dimanche 3 novembre 2013

Louis XIV - Les filles du Roi partie 1


Filles du Roi

Mémoire de M. Talon
adrefsé à
Monseigneur Colbert         
Fait à Québec, ce dixième Novbre 1670

L’expression Filles du Roy sous-entend que ces immigrantes étaient les pupilles de

Louis XIV et qu'à titre de protecteur, celui-ci suppléait aux devoirs de leur père naturel en veillant sur elles et en les dotant. En Nouvelle-France, entre 1663 et 1673, la question de la dot a pris une importance particulière, puisque les autorités allaient inciter les hommes seuls à les épouser.
La grande traversée

Le trajet de France au Québec, il faut traverser l’océan Atlantique. Au temps de la Nouvelle-France, le voyage en bateau à voile était très pénible et les premiers colons avaient peur de faire ce long voyage.

En 1663, Louis XIV, roi de la France, prend la décision de mieux s’occuper de la colonie de la Nouvelle-France. Il n’est pas satisfait de ce qui s’y passe. Surtout, il commence à penser que la Nouvelle-France ne sera jamais peuplée. Les colons manquent pour habiter le nouveau pays.

Le Roi nomme alors des hommes de confiance, des officiers nobles et riches, pour le représenter et lui faire des rapports sur l’état de la colonie. Ces officiers s’entendent tous sur une des causes de l’absence de colons : le manque de confort sur les voiliers qui les amènent en Nouvelle-France.

Il faut parfois jusqu’à deux mois pour traverser l’océan. La vie à bord est toujours difficile pour les passagers. Certes, les nobles ont droit à un traitement de faveur : de la viande fraîche, des légumes et du vin. Pour eux, des serviteurs montent à bord des boîtes de terre dans lesquelles ils font pousser des légumes frais. Pour leur servir de la viande fraîche, on embarque même des animaux vivants, des veaux, des cochons et des poules, entassés dans les cales du navire avec les colons et les soldats. Et luxe suprême, ils dorment dans de vrais lits.

Les gens du peuple, c’est-à-dire les colons et les soldats, n’ont souvent jamais fait de voyage en bateau. Ils sont habitués de se déplacer à pied ou à cheval. Aussi, lorsque le bateau prend la mer et que les vagues le soulèvent, les gens attrapent le mal de mer.

La nourriture des colons et des soldats est simple : beaucoup d’eau, des céréales, des pois et du lard salé. Certains colons amènent parfois un peu de nourriture fraîche avec eux : du fromage, du pain et des légumes, qu’ils mangent dès les premiers jours de la traversée quand ils n’ont pas encore mal au cœur.

Rapidement, ils n’ont plus rien de frais à se mettre sous la dent. De toute manière, la nourriture ne se conserve pas longtemps : il n’y a pas de réfrigérateur pour conserver les aliments à cette époque. Le manque de nourriture saine, la présence des rats et des animaux font que nombre de passagers attrapent des maladies, dont le scorbut. Cette maladie
s’attaque aux gens qui ne mangent pas d’aliments frais contenant de la vitamine C. Leurs gencives saignent et leurs dents tombent. Les malades ont mal à l’estomac et ne peuvent plus manger.

Des passagers meurent pendant la traversée et d’autres succombent en arrivant au Québec. Plusieurs passagers sont malades pendant un certain temps. Aussi le nombre de colons qui arrivent sains et saufs en Nouvelle-France est toujours plus petit que le nombre de passagers embarqués au début du voyage. Les survivants sont souvent ceux qui, au départ, étaient en très bonne santé. Rendus à Québec, ils doivent vite se préparer à affronter leur premier hiver dans le froid et la neige.

Pendant quelque temps, la ferme de 30 arpents devient leur foyer jusqu’à ce qu’elles réussissent à s’adapter aux rigueurs du pays, à se débrouiller dans le monde difficile de la colonie... et à prendre mari.
Elles avaient été sélectionnées une à une par les religieuses et elles étaient en bonne santé. La preuve? Vingt ans plus tard, elles avaient fait tripler la population.

