Louis XIV - Dragonnades - Les Hughenots - Nos ancêtres protestants en France, l'émigration, suite 5
À Metz, le jour de l'arrivée des dragons, l'intendant convoque à l'hôtel de ville, tous les huguenots de la localité, et presque tous signent, séance tenante, l'acte d'abjuration qu'il leur présente, en leur disant que la volonté du roi est qu'ils se fassent catholiques. Un bourgeois de Marseille conte ainsi comment se fit la conversion de la ville :
À Metz, le jour de l'arrivée des dragons, l'intendant convoque à l'hôtel de ville, tous les huguenots de la localité, et presque tous signent, séance tenante, l'acte d'abjuration qu'il leur présente, en leur disant que la volonté du roi est qu'ils se fassent catholiques. Un bourgeois de Marseille conte ainsi comment se fit la conversion de la ville :
« Le second novembre 1685, jour du saint dimanche, est arrivé en cette ville cent cavaliers, dits dragons, avec les noms des huguenots habitants en cette ville, allant à cheval à chaque maison desdits huguenots lui dire, de par le roi, si veulent obéir à l'arrêt du roi ou aller dès à présent en galères et leurs femmes à l'Amérique. Pour lors, voyant la résolution du roi, crient tous à haute voix : Vive le roi ! et sa sainte loi catholique, apostolique et romaine, que nous croyons tous et obéirons à ses commandements! Dont MM. les vicaires, chacun à sa paroisse, les ont reçus comme enfants de l'Église, et renoncé à Calvin et Luther. M. le grand vicaire les oblige d'assister tous les dimanches au prône, chacun à sa paroisse, et les vicaires, avant de commencer la prière, les appelle chacun par Son nom, et eux de répondre tout haute voix : Monsieur, suis ici. »
Un jour, sur l'annonce de l'arrivée des dragons, toute la population huguenote du pays de Gex s'enfuit affolée, passe la frontière et se réfugie à Genève. Le laboureur avait laissé sa charrue et ses bœufs sur le sillon commencé, la ménagère apportait avec elle la pâte, non encore levée, du pain qu'elle avait préparé pour mettre au four, les plus pressés avaient passé le Rhône à la nage avec leurs bestiaux; c'était là un des premiers flots de l'émigration qui allait bientôt inonder tous les pays de l'Europe.
Dans la Saintonge, des populations entières avaient quitté leurs villages et s'étaient réfugiées dans les bois où elles vivaient comme des bêtes de l'herbe des champs. Louvois écrit à Foucault : « Il y a dans quatre paroisses de La Rochelle, six cents personnes qui ne se sont pas converties, parce qu'elles avaient toutes déserté et s'étaient mises dans les bois ; comme elles n'y pourraient tenir dans la rigueur de l'hiver qui va commencer, Sa Majesté trouvera bien agréable que vous sollicitiez M. de Vérac d'y faire loger des troupes dans la fin de ce mois. »
Pour fuir ces terribles dragons convertisseurs, les huguenots quittaient leurs maisons, fuyant au hasard à travers champs, à travers bois, Migault trouve sur sa route une dame fuyant, portant un enfant à la mamelle et suivie de deux autres en bas âge, courant affolée, ne sachant où aller. Croyant toujours avoir les dragons à sa poursuite, elle marchait toujours devant elle et passa plusieurs jours en rase campagne, sans abri et manquant de nourriture.
C'était un crime de fuir les dragons. De Noailles ayant donné huit jours aux habitants de Nîmes pour se convertir, il fit publier que ceux qui s'en étaient allés, par crainte des dragons, eussent à revenir dans trois jours sous peine d'être pendus ou mis aux galères: Une ordonnance décida que les maisons de ceux qui s'étaient absentés de chez eux seraient rasées, quant aux imprudents qui donnaient asile à ces huguenots errants, on les déclara passibles de grosses amendes.
« Informé, dit l'intendant Foucault, que plusieurs personnes donnent journellement retraite dans leurs maisons aux religionnaires qui abandonnent les leurs pour se mettre à couvert des gens de guerre, ce qui retarde et empêche même souvent leur conversion, fait très extrêmes défenses à toutes personnes de donner: retraite dans leurs châteaux ou maisons aux religionnaires, sous quelque prétexte que ce puisse être, à peine de mille livres d'amende. »
Anne de Chauffepied, dont le château avait été dragonné, avait trouvé asile chez Mme d'Olbreuse, parente de Mme de Maintenon. « Dès le mois suivant, dit-elle, M. et Mme d'Olbreuse furent avertis que Mme de Maintenon ne trouvait pas bon qu'ils nous gardassent chez eux. Mme d'Olbreuse écrivit là-dessus, une lettre pleine de bontés pour nous à cette dame, pour la supplier de nous laisser auprès d'elle, sachant qu'elle le pouvait facilement si elle le voulait. Mais sa dureté ne put être amollie là-dessus, et, sans rien écrire elle-même, elle fit mander à Mme d'Olbreuse qu'elle nous renvoyât, si elle ne voulait avoir bientôt sa maison pleine de dragons.
