Louis
XIV, le Roi Soleil, les conquêtes
L’armée de terre
Pour réaliser ses rêves de gloire et de
conquêtes, Louis XIV, le Roi Soleil, s’est particulièrement attaché tout au
long de son règne à créer une armée puissante et moderne. Il faut dire que sur les cinquante-quatre années qu’il a passé au pouvoir, le royaume de France a connu vingt-neuf années de guerre.
Organisation
militaire
Toutes armes
confondues, les effectifs n’ont jamais cessé de croître : en temps de
paix, ils passent de 60,000 hommes en 1662 à 250,000 hommes en 1781; et temps
de guerre, de 230,000 hommes en 1674 à 600,000 en 1693. L’armée de terre en
accueille le plus grand nombre. L’armée
est organisée en régiments, en bataillons, en compagnies dont le nombre
d’hommes en variables. Chaque régiment
se distingue par le nom de la province, Auvergne, Bretagne, Picardie, Navarre,
ou par celui de son colonel. Il existe
aussi des régiments d’étrangers, qui représentent environ 25% de l’armée, pour
l’essentiel des fantassins.
Lorsque
séparé de ses troupes, il y a aussi la maison militaire du roi, qui compte
10,000 hommes. Les gardes du corps,
gendarmes, cheveau-légers, mousquetaires, dont les deux compagnies sont
désignées par la couleur de leurs chevaux, gris ou noirs, constituent avec les
cents-suisses une protection rapprochée de 2,700 hommes auxquels il faut
ajouter les gendarmes du roi, les gardes françaises et les gardes suisses.
Dans
les campagnes, les capitaines enrôlent souvent sur les terres de leurs parents,
jouant des fidélités locales à une famille. Dans les villes, on pratique le
racolage les jours de marché: autour d'un pot, les sergents recruteurs
bonimentent les « amateurs de gloire et d'argent ».
Célibataires
fuyant un créancier ou une paternité imprévue, jeunes paysans naïfs venus en
ville sont enivrés de généreuses rasades de vin jusqu'à boire à la santé du
roi, ce qui signe leur engagement. Plus les besoins augmentent, plus il y a
d'abus: ceux qui contestent sont séquestrés dans l'obscurité d'une cave de
cabaret, un « four », jusqu'à ce qu'ils cèdent. De même, on enrôle de force les
vagabonds et les délinquants mineurs, remis par le guet des villes aux
recruteurs. Malgré les abus et les plaintes, rien n'est fait.
À
partir de 1688, Louvois, secrétaire d'État à la Guerre, décide de généraliser
une espèce de préfiguration du service militaire à tout le royaume. Chaque
paroisse est ainsi contrainte de fournir un certain nombre de célibataires
entre vingt et vingt-quarante ans, qu'elle équipe et paie. Ces hommes sont de
taille mais ils peuvent être amenés à quitter leur foyer pour rejoindre l’armée
en cas de guerre. On leur permet d’être
libérés deux ans plus tard. Mais en
réalité seul un tiers d’entre eux, tirés au sort, peuvent rentrer chez
eux…. Dès 1692, ce tirage au sort est
appliqué à l’enrôlement. Dans ces
conditions, les désertions sont très fréquentes.
L'inconduite des troupes sous
Louis XIV
L'inconduite des gens de guerre à l'égard des
populations, en France comme à l'étranger, est notoire sous Louis XIV.
Il est vrai que les périodes précédentes étaient tout
aussi terribles : les guerres de religion virent nombre d'atrocités en France,
puis la Guerre de Trente Ans ravagea profondément l'Allemagne. Le comportement
des armées françaises de la seconde moitié du XVIIe siècle, par exemple pendant
la Guerre de Hollande 1672-1678, suit ainsi les néfastes usages de cette
époque...
Exactions françaises vers 1672
Ces comportements frappent les contemporains, qui ont du
mal à admettre que les troupes agissent de la même manière à l'intérieur du
royaume ; mais les autorités s'en servent parfois volontairement, que ce
soit pour mater les révoltes ou contre les huguenots.
A partir des années 1670 et 1680, la réorganisation de
l'armée et l'amélioration des conditions de vie des soldats permettent une
amélioration progressive de la discipline : les exactions les plus scandaleuses
semblent diminuer.
Néanmoins, le comportement des troupes reste très
difficilement supportable pour les populations qui les hébergent.
La répression de la « révolte du papier timbré » est
révélatrice de l'attitude des autorités et d'une partie de la noblesse.
De graves troubles et émeutes contre les taxes sur le
papier timbré, le tabac, et la vaisselle d'étain, ont lieu dans différentes
villes et dans les campagnes, en avril, mai, juin, et juillet 1675.