Envoyées par Louis XIV à la demande de Jean Talon, ces filles avaient en moyenne 24 ans. Elles venaient pour la plupart de l'Hôpital général de Paris, un hospice où étaient gardés les pauvres et les enfants abandonnés. Elles débarquaient avec une dot du roi de 50 à 100 livres et, six mois plus tard, étaient généralement mariées.

En Nouvelle-France, on se marie pendant la période d'arrivée des navires, c'est-à-dire du mois d'août au mois d'octobre.

Accueillies à leur arrivée chez les religieuses ou logeant chez des bienfaiteurs, les filles du roi étaient rapidement mariées. Comme la population de la colonie était majoritairement composée d'hommes, le choix des prétendants ne manquait pas pour les nouvelles arrivantes. Elles pouvaient se permettre de choisir le parti le plus avantageux, le mieux étant d'avoir une habitation. En 1666, lors du recensement, on dénombre 719 célibataires masculins agés de 16 à 40 ans et seulement 45 filles célibataires dans la même tranche d'âge.

La rudesse du climat et de la vie a obligé ces femmes à délaisser les travaux d'aiguille fins au profit d'un artisanat adapté aux exigences de la vie dans la colonie.
Une belle dot

De 1663 à 1673, près d'un millier de jeunes filles sont arrivées en Nouvelle-France. Un texte de Jean-Raymond Douville et J.-D. Casanova signale que "Pour les jeunes filles de condition, destinées aux officiers méritants mais sans fortune, le cadeau du roi varie de cent à cinq cents livres. La dépense préliminaire est fixée à cent livres. Dix livres sont allouées pour le choix ou la levée, trente pour les vêtements et soixante pour la traversée. Pour sa part, le Conseil Souverain de la Nouvelle-France fournit, aux immigrées, quelques vêtements conformes au climat, et des provisions tirées des magasins du roi."


L'expression Filles du Roy sous-entend que ces immigrantes sont les pupilles de Louis XIV et qu'à titre de protecteur, celui-ci supplée aux devoirs de leur père naturel en veillant sur elles et en les dotant. En Nouvelle-France, entre 1663 et 1673, la question de la dot prend une importance particulière, puisque les autorités vont inciter, sinon forcer les hommes à les épouser.
 
Les dots conventionnelles des filles du pays sont généralement constituées de meubles, d'articles de ménage, d'argent, de terres ou d'autres biens reçus en héritage. S'ajoute parfois à ces éléments qui sont identifiés au contrat de mariage, la perspective d'un héritage à venir. Généralement, quel que soit leur sexe, tous les enfants d'un couple ont droit à une part égale de l'héritage familial. Même la plus pauvre des filles peut compter sur des biens qui, s'ils ne lui appartiennent pas au moment de l'engagement, viendront, un jour, enrichir le patrimoine de la famille qu'elle s'apprête à fonder.

L'expression «Les Filles du Roy» s'applique exclusivement aux femmes et aux filles ayant émigré en Nouvelle-France entre 1663 et 1673. Ces jeunes femmes en âge de se marier et de procréer sont appelées ainsi parce que les dépenses liées à leur transport et à leur établissement, de même que la dot de certaines d'entre elles, ont été assumées par le trésor royal.
Dans un coffre, «1 cassette (coffre), 1 mouchoir de taffetas, 1 ruban à souliers, 100 aiguilles, 1 peigne, 1 fil blanc, 1 paire de bas, 1 paire de gants, 1 paire de ciseaux, 2 couteaux, 1 millier d'épingles, 1 bonnet, 4 lacets et 2 livres en argent.» Ce coffret tapissé de velours et réservé aux articles de valeur n'est pas de ceux que transportaient les Filles du Roi, trop pauvres pour prétendre à ce luxe.

La recrue féminine de 1668 compte 78 Filles du Roy. La plus grande partie du groupe est d'origine française, mais on y trouve quelques filles issues d'autres peuples. Selon Marie de l'Incarnation, on y trouvait une Maure, une Portugaise, une Allemande, une Hollandaise...

Si elles n'éprouvent généralement pas de difficulté à se trouver un mari, quelques-unes en rencontrent dans l'adaptation à la vie quotidienne en Nouvelle-France. La raison en est simple puisque, selon Marie de l'Incarnation, il s'agit de citadines, peu ou pas préparées au travail de la terre.