Quant à ceux qui donnèrent assistance aux fugitifs allant chercher asile hors des frontières, ou qui leur servaient de guides, ils étaient passibles de la peine des galères, parfois même de la peine de mort. Ainsi le Parlement de Rouen condamne à être pendus et étranglés les deux fils du laboureur Lamy, atteints et convaincus « d'avoir donné retraite et couché dans leurs maisons des religionnaires avec leurs hardes et chevaux pour faciliter et favoriser leur sortie du royaume. »
De même la cour de Metz avait condamné à être pendus et étranglés Jontzeller et sa femme Anne Keller convaincus « savoir ledit Jontzeller, d'être venu aux environs de cette ville pour y joindre lesdits religionnaires et les conduire hors du royaume, de les avoir guidés secrètement la nuit et les avoir cachés chez lui pendant un jour; ladite Keller d'avoir empêché leur capture... d'avoir, par deux fois éteint les lampes, et, par ce moyen, donné lieu à l'évasion desdits ».
Mais les peines terribles édictées, soit contre les fugitifs eux-mêmes, soit contre ceux qui aidaient à leur évasion hors du royaume, ne purent empêcher l'exode des protestants, cet épilogue fatal des dragonnades.
L'émigration
Ne peut s'empêcher de reconnaître avec Michelet, que l'émigration des huguenots a un caractère tout particulier de grandeur; si le huguenot franchissait la frontière, ce n'était pas, comme l'émigré de 1793, pour sauver sa tête, et il n'était pas chassé de son pays, comme le Maure l'avait été de l'Espagne. Tout au contraire, s'il voulait rester et prendre le masque catholique, il lui était offert, pour prix d'une facile hypocrisie, honneurs, faveurs et privilèges de toutes sortes. Qu'il eût été ou non, contraint par la violence à renier des lèvres sa foi religieuse, le péril ne commençait pour lui que du moment où il se mettait en route pour aller chercher au-delà des frontières, une terre de liberté de conscience où il pût avoir la liberté de prier Dieu à sa manière. Pour se soustraire au viol journalier de sa conscience, il lui fallait tout quitter, renoncer à ses biens, abandonner ses parents, sa femme, ses enfants, tous les êtres qui lui étaient chers, et s'exposer, s'il échouait dans sa tentative d'évasion, à des peines terribles. S'il réussissait à franchir la frontière, c'était l'exil au milieu d'une population étrangère dont il ne connaissait ni les mœurs ni la langue, et la dure nécessité de mendier son pain ou de gagner sa vie péniblement à la sueur de son front.
On sait à quel point le Français est attaché à son pays, et combien, alors même qu'il s'agit d'aller se fixer à l'étranger avec tous les siens et en emportant son avoir, il a de la peine à s'arracher aux liens multiples et invisibles qui le retiennent à son pays natal; combien devait être grand le déchirement de cœur du huguenot, obligé de s'expatrier dans les conditions que je viens d'indiquer, et combien, une fois arrivé à l'étranger, devait être amer pour lui le regret de la patrie, regret qu'un réfugié traduit éloquemment en ces quelques mots : la patrie me revient toujours à cœur. Il fallut donc que la révolte de la conscience fût bien puissante pour que l'émigration des huguenots en vint à prendre les proportions d'un véritable exode et constituât pour la France un désastre.
Au début de l'émigration, alors qu'il n'y avait point de peines édictées contre ceux qui seraient surpris sur les frontières, en état de sortir du royaume, il était difficile d'empêcher les huguenots de passer la frontière.
En effet, l’édit de 1669 maintenait le droit de sortir du royaume pour tous les Français, sortant de temps en temps de leur pays pour aller travailler et négocier dans les pays étrangers, et il ne leur défendait que d'aller s'établir dans les pays étrangers, par mariages, acquisitions d'immeubles et transport de leurs familles et biens, pour y prendre leurs établissements stables et sans retour.