Le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, tente dans un
premier temps, dans ses rapports à Colbert, de minimiser l'ampleur des troubles
pour diminuer sa propre responsabilité. Puis, il n'hésite pas à proposer des
mesures radicales :
« Le
remède est de ruiner entièrement les faubourgs de cette ville (Rennes). Il est
un peu violent ; mais c'est, dans mon sens, l'unique. Je n'en trouve même pas
l'exécution difficile, avec des troupes réglées.(...) Il ne faut pas, pour
cela, que les troupes viennent séparément, mais en même temps. Peu d'infanterie
suffira, avec le régiment de la Couronne. »
Lettre du duc de Chaulnes à Colbert,
12 juin 1675
Il n'est pas seul à demander une répression active :
« On dit qu'il y a cinq ou six cents bonnets bleus
en Basse-Bretagne, qui auraient bon besoin d'être pendus pour leur apprendre à
parler. »
(Madame de Sévigné, 3 juillet 1675)
(Madame de Sévigné, 3 juillet 1675)
Les troupes demandées arrivent finalement en Bretagne, et
entrent à Nantes en août. A leur tête, le gouverneur fait le tour de la
province en faisant nombre d'exemples :
« Les paysans ont été bien punis de leur
rébellion ; ils sont maintenant souples comme un gant ; on en a pendu
et roué une quantité. »
Témoignage cité par Ropartz, Histoire
de Guingamp
Finalement, le gouverneur et les troupes entrent à Rennes
le 12 octobre. Plusieurs personnes sont arrêtées, certains sont exécutés, le
Parlement de Bretagne est exilé à Vannes, les rennais sont lourdement taxés, et
les habitants du faubourg de la rue Haute sont chassés. Mais en même temps, les
troupes sont encore tenues en main, et un soldat est même exécuté en public
pour avoir molesté ses hôtes.
Cela s'aggrave début décembre : les troupes d'élite
arrivées en premier quittent la Bretagne, remplacées par des unités moins
disciplinées, que le roi envoie passer l'hiver sur place.
Ce qui semble beaucoup choquer les contemporains, y
compris le gouverneur lui-même, c'est que ces troupes se comportent alors comme
elles le font normalement... à l'étranger !
« Les soldats vivent, ma foi, comme dans un pays de
conquête (...) Venons aux malheurs de cette province : tout y est plein de gens
de guerre (...) il s'en écarte qui vont chez les paysans, les volent et les
dépouillent (...) il y a dix à douze mille hommes de guerre, qui vivent comme
s'ils étaient encore au-delà du Rhin : nous sommes tous ruinés. »
Madame de Sévigné, 8, 11 et 20 décembre 1675
« Plusieurs habitants de cette ville et forsbourgs de
Rennes ont été battus par des soldats qui étaient logés chez eux ; et tous les
soldats ont tellement vexé les habitants qu'ils ont jeté de leurs hôtes et
hôtesses par les fenêtres après les avoir battus et excédés, ont violé des
femmes, lié des enfants tous nus sur des broches pour les vouloir faire rôtir,
rompu et brûlé les meubles, démoli les fenêtres et vitres des maisons, exigé
grandes sommes de leurs hôtes, et commis tant de crimes qu'ils égalent Rennes à
la destruction de Hiérusalem. »
Journal de René du Chemin, 13 décembre 1675
« Je ne puis vous exprimer, monsieur, quels ravages
les troupes font sur leur route. Je crains que cette province ne soit traitée
comme le pays ennemi. »
(Lettre du duc de Chaulnes à Louvois, 9 février 1676)
(Lettre du duc de Chaulnes à Louvois, 9 février 1676)
Punition pour un soldat ayant volé des camarades :
courir entre deux rangées de ses compagnons qui le frappent à coups de
baguettes de fusil
Le « chevalet », utilisé pour punir un soldat coupable de petites fautes.
Le « chevalet », utilisé pour punir un soldat coupable de petites fautes.