Dès 1668, des mesures sont prises pour réduire le risque d'en voir débarquer d'autres. C'est pourquoi Anne Gasnier, une femme de Québec, est désignée pour se rendre en France afin d'y participer au choix des recrues qui présentent le meilleur potentiel d'adaptation au contexte particulier de la Nouvelle-France. Elle s'adressera aux institutions de charité, là où sont reçues et hébergées orphelines et filles pauvres.

Le fait que près de la moitié des Filles du Roy aient donné Paris comme lieu d'origine ou de départ, n'exclut pas l'hypothèse qu'elles aient pu naître ailleurs. Les recherches menées par les historiens permettent de conclure que la plupart des provinces françaises ont vu partir pour le Canada une ou plusieurs jeunes filles.

Après l'Île-de-France, les provinces ayant le plus contribué à ce mouvement sont : la

Normandie, avec 120 filles, l'Aunis, le Poitou, la Champagne, la Picardie, l'Orléanais et la Beauce. Seules l'Alsace, le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, le Roussillon, le Béarn, la Gascogne et le comté de Foix n'y auraient pas participé.

La plupart des Filles du Roy sont des célibataires d'origine modeste. Bon nombre sont issues de familles terriennes, plusieurs sont orphelines. Parmi elles se sont glissées quelques veuves dont certaines ont déjà donné naissance à un enfant.

Il est difficile, sinon impossible, de savoir en quoi leur éducation a consisté. Semblables en cela aux femmes et aux hommes de leur temps, la plupart d'entre elles ne savent ni lire ni écrire. Les beaux partis, ces filles qu'on destine aux officiers du régiment de Carignan-Salières ou aux célibataires d'origine bourgeoise ou noble sont des «demoiselles». Leur nombre, puisqu'on souhaite surtout l'apport de femmes robustes et aptes au travail, est mesuré. Au total, moins d'une cinquantaine de Filles du Roy auraient appartenu à cette élite.

Entre leur arrivée à Québec et leur mariage, les Filles du Roy sont placées sous la protection de religieuses, de veuves ou de familles. Elles sont logées et nourries.

Des quelque 1000 femmes qui ont entrepris le voyage, seulement 800 ont débarqué au Canada.

Elles ont conclu des contrats de mariage avec les hommes déjà établis en Amérique et habituellement se sont mariées dans les jours ou les semaines suivant la signature du contrat. Souvent, les filles brisaient le contrat initial, juste pour le refaire ou en faire de nouveaux avec d'autres hommes.
Une rumeur, sans fondement, lancée par un poète appelé Saint-Amant, et amplifiée par des publicistes mal informés, fait des filles du roi, des filles de joie. Certains vont, même, jusqu'à les qualifier de garces. Pourtant, des témoins, déjà au pays et en mesure de témoigner de la très haute valeur morale de ces immigrantes, ont réfuté ces allégations.

Ces filles du roi sont, dans une proportion de 70%, des citadines. Certaines viennent de bourgs qui n'appartiennent pas à la paysannerie, tandis qu'un petit pourcentage est issu de la bourgeoisie et de la petite noblesse. Très peu, d'entre elles, peuvent être considérées "fille de petite vertu". Les statistiques de l'époque avancent même que 2,8% seulement, de celles-ci, se sont rendues coupables de fautes et de délits mineurs.

La confusion peut s'expliquer par le fait que, des prostituées racolées, dans Paris et dans certaines villes portuaires, par des marchands, des armateurs et des capitaines, ont été transportées vers les îles des Antilles. Toutefois, ces "cargaisons humaines" arrivent à bon port, sans l'intervention des pouvoirs publics. C'est aussi, très certainement, à cause de l'ignorance géographique; on confond les colonies françaises du Sud et celles de la Nouvelle-France. Ainsi, toutes les émigrantes, dirigées vers les possessions françaises d'outre-Atlantique, sont-elles baptisées, sans discernement, « filles du roi ».

De 1663 à 1673, période où l'immigration de cette nature est la plus intense, près d'un millier de jeunes filles sont arrivées en Nouvelle-France. "Pour les jeunes filles de condition, destinées aux officiers méritants mais sans fortune, le cadeau du roi varie de cent à cinq cents livres. La dépense préliminaire est fixée à cent livres. Dix livres sont allouées pour le choix ou la levée, trente pour les vêtements et soixante pour la traversée. Pour sa part, le Conseil Souverain de la Nouvelle-France fournit, aux immigrées, quelques vêtements conformes au climat, et des provisions tirées des magasins du roi."

