pour être données en secours aux forçats pour la foi. En vain Pontchartrain, ayant découvert que c'était un pasteur de Genève qui faisait l'envoi des fonds, voulut-il couper le mal dans sa racine, en enjoignant aux magistrats de Genève d'avoir à faire cesser ce désordre. Le seul résultat qu'il obtint, fut de faire substituer une nouvelle organisation à l’ancienne, si bien que jusqu'au jour où le dernier forçat pour cause de religion, sortit du bagne, la caisse de bienfaisance établie à Marseille continua à recevoir les sommes recueillies à l'étranger, pour la Société souffrante des galères.


Parmi les membres de cette Société des galères, on voyait Louis de Marolles, le conseiller du roi, le baron de Monthetou, parent du duc de la Force, le baron de Salgas, le sieur de Lasterne, de la Cantinière, de l'Aubonnière, Élie Néau, les trois frères Serre, Sabatier, etc. Sur une liste de cent cinq forçats pour la foi, que donne Court, on trouve deux chevaliers de Saint-Louis et quarante-six gentilshommes.

Le forçat Fabre qui avait obtenu d'être envoyé aux galères à la place de son père, surpris à une assemblée, expose ainsi la souffrance morale infligée aux honnêtes gens en se voyant jetés au milieu des pires malfaiteurs : « Lorsqu'il me fallut entrer dans ce fatal vaisseau, que je me vis dépouillé pour revêtir l'ignominieux uniforme des scélérats qui l'habitent, confondu avec ce qu'il y a de plus vil sur la terre, enchaîné avec l'un d'eux sur le même banc, le cœur me manqua... Je laisse à penser de quelle douleur mon âme fut accablée, à cette première nuit, lorsque, à la lueur d'une lampe suspendue au milieu de la galère, je promenai mes regards sur tous ces êtres qui m'environnaient, couverts de haillons et de vermine qui les tourmentait. Je m'imaginai être dans un enfer que les remords du crime tourmentaient sans cesse. »


La spirituelle et peu sensible marquise de Sévigné contant à sa fille les horribles détails de la répression de la révolte de la Bretagne, dit : « J'ai une tout autre idée de la justice, depuis que je suis en ce pays. Vos galériens me semblent une société d'honnêtes gens qui se sont retirés du monde pour mener une vie douce; nous vous en avons bien envoyé par centaines. »

C'était bien, grâce à la persécution religieuse, une société d'honnêtes gens que celle des galères; mais l'on a vu quelle vie douce, menaient les forçats retranchés du monde. « Oh ! Noble société que celle des galères, dit Michelet. Il semblait que toute vertu s'y fût réfugiée... On put souvent voir à la chaîne avec le protestant, le catholique charitable qui avait voulu le sauver, avec le forçat de la foi ramait le forçat de la charité. On y voyait le Turc qui, de tout temps, au péril de sa vie et bravant un supplice horrible, servait ses frères, chrétiens, se dévouait à leur chercher à terre les aumônes de leurs amis »

Quelques forçats catholiques, touchés de l'héroïque constance de huguenots leurs compagnons de chaîne, se convertir à la foi protestante sur les galères mêmes, et les aumôniers n'épargnaient point les plus indignes traitements à ces apostats qu'ils menaçaient de la potence.


« Les prosélytes de la chaîne, dit le Journal des Galères, qui n'ont à espérer que des tourments et des misères dans ce monde, ne nous font-ils pas plus d'honneur que cette foule de gens convertis que l'Église romaine s'est faite, et dont elle se glorifie par le motif de l'intérêt, des charges, par dragons, par le sang et le carnage ?


Quant à l'aumônier Bion, en voyant avec quelle cruauté on maltraitait parfois, jusqu'à leur faire venir l'âme jusqu'au bord des lèvres, les forçats huguenots (et cela parce qu'ils n'avaient pas levé le bonnet ou avaient refusé de nommer la personne dont ils avaient reçu des secours pour leurs frères des galères), il abjura sa foi catholique. « Leur sang prêchait, dit-il, je me fis Protestant».