Le commentaire de la gravure est riche de précisions :
« Dans toutes les places de guerre il y a sur la place d'armes un cheval de bois qui sert à mettre les soldats lors qu'ils ont fait quelque fripponnerie ou qu'on les a trouvé avec des coureuses que l'on y place aussy bien qu'eux et souvent avec des boulets de canon aux pieds, durant plusieurs heures. »
« Dans toutes les places de guerre il y a sur la place d'armes un cheval de bois qui sert à mettre les soldats lors qu'ils ont fait quelque fripponnerie ou qu'on les a trouvé avec des coureuses que l'on y place aussy bien qu'eux et souvent avec des boulets de canon aux pieds, durant plusieurs heures. »
Cette punition devait être peu appréciée, car on
mentionne à Lesneven, en octobre 1693 : « ...comme par un effet de
leur violence, les dits soldats (Suisses du régiment de Salis) ont brisé le
chevalet posé devant le corps de garde pour contenir les dites troupes dans la
discipline. »
Les abus et exactions sont donc nombreux parmi toutes les
troupes. Ce site étant en partie consacré aux Compagnies de la Marine, voici
quelques mentions les concernant :
Un cas précis, en 1692, à Lesneven
(près de Brest) :
Mardi le 07 octobre 1692
Les compagnies franches de la marine, en quartier d'hiver
à Lesneven, ne vivent point en bonne discipline, faisant venir leurs familles
qui sont imposées aux habitants par les soldats, lesquels exigent plus que la
subsistance réglementaire. Les habitants disent même n'avoir plus aucune
assurance de la vie. Le jour, officiers et soldats vont sous prétexte de
chasse, courir la campagne une lieue à la ronde, emportant tout ce qu'ils
peuvent trouver, et, l'épée à la main, menaçant les paysans. Le soir, c'est en
vain que se bat la retraite. Les dits exempts de la marine circulent par les
rues et maltraitent leurs hôtes et autres habitants, insultant les filles en
méchant dessein. Quantité d'habitants ont été attaqués ; les vitres et fenêtres
des maisons ont été cassées et des coups de pistolet tirés dans les rues. Le
dimanche 5 de ce mois, on a assassiné le sieur Louis Chauvel des Isles, avocat.
Aux plaintes faites à ce sujet par le Procureur du roi, le Bailli et le Commis
du greffe, le sieur de Villeray (commandant des troupes) aurait répondu avoir
fait son devoir ; ce qui n'est point, vu qu'il a laissé évader l'assassin, le
sieur Bareil, enseigne, lequel est resté toute la nuit en ville et a paru hier
à 8 heures du matin, escorté d'un capitaine d'armes et d'un sergent, pour
intimider les habitants et empêcher l'arrestement qu'on prétendait faire du dit
assassinateur. Ce qui fait que les soldats en deviennent plus insolents,
d'autant qu'il n'y a pas plus de 40 ou 50 bourgeois capables de se défendre de
l'effort et violence de 150 soldats actuellement en quartier d'hiver.
En l'endroit, maître Antoine Boisangé, maître
apothicaire, a déclaré (...) (qu') étant près de la maison du sieur de
Toulc'hoat, rue de Notre-Dame, environ les 8 à 9 heures du soir, (...) (il) vit
une personne qui par deux fois le rata d'un fusil ou d'un pistolet, dont il vit
le feu et ouit la batterie.
Guy le Becq, sieur de Cheff du Bois, procureur, (...)
déclare qu'un quart d'heure après l'assassinat du sieur des Isles, il fut
surpris de voir 4 ou 5 officiers et soldats se ruer sur les personnes
assemblées pour voir l'état de la victime, de sorte que un chacun prenant la
fuite, il fut obligé de se retirer chez le sieur de Mesgouez Laoust, poursuivi
des dits officiers et soldats, les uns armés d'épées, les autres de bâtons.
Trois des dits soldats de la marine sont même entrés
effrontément dans la maison de ville, en l'endroit de la présente tenue,
lesquels avertis par le héraut de se retirer, se seraient transportés de colère
et disant "B.... de chasse gueux", en se retirant. »
Les habitants se plaignent sans cesse
d'être obligés d'héberger de nombreuses troupes.
Le 03 avril 1708
Le substitut du procureur du roi remontre l'accablement
où l'on est par le logement des gens de guerre, actuellement ou continuellement
depuis 20 ans, sans relâche, et notamment, depuis septembre dernier, de plus de
250 soldats de marine, avec les officiers, faisant 4 compagnies, non compris
leurs femmes et leurs enfants, qu'ils installent les trois quarts d'entre eux
chez leurs hôtes, malgré ces derniers, quoiqu'il n'y ait pas à Lesneven 80
maisons à pouvoir loger ; desquelles, 50 sont de petites maisonnettes couvertes
de chaume, et occupées par de pauvres laboureurs et artisans, accablés par
ailleurs de misère, de taxes, capitations, taxes de maisons et tailles de
fouages ; nonobstant tout cet accablement, on a encore envoyé hier 40 soldats
avec officiers.
Les habitants demandent décharge d'une partie des ces
troupes ; que défense soit faite aux femmes et aux enfants de venir chez les
hôtes, vu que ces derniers ne sont pas tenus de les recevoir, et ne le peuvent,
n'ayant qu'une petite chaumière, où il n'est pas possible de loger 2 soldats, 2
femmes avec 5 à 6 enfants, alors surtout que le billet n'est que pour 1 soldat,
outre les crimes que ces soldats font souvent en amenant des filles qu'ils
disent être leurs femmes. »
Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, Tome
XLVI
http://www.huchehault.com/diell/soudard-f.htm
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