Ainsi donc, grâce à leur ténacité et à leur courage, hérités des ancêtres, les "filles du roi", avec leurs devancières, sont les mères du peuple canadien-français. Elles ont assuré la survivance et la conservation de son héritage moral et culturel. Les descendants de ces humbles femmes n'ont pas à rougir d'elles ni à les renier mais doivent plutôt en être fiers. 

La Salpêtrière et « les Filles du Roy »

De: (Abbé Prévost, Manon Lescaut)
 
« Filles du Roi », chez beaucoup de Français

cette appellation provoque le réflexe mnémotechnique « Filles de joie ».
 
Si vous y accollez le nom de la Salpêtrière, l’image mentale immédiate, pour qui a lu l’Abbé Prévost, est celle de Manon Lescaut. Et pour qui connaît les gravures et peintures du dix-huitième siècle, s’ajoute le rappel des charrettes chargées de femmes échevelées, attachées les unes aux autres : des tombereaux de « prostituées » ramassées par les rues de Paris et roulant vers « l’Hôpital Général » sous les quolibets de la foule, ou des chariots qui emmènent ce « bétail » (mot souvent retrouvé dans des textes d’époque évoquant ces femmes) de la Salpêtrière jusqu’aux ports de Dieppe ou du Havre pour un départ forcé vers les Amériques.

« Je m’arrêtai un moment pour m’informer d’où venait le tumulte ; mais je tirai peu d’éclaircissement d’une populace curieuse… qui s’avançait toujours… en se poussant avec beaucoup de confusion… Ce n’est rien, Monsieur, me dit un archer ; c’est une douzaine de filles de joie que je conduis… jusqu’au Havre-de-Grâce, où nous les ferons embarquer pour l’Amérique (…) On commençait, dans le même temps, à embarquer quantité de gens sans aveu pour le Mississipi. M. le lieutenant général de police leur donna sa parole de faire partir Manon par le premier vaisseau. »

Plusieurs centaines de filles ont en effet quitté annuellement la Salpêtrière pour les Antilles et la Louisiane à partir de 1680, et ce pendant plus de cinquante ans. Les administrateurs de la Salpêtrière profitaient de ces départs pour nettoyer certains pavillons de l’Hôpital de leurs éléments les plus turbulents, les plus corrompus, les plus laids ; sans oublier les prostituées présentes en grand nombre après 1685. Cela faisait rire et jaser à l’époque, rêver libertins et libertines des salons et des rues. On associa vite la Salpêtrière et l’envoi de prostituées à toute l’Amérique.

Évitons de confondre les jeunes femmes en partance pour le Canada avant 1673 avec les filles à marier « tirées » de la Salpêtrière .

Pour les Antilles après 1680 (soit après la construction de la Maison de Force, leur terrible pavillon d’emprisonnement), ni avec  les « forçats de la chaîne » (hommes et femmes rassemblés à la Salpêtrière) des années 1718-1719-1720 condamnés, comme le fut Manon Lescaut, à la déportation en Louisiane.

Et ne leur attribuons pas l’expression « Demoiselles à la cassette », qui concerne seulement le convoi de 88 filles de qualité triées sur le volet par les responsables de l’Hôpital en 1721. Le firent-ils dans l’espoir de gommer le tragique des dernières déportations?

Orphelines en France et Pionnières au Canada

Nous qualifierons pour notre part de « grands-mères fondatrices » ces femmes arrivées au Canada entre 1663 et 1673, au même titre que les autres pionnières établies avant 1680.