C'est pourquoi Châteauneuf recourait à cet expédient pour empêcher l'émigration des huguenots, il écrivait aux intendants : « Sa Majesté trouve bon qu'on se serve de sa déclaration qui défend à tous ceux, de la religion prétendue réformée, d'envoyer et de faire élever leurs enfants dans les pays étrangers avant l'âge de seize ans, pour faire entendre à ceux de la dite religion qui voudront se retirer hors du royaume, que, quand on leur laisserait cette liberté, on ne permettra point qu'ils emmènent leurs enfants au-dessous de cet âge, ce qui, sans doute, sera un bon moyen pour empêcher les pères et mères de quitter leurs habitation..»
Plus d'une fois, du reste, le gouvernement devait avoir recours à ce cruel expédient de mettre les huguenots dans cette douloureuse alternative, ou d'être séparés de leurs enfants, ou de renoncer à aller chercher sur la terre étrangère la liberté religieuse qu'on leur refusait en France.
Ainsi, pour les rares notabilités protestantes à qui l'on ne crut pas pouvoir refuser la permission de sortir de France, on eut soin de retenir leurs enfants pour les mettre aux mains des convertisseurs; il en fut de même pour les opiniâtres, qu'après un long temps de relégation ou d'emprisonnement, on se décida à expulser. Quant aux ministres que l'édit de révocation mettait dans l'alternative, ou de sortir de France, dans un délai de quinze jours, ou d'abjurer, dès le 21 octobre 1835, une circulaire aux intendants prescrivait de ne comprendre dans les brevets qu'on leur accordait, que leurs enfants de l'âge de sept ans ou au dessous, les autres devant être retenus en France.
Que de scènes déchirantes provoquées par cette cruelle disposition ! C'est ainsi que lorsque les quatre pasteurs de Metz, Ancillon, Bancelin, Joly et de Combles, furent accompagnés par les fidèles de leurs églises, jusqu'aux bords de la Moselle où ils devaient s'embarquer pour prendre le chemin de l'exil, on vit leurs seize enfants, ayant dépassé tous l'âge de sept ans, les étreignant dans la douleur et dans les sanglots, ne voulant pas se séparer d'eux.
Peut-être, cette obligation de se séparer des êtres qui leur étaient les plus chers fut-elle la cause déterminante de l'abjuration de plus d'un ministre, car les huguenots avaient au plus haut degré les sentiments de la famille, et l'on vit même des fugitifs qui avaient réussi à franchir la frontière, revenir, bravant tous les périls, se résignant même à la douloureuse épreuve d'une feinte abjuration, pour reprendre ceux de leurs enfants qu'ils n'avaient pu emmener avec eux en partant.
Le baron Collot d'Escury allant rejoindre sa femme et ses enfants, qu'il avait fait partir en avant pour sortir avec eux du royaume, est pris et contraint d'abjurer : «C'est un malheur, dit son fils, qui lui a tenu fort à cœur. Mais, sans cela, sa femme et ses enfants n'auraient guère pu éviter d'être repris. Ainsi, c'est un sacrilège qu'il a commis pour l'amour d'eux, dont nous et les nôtres doivent à tout jamais lui tenir compte. »
Le baron d'Escury avait laissé chez un de ses amis le dernier de ses enfants, le trouvant trop jeune pour supporter les fatigues d'un si pénible voyage. Après avoir abjuré, il alla le reprendre et rejoignit avec lui le reste de sa famille « aimant mieux que Dieu le retirât à lui que de le laisser dans un pays où il aurait été élevé dans une religion si opposée aux commandements de Dieu ».
Mlle de Robillard sollicite en pleurant le capitaine de navire qui l'emmenait en Angleterre avec quatre de ses frères et sœurs, pour qu'il consentie à emmener, par-dessus le marché, sa plus jeune sœur âgée seulement de deux ans. Elle fait tant qu'elle réussit. « Cette petite fille de deux ans, étant ma sœur et ma filleule, dit-elle, je me croyais d'autant plus obligée à la tirer de l’idolâtrie que les autres. »
La femme d'un gentilhomme, Jean d'Arbaud, lequel s'était converti, avait mis à couvert, chez ses parents, quatre de ses dix enfants; on lui avait laissé les trois plus jeunes; elle se décide à fuir avec eux : « Je me vis contrainte, dit-elle, de prendre la résolution de me retirer, et de faire mon possible pour sauver mes pauvres enfants... fortifiée par la grâce de Dieu et par la nouvelle que je venais de recevoir que mon mari, avec le procureur du roi, venait de m'enlever mes deux filles, l'aînée et la troisième, pour les mettre dans le couvent... Me servant de l'occasion de la foire de Beaucaire, m'y ayant fait traîner avec mes enfants dans un pitoyable équipage, et déguisée pour ne pas être reconnue ; mais ce qu'il y a de surprenant, ce fut d'avoir reconnu mon mari en chemin, dans son carrosse, qui, accompagné de M. le procureur du roi, menait mes deux pauvres filles captives que je reconnus d'abord, et auxquelles, après un triste regard et plusieurs larmes répandues d'une mère fort affligée, je ne pus donner autre secours que celui de mes prières et ma bénédiction, n'ayant osé me donner à connaître, de peur de perdre encore les autres. Dieu sait avec quelle amertume de coeur je poursuivis mon chemin, me voyant dans l'obligation d'abandonner un mari, peut-être pour jamais, que j'aimais extrêmement avant sa chute, et deux de mes filles exposées à toutes les plus violentes contraintes, et à être mises le jour même dans un couvent.