Les aumôniers secondaient les vues de Louis XIV lorsqu'ils employaient tous les moyens pour arriver à ce que le silence se fit sur ce qui se passait dans l'enfer des galères En effet, le roi voulait que tout huguenot qui y entrait, perdit toute espérance d'en sortir autrement que par la mort et que nul ne sût ce qui se passait sur les galères. Quoi que fissent pour les tourmenter, intendants, aumôniers, comites; argousins ou geôliers, les huguenots n'avaient aucun recours contre les violences les plus indignes, contre les plus révoltantes iniquités qu'on voulait laisser ignorées de tous au dehors.

Cependant, en dépit des efforts faits par les aumôniers et les intendants pour les isoler du monde entier, les forçats huguenots, soit du pont des galères, soit du bagne, soit du fond des cachots obscurs où on les renfermait parfois, trouvaient toujours moyen, grâce à des merveilles d'intelligence de patiente ruse, de faire parvenir de leurs nouvelles à leurs coreligionnaires réfugiés à l'étranger. On a recueilli les curieuses et touchantes correspondances de ces martyrs de la liberté de conscience et on les a publiées sous le titre du Journal des Galères; on y voit que, à l'étranger, on était tenu au courant, jour par jour, presque heure par heure, de ce qui se passait dans la société souffrante des galères. À l'instigation des réfugiés français, les puissances protestantes ne cessaient de renouveler leurs démarches en faveur des forçats pour la foi si cruellement persécutés, mais il semblait que rien ne pût triompher de l'implacable obstination du roi à ne se relâcher en rien de ses odieuses rigueurs.

En 1709, Louis XIV, pour obtenir la paix, consent à céder nos places frontières et offre même de payer une subvention aux puissances alliées pour détrôner son petit fils, mais il se refuse absolument à mettre en liberté les huguenots ramant sur ses galères. Son négociateur, de Torcy lui écrit à ce sujet: On a traité dans la conférence de ce matin des religionnaires détenus sans les galères de Votre Majesté. Buys a demandé leur liberté; sans allonger ma lettre pour vous informer, sire, de mes réponses, j'ose vous assurer qu'il ne sera plus question de cet article. »


En effet, il n'en fut pas question dans le traité ; mais la paix signée, Louis XIV avait trop d'intérêt à se ménager les bonnes grâces de la reine Anne pour lui refuser la grâce des forçats pour la loi; seulement, ayant promis de les relâcher tous sur trois cents il n'en mit en liberté que cent trente-six.

L'intendant des galères à qui l'on faisait observer que les libérés, astreints à partir de suite par mer, n'étaient pas en mesure de fréter un navire à leurs frais, répondait que le roi ne voulait pas dépenser un sou pour eux. Les aumôniers, furieux de voir leurs victimes leur échapper, mettaient mille obstacles à leur départ. Les malheureux, autorisés à courir la ville sous la garde de leurs argousins, finirent par traiter avec un capitaine de navire qui les débarqua à Villefranche, d'où ils se rendirent à Nice puis à Genève. Leur entrée dans cette ville huguenote, si hospitalière pour nos réfugiés, fut un véritable triomphe. La population tout entière vint au-devant d'eux, précédée de ses magistrats, et chacun se disputa l'honneur de loger les martyrs de la foi protestante.

Peu de temps après, une députation des libérés partait pour l'Angleterre et fut présentée à la reine Anne par de Rochegude et par le comte de Miramont, un des plus remuants de nos réfugiés.


Bancillon, un des forçats mis en liberté qui faisaient partie de la députation, conte que la bonne reine dit à M. de Rochegude : « Voila donc tous les galériens élargis»; et qu'elle fut fort surprise quand celui-ci lui répondit qu'il y en avait encore un grand nombre sur les galères du roi. Il lui remit la liste des oubliés; et elle promit d'agir de nouveau pour obtenir la liberté de tous les forçats pour la foi. Cette fois le grand roi dut s'exécuter complètement, et en 1714, on relâcha tous les galériens condamnés pour cause de religion, parmi lesquels se trouvait, entre autres, Vincent qui, depuis douze ans, avait fini le temps de galères auquel les juges l'avaient condamné.