L’envoi de pensionnaires de la Salpêtrière au Canada par regroupements de plus de cinquante « épouseuses » s’est produit en 1669, 1670, 1671. En 1665, 1668 et 1673, elles étaient entre 20 et 30. Sur l’ensemble des 770 Filles du Roy retenues par Yves Landry, on compte 327 recrues de Paris et sa région, dont environ 250 venues de l’Hôpital Général. Comme ces dernières ont été les plus nombreuses (le tiers) et leurs convois parmi les plus importants, on lia donc Salpêtrière et Filles du Roy. Pourtant, en vinrent aussi beaucoup des Maisons de Charité de Paris, surtout de Saint-Sulpice (46). Par ailleurs, 127 étaient d’origine normande (Marie Major était de Touques dans le Calvados), 102 venaient du Poitou, de l’Aunis et de Saintonge. Ces provinces étaient voisines des ports de Dieppe ou de La Rochelle, d’où elles voguèrent vers le Nouveau Monde. Parmi elles, une quinzaine de protestantes (Marie Targer, mère d’Elisabeth Royer, deuxième épouse de Pierre Blais, avait été baptisée au Temple de la Villeneuve, à La Rochelle).

Autre particularité de La Salpêtrière 

Suite aux instructions données par Colbert et l’intendant Talon, le recrutement y fut dirigé et encadré par Madame Bourdon et Mademoiselle Estienne, venues à cette fin de la Nouvelle-France. Il leur fallait choisir des femmes jeunes, en bonne santé, « pas trop contrefaites » ni trop laides, « vaillantes», de bonnes mœurs, « dégourdies » et, il va sans dire, célibataires… parfaites quoi! Les Filles du Roy de l’Hôpital Général étaient « désignées » par le roi pour partir fonder des familles au Canada.

Mais elles partaient en femmes libres comme toutes les « épouseuses » recrutées ; elles pouvaient revenir en France (peu l’ont fait) ; elles étaient libres de choisir leur époux (chose peu courante à l’époque), avaient même le droit d’annuler un contrat de mariage avec un soupirant pour en signer un deuxième (et parfois un troisième) avec un autre qu’elles épousaient enfin. Elles se marièrent dans les six mois suivant leur arrivée, et eurent rapidement de nombreux enfants. Elles se marièrent parfois deux, trois fois, et réunirent les familles sous un même toit. La plupart eurent une longue vie, notamment celles arrivées en 1669-1670-1671. Elles étaient donc « robustes » les petites de la Salpêtrière, fort « résistantes » et plutôt « saines ». Comme par miracle, elles avaient renversé l’ordre des choses pour elles-mêmes et pour leur progéniture.

Nouvelle-France
En Nouvelle-France balbutiante où, de 1635 à 1660, se sont établis 1200 sujets de leurs majestés Louis XIII et Louis XIV. L’immigration première a surtout été masculine (deux fois plus d’hommes que de femmes), composée de célibataires jeunes. Des milliers « d’engagés », faute de femmes à marier, n’ont fait que passer, rentrant en métropole au terme de leur contrat de « 36 mois » (soit les 66% des 15.000 Français venus avant 1700).

En 1663, au moment de la prise en main de la colonie par l’administration royale, la situation était devenue alarmante ; faute de femmes pour fixer les hommes sur place et faute de soldats pour défendre les colons des « petites guerres » menées par les Iroquois, l’avenir de la vallée laurentienne était menacé. Louis XIV et Colbert ont été dans l’obligation de fournir aides financières et encadrement pour l’envoi de nouveaux hommes de tâche et de nombreuses filles à marier. Viendront aussi 1 200 soldats, dont environ le tiers s’établira le long du fleuve Saint-Laurent. C’est l’époque célèbre de l’arrivée du Régiment de Carignan et des Filles du Roi.
                                                            « Filles du Roy »

« Filles du Roy », l’expression a été utilisée pour la première fois par mère Marguerite Bourgeoys, fondatrice de la Congrégation Notre-Dame de Montréal, dans ses écrits autographes en 1698. Découverte au XIXe siècle, cette dénomination est depuis lors utilisée pour désigner les filles à marier, célibataires ou veuves, venues en Nouvelle-France entre 1663 et 1673 (« pour faire des familles » comme disait Marguerite Bourgeoys), ayant reçu l’aide du roi pour leur transport, leur établissement, voire les deux. Certaines d’entre elles touchaient en plus une dot d’une valeur de 50 livres au moment de leur mariage (effets d’utilité courante plutôt qu’espèces). Cette dot devait aider les plus dépourvues : 250 filles ont ainsi été dotées, dont une majorité des recrues de la Salpêtrière.

