Sorcières et empoisonneuses
Assis sur un seau renversé, maître Nicolas contemple,
accablé, les décombres encore fumants de cette ferme qui, hier encore, faisait
son orgueil. Le feu a tout dévoré, bâtiments, outils, bétail, grains
amassés pour l'hiver et semailles. Les efforts des villageois, qui ont lutté
toute la nuit contre le fléau, se sont avérés vains. «Des flammes venues de
l'enfer, oui-da!» marmonne un paysan au visage noirci.
Et tous de renchérir autour de lui, de rappeler les malheurs
qui frappent depuis quelques mois la petite. Dès qu'un accusé est
remis à la justice, il est soumis à la torture, les questionnants afin qu'il
avoue ses crimes, réels ou supposés. Plusieurs supplices successifs lui
sont infligés. Les menottes sont l'un des plus douloureux, les mains du
prisonnier sont broyées entre des morceaux de bois, que l'on resserre en
enfonçant des coins. La plupart du temps, l'accusé reconnaît tout ce
qu'on lui demande; son procès peut alors être instruit. Communauté des vaches
ont donné naissance à des veaux mort-nés, le blé a pourri sur pied, un chien
enragé, venu d'on ne sait où, a mordu des enfants, morts peu après dans
d'atroces souffrances. Pour ces hommes simples, le doute n'est pas
permis: le Malin, le diable est à l'œuvre!
Ils savent que certaines personnes, des femmes le plus
souvent, vendent leur âme à Satan, en échange de pouvoirs magiques. Elles
peuvent jeter des sorts, empoisonner l'eau des puits, faire mourir par
maléfice. Parfois, ils jurent les avoir vues, à califourchon sur un
balai, voler dans les airs pour se rendre au sabbat. Déjà, des suspectes
sont désignées: ces vieilles femmes, deux sœurs, qui vivent à l'orée de la
forêt. Jamais on ne les voit à l'église et tous ils arrivent, dans les
campagnes, qu'une personne suspectée de sorcellerie soit soumise à l'épreuve de
l'eau.
Dévêtue, pieds et mains liés, elle est doucement posée sur
l'eau de la rivière la plus proche. Flotte-t-elle? est une
sorcière, car le diable la soutient. Coule-t-elle? On se hâte de repêcher
l'innocente et si le monde sait qu'elles ramassent des herbes, fabriquent des
tisanes, des onguents.
Qui n'a pas eu recours à elles pour guérir une
entorse, soigner une fièvre, faire disparaître des verrues? Les langues,
une fois déliées, l'imagination, la peur, la jalousie font leur œuvre. Quelques
jours plus tard, les soldats en armes entraîneront avec eux deux pauvres
vieilles hébétées. Jetées en prison, torturées, elles ne tarderont
pas à reconnaître tout ce dont on les accuse. Si elles ne meurent pas des
sévices endurés, elles seront livrées aux flammes du bûcher. De tels
procédés sont encore monnaie courante au milieu du xvnc siècle.
En 1670, la
Normandie est le théâtre d'une frénétique chasse aux
sorcières. Cinq cents personnes arrêtées, soumises à la question, des
dizaines de mises à mort ordonnées par le Par]ement de Rouen. Mais
savants, philosophes, hommes d'église en appellent au Roi. Louis
XIV intervient personnellement, fait casser les jugements. Le temps
des bûchers s'achève. En France, le dernier est dressé en 1679, pour
quatre femmes, à Bouvignies près de Lille.
Alain Laprise 03 novembre 2013
Alain Laprise 03 novembre 2013
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