De nouvelles condamnations furent prononcées bientôt contre les protestants ayant assisté à des assemblées de prières, si bien que, sous la régence, on eut encore à faire de nouvelles mises en liberté de forçats pour la foi. Puis, à partir de 1724, on recommença à appliquer les, édits du grand roi avec tant de rigueur que les bagnes se peuplèrent de nouveau de huguenots.


Mais le sort des galériens était devenu moins dur par suite de la transformation du matériel maritime de la France ; en effet, sous la régence on avait mis à la réforme les deux tiers des galères. Il y en avait encore quelques-unes sous Louis XVI, mais elles ne servaient plus que pour la parade, pour les voyages des princes et des hauts personnages, en sorte que les galériens étaient rarement soumis au dur supplice de la vogue.

Jusqu’au dernier moment, l'administration et la justice françaises s'obstinèrent à envoyer les gens aux galères pour cause de religion, si bien que, de 1685 à 1762, plus de sept mille huguenots furent mis au bagne. En 1763, au lendemain du jour où venait d'être prononcée la dernière condamnation aux galères pour cause de religion, le secrétaire d'État , Saint-Florentin (pour repousser la demande de mise en liberté de trente-sept forçats pour la foi, faite par le duc de Belford) disait : « Je n'ai pas entendu dire que nous ayons demandé grâce pour des catholiques condamnés en Angleterre, pour avoir contrevenu aux lois du pays. Les Anglais ne devraient donc pas solliciter en faveur des religionnaires français condamnés pour avoir contrevenu aux nôtres. »

Le progrès de l'esprit de tolérance en France finit par avoir raison de l'obstination des administrateurs à vouloir appliquer les édits de Louis XIV, impudente violation de la liberté de conscience.

En 1769, le duc de Brunswick crut avoir obtenu la liberté du dernier galérien, condamné pour cause de religion ; c'était un vieillard de quatre-vingts ans. « Ce pauvre infortuné, écrivait le pasteur Tessier, sent à peine son bonheur à cause de son âge.»


Il restait encore cependant deux forçats pour la foi, oubliés au bagne depuis trente ans. M. Eymar, que Court avait chargé d'obtenir leur grâce, dit qu'ils jouissaient de la plus grande faveur, pouvant aller librement et sans gardes, exercer en ville une profession lucrative; « en un mot, dit-il, ils ne portaient plus du galérien que le titre et la livrée; d'un autre côté, ils avaient perdu de vue, pendant leur long esclavage, leur famille et leur pays; leurs biens avaient été confisqués, dilapidés ou vendus... Que retrouveraient-ils en échange de l'aisance assurée qu'ils allaient perdre, si ce n'est l'abandon et peut-être la mendicité ? »


Aussi, quand M. Eymar annonça à ces deux vieillards qu'ils étaient graciés, il les vit accueillir cette bonne nouvelle avec la plus froide indifférence. « Je les vis même, dit-il, pleurer leurs fers et regretter leur liberté. » Heureusement que la Société de secours, établie à Marseille pour les galériens, existait encore ; elle put fournir à ces malheureux, devenus si peu soucieux de leur liberté, un équipement complet et une somme de mille francs pour les mettre à l'abri de la misère qu'ils redoutaient.

On le voit, c'est presque à la veille de la révolution que sortirent du bagne les deux dernières victimes de l'odieuse législation de Louis XIV, impitoyablement appliquée pendant un siècle.

Louis XIV avait mis en prison, à l'hôpital ou au couvent, expulsé ou transporté en Amérique les opiniâtres qui persistaient dans les erreurs d'une religion que, écrivait-il au duc de la Force, je ne veux plus tolérer dans mon royaume.


Il avait envoyé aux galères tout huguenots qui avaient tenté de passer à l'étranger, assisté à une assemblée de prières, ou rétracté l'abjuration que la violence lui avait arrachée. Pour compléter le tableau de cette odieuse croisade faite par le roi très chrétien contre la liberté de conscience de ses sujets, il ne me reste plus qu'à raconter ce que furent les exhortations données aux huguenots par ses soldats, qu'à faire la lamentable histoire des dragonnades.




http://www.regard.eu.org/Livres.7/Huguenots/18.html

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