Approchons maintenant ces 770 « Filles du Roué » parties pour le Canada entre 1663 et 1673. Oui, rallions « ces premières aïeules (…), des audacieuses et des vaillantes, qui, s’exilant de la patrie, marchèrent avec les hommes à la conquête du sol et de la forêt et, refusant de céder aux guérillas iroquoises, fondèrent les familles, d’où est sorti tout un peuple… » Des études en démographie historique ont mis en évidence leur importance : les 3380 pionniers établis en famille sur les rives du Saint-Laurent avant 1680 sont à l’origine des deux tiers des gènes des Québécois francophones (sans parler de tous leurs descendants essaimés dans l’ouest du Canada et aux Etats-Unis). Les « Filles du Roy » représentent le quart de ces pionniers, et plus de la moitié des femmes venues de 1608 à 1680.

Ces grands-mères fondatrices apparaissent dans tous les tableaux d’ascendance des Québécois ; parfois en grand nombre, si on ne se limite pas à la seule branche paternelle en ligne directe. En dix ans, la population de la colonie a triplé. Le colon français devenu un Canadien assure lui-même son avenir, par ses propres enfants. L’envoi de filles à marier prend fin en 1673, après le départ de l’intendant Talon qui fut sans doute le grand zélateur de l’entreprise. Colbert estime que désormais la population sur place peut suffire à son propre renouvellement, et puis la guerre de la France avec la Hollande sollicite le trésor royal et l’attention du roi.

Rejoignons à présent Paris et entrons dans ce grand Hôpital d’où partirent, au cours des années 1665, 1668, 1669, 1670,1671, 1673, environ 250 femmes de 15 à 25 ans (elles comptent parmi les plus jeunes Filles du Roy), dont les trois-quarts étaient orphelines, et toutes pauvres. La plupart étaient originaires de Paris et de sa région ; elles étaient surtout urbaines, alors que leurs futurs époux – engagés et soldats – seront en majorité des ruraux. Leur influence sera déterminante pour la francisation de la langue dans la colonie (le français de l’Île de France a pris rapidement le pas sur les divers patois des arrivants).Une centaine d’entre elles savaient signer leur nom, elles étaient donc passées par les Ecoles de l’Hôpital Général. Trop peu nombreuses cependant, on peut supposer que beaucoup n’avaient fait qu’un court séjour à la Salpêtrière et venaient de milieux quasiment incultes.

Pitie-Salpetriere, aujourd’hui

Qui à Paris ne connaît pas la Pitié-Salpêtrière, ce groupe hospitalier de renommée internationale, l’un des premiers d’Europe? Soixante-quinze bâtiments répartis sur trente-cinq hectares, abritant 1620 lits (l’ensemble reçut, pour la seule année 2008, près de soixante mille patients). A la pointe des connaissances et des techniques en neurologie, cancérologie, cardiologie, chirurgie de la colonne vertébrale, transplantation d’organes, il est aussi le premier centre hospitalier universitaire de France et l’un des milieux de recherche les plus ouverts aux échanges internationaux.

Misère et grande misère


De nos jours, cet hôpital est un lieu de liberté, tourné vers la vie, la vie à sauver, la vie à remettre sur ses rails, la vie à donner, la vie à partager. Mais il fut un temps où la Pitié et la Salpêtrière, séparées l’une de l’autre, furent des lieux d’enfermement de femmes et d’enfants. Enfermer pour cacher la misère et la mater, pour oublier la souffrance, ses maux et s’en protéger, pour étouffer les cris de la folie et en conjurer la peur, enfin pour emprisonner celles qui encombraient, qui dérangeaient, qu'insupportaient, toutes celles qu’on jugeait

« condamnables » dans Le Désordre des familles (Arlette Farge et Michel Foucault). Lieux d’enfermement, lieux d’emprisonnement qui menaient vers la mort plus que vers la vie.

C’est que Pitié et Salpêtrière, au XVIIe siècle, sont nées d’une même volonté, celle de « boucler » les pauvres, les mendiants, les errants de toutes sortes, de chaque sexe et de tous âges. L’absolutisme grandissant du pouvoir royal, l’affairisme dominant du nouvel ordre bourgeois et le rigorisme envahissant des « dévots » ne s’accommodaient plus de la « désorganisation » de Paris.

Au Moyen-Age, le pauvre et le fou n’étaient pas des êtres à exclure, ni à enfermer ; ils étaient les exutoires de la crainte de l’enfer. Et l’aumône aux indigents fut longtemps le tribut à payer pour sauver son âme. C’est avec le XIVe siècle que grandit chez les gens des cités la peur du vagabond et du mendiant. Leur nombre ne cesse de grossir : guerres, famines, épidémies, impôts contraignent beaucoup de paysans à quitter leurs lopins de terre pour chercher du travail dans les villes. Ils n’en trouvent pas toujours. Sans ressources, sans toit, ils s’agglutinent alors en groupes insaisissables et incontrôlables. Ils peuvent voler, détruire, menacer l’ordre moral et public. « En ville, la misère est brutale », a écrit l’historien polonais Bronislav Geremek.

François 1er, puis Henri IV vont tenter de contrôler, d’endiguer ce flot de miséreux dans Paris, hésitant entre charité et répression, mais en vain. On compte 30 000 mendiants lors du siège de la capitale par Henri IV ; 40 000 au début du règne de Louis XIII pour une population d’environ 400 000 habitants. Les lois d’exclusion, jusque là mises en échec, sont remplacées par des mesures de répression. Il faut punir le pauvre d’être pauvre. Il faut l’aider à sauver son âme, malgré lui. On lui construira des « maisons » où piété et travail feront loi. On les appellera « hôpital » suivant le sens ancien d’hospice, qui offre l’asile aux nécessiteux. C’en sera fini, croit-on, de l’oisiveté, mère de tous les vices.

Ainsi, en 1611, les magistrats de Paris et le président du Parlement, avec l’appui de Louis XIII, mettent en place règlements et structures pour « renfermer les pauvres ». Ces actions répressives paraissant efficaces, la régente Marie de Médicis crée, dès 1612, un établissement pour recevoir les mendiants valides. Ce sera, à l’emplacement actuel de la Mosquée de Paris, « Notre-Dame-de-la-Pitié » construite sur le terrain d’un jeu de paume, en haut du Jardin royal des plantes médicinales.

« Retenons précieusement cette date que nous ne citerons qu’avec respect : 1612, car nous considérons qu’elle marque, en toute simplicité, la naissance hospitalière, si l’on peut dire ! du groupe actuel. » (Pitié-Salpêtrière), rappelle Maximilien Vessier dans La Pitié-Salpêtrière.
Quatre siècles d’histoire 


En s’appuyant sur la politique de redressement de ses inspirateurs, Marie de Médicis ira jusqu’à ordonner que les pauvres renfermés « soient nourris le plus austèrement possible et astreints aux travaux les plus pénibles ». Mais, faute d’une gestion sérieuse, et les gueux préférant la liberté à un toit si « in-hospitalier », ce premier établissement de la Pitié n’abritera plus en 1618 que des enfants, des vieilles femmes et des filles repenties. Il vivotera jusqu’à la création de l’Hôpital Général en 1656.

La charité et les orphelins

De 1618 à 1648, la Guerre de Trente ans accapare Louis XIII. De 1648 à 1653, le jeune Louis XIV est paralysé par les soulèvements de la Fronde. La misère, elle, court toujours les rues. Elle prend de plus en plus le visage de l’enfance en perdition. Le Grand Siècle ne fut-il pas le siècle des orphelins, ces « enfants du malheur » ? Plus de 30% des enfants ayant atteint 15 ans sont orphelins de père, dit Isabelle Robin-Romero dans Les Orphelins de Paris. « Près des deux tiers des Filles du Roy étaient orphelines de père », note de son côté Yves Landry.

Les guerres de religion et leurs multiples sursauts ont repoussé au règne de Louis XIII et à la régence d’Anne d’Autriche, la mise en pratique de la réforme catholique, née du Concile de Trente (1545-1563).

Le Grand Siècle sera de fait une époque de « charité », qui s’intéressera d’abord aux enfants errants. On fera des maisons pour eux, on les instruira, on leur apprendra un métier, on les dotera et on les mariera. Ces institutions seront appelées « hôpital », « maison de charité »,  « maison d’orphelins », « maison d’orphelines ». Les enfants accueillis là proviendront le plus souvent des classes moyennes de la société. Les autres, moins privilégiés, seront dirigés vers les Maisons de l’Hôpital Général.

« La charité, sous l’influence prépondérante de saint Vincent de Paul, devient à la fois une obligation religieuse et une mode. Elle s’exerce, pour les laïcs, dans le cadre de la paroisse (où se forment les confréries paroissiales). Les « personnes pieuses » coordonnent leurs actions charitables dans la Compagnie du Saint-Sacrement où chacun est chargé d’une mission (…) Le pouvoir ne pouvait pas lutter seul contre la misère, la maladie et la délinquance, sans le concours de l’Eglise. Le clergé séculier, de nombreux laïcs, les ordres religieux ont l’initiative de fondations charitables … pour venir en aide aux pauvres, aux orphelins, aux filles pénitentes.»


En cette première moitié du XVIIe siècle, congrégations religieuses, fondations des « Dames de la Charité » entourant Vincent Depaul (Madame de Miramion, Mademoiselle Blosset, Louise de Marillac), institutions privées telle celle du président du Parlement Antoine Séguier et paroisses comme celle de Saint-Sulpice de Jean-Jacques Olier mettent en place un réseau important de « maisons d’orphelines » : les « Cent Filles » pour Séguier, la « Mère de Dieu » pour Olier. Là, on tâche d’apprendre à des fillettes et jeunes filles pauvres et seules « à bien vivre la doctrine chrétienne, à lire et écrire, à coudre et à besogner ».

La quasi totalité de ces maisons s’élèvent au voisinage de la Pitié. « Cette extrémité de Paris n’étoit alors occupée que par les jardiniers dont les chaumières éparses dans la campagne ne pouvoient point vicier la pureté de l’air », dit de ce lieu le président Séguier. Et la Bièvre y coulait paresseusement, pas encore trop polluée. « L’Oeuvre des Enfants trouvés » de Monsieur Vincent, grâce aux aides de Louis XIII et d’Anne d’Autriche et à celles de généreuses dames de la noblesse, devenait enfin réalité en 1645. On appela « Enfants du Roy » les orphelins qui y furent accueillis. D’où sans doute l’expression « Filles du Roy », chère à Marguerite Bourgeoys.

Sur les 240 Filles du Roy parisiennes, 46 venaient de Saint-Sulpice, sans doute de la maison d’orphelines de cette paroisse. Les Sulpiciens de Jean-Jacques Olier et la Compagnie du Saint-Sacrement étaient alors impliqués dans le développement de Montréal. Saint-Sulpice avait déjà envoyé des filles à marier sous l’administration de la Compagnie de la Nouvelle-France, avant 1663. Et l’intendant Talon avait sollicité le nouveau curé de la paroisse, Monsieur de Brétonvilliers, pour qu’il lui envoie des filles « de qualité ».

La Salpetrière, coeur de l'hôpital général de Paris

La duchesse d’Aiguillon (nièce de Richelieu), Dame de la Charité très active aux côtés de Vincent Depaul, proche aussi de la Compagnie du Saint-Sacrement, sera à l’origine de la création de la Salpêtrière. Elle obtiendra, en 1653, de la régente Anne d’Autriche un brevet de donation pour « l’Enclos de La Salpêtrière » (lieu de fabrication du salpêtre sous Louis XIII). Ce terrain dégagé, le long de la Seine, en face du Grand Arsenal, était à l’abandon depuis qu’on n’y fabriquait plus de la poudre à canon. S’élevaient là quelques granges, des magasins, la petite chapelle Saint-Denis. De l’autre côté de la Bièvre qui bornait le terrain, s’étendait le Jardin Royal des Plantes médicinales. « L’Enclos de la Salpêtrière », nous le savons,  n’était pas très éloigné de Notre-Dame-de-la-Pitié.

« La duchesse d’Aiguillon mobilise, alors, sous la houlette de Vincent de Paul, « Dames de la Charité » et « Messieurs du Saint-Sacrement ». Des ustensiles, du linge, de l’argent furent vite réunis et des travaux d’aménagement rapidement entrepris » (Maximilien Vessier, La Pitié-Salpêtrière…)

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