Mais
enfin, voyant que je n'avais pas de temps à perdre, étant
assurée que l'on me poursuivrait dans ma fuite, je pris au
plus vite le chemin le moins dangereux, qui était celui de
Marseille, où j'ai rencontré mes deux filles que
j'avais auparavant envoyées du Dauphiné pour les mettre
à couvert et qui avaient ordre de s'y rendre. Et de là,
j'allai jusqu'à Nice, jusqu'a Turin, et de Turin à
Genève, où j'arrivai avec mes six enfants, par la grâce
de Dieu, après avoir été un mois en chemin,
souffert une grande fatigue, et consumé ce que je pouvais
avoir sur moi. Là, j'eus la joie de voir mon fils aîné,
l'autre étant parti depuis deux ou trois mois avec M. le baron
de Faisse, pour avoir de l'emploi.
On trouve sur une liste de réfugiés bretons conservée à Oxford, les mentions suivantes :
On trouve sur une liste de réfugiés bretons conservée à Oxford, les mentions suivantes :
Mme de la Ville du Bois et ses quatre enfants, elle a laissé en France son mari dont elle s'est dérobée, et un enfant de trois mois qu'elle n'a pu sauver.
Mme de Mûre et trois enfants, elle s'est aussi dérobée de son mari, et a laissé une petite fille de six mois qu'elle n'a pu sauver.
Combien de familles se mettaient en route pour l'exil et ne se retrouvaient pas au complet au-delà de la frontière, ayant laissé sur la route quelques-uns de leurs membres, succombant aux fatigues du voyage ou retombés aux mains des convertisseurs.
Mme Bonneau, de Rennes gagne l'Angleterre avec sa mère et cinq petits enfants, son mari arrêté trois fois en voulant se sauver, était en prison ou aux galères.
Voici, d'après une relation conservée à Friedrichsdorf, la relation des épreuves subies par la famille Privat, de Saint-Hippolyte de Sardège dans le Languedoc :
« La mère fut massacrée par les dragons, le père Antoine Privat fut jeté dans une forteresse... ses onze enfants, dont le plus âgé avait dix-sept ans, erraient dans l'abandon et la misère. Un jour que fatigués, ils se tenaient appuyés contre les murs d'une vieille tour, ils entendirent une voix qui gémissait au fond de la tour... Le soir quelque chose tomba du haut de la tour à leurs pieds, c'était un écu de six livres enveloppé dans un papier. Ils lurent sur le papier : « Mes enfants, voici tout ce que j'ai. Allez vers l'Est et marchez longtemps, vous trouverez un prince agréable à Dieu qui vous recueillera. — Antoine Privat ».
Les enfants prirent confiance et marchèrent vers l'Est, ils marchaient depuis quatre mois, lorsqu'ils arrivèrent dans une grande et belle ville, où ils tombèrent épuisés sur une promenade, cette grande et belle ville était Francfort... Les bourgeois de Francfort donnèrent asile aux neuf filles, et plus tard les marièrent. Les deux garçons s'en allèrent vers l'électeur de Hesse qui leur permit de s'établir à Friedrichsdorf. »
Adrien le Nantonnier, émigré en Angleterre, veut passer en Hollande, il est pris par un corsaire algérien et meurt en esclavage, après avoir passé plusieurs années dans les fers. De ses dix enfants, un seul, son fils aîné, est converti et reste en France, ses quatre grandes filles et deux de ses fils déportés en Amérique comme opiniâtres, parviennent à s'échapper et à regagner l'Europe. Ses trois plus jeunes filles, cruellement tourmentées à l'hôpital de Valence par le féroce d'Hérapine, finirent par être expulsées et se retirèrent à Genève.
Michel Néel et sa femme, fille du célèbre ministre Dubosc, avaient trois enfants; ils gagnent la Hollande, ayant perdu deux de leurs enfants qui périssent de misère en route ; le troisième tombe aux mains des soldats à la frontière: quelques mois près, il meurt dans la maison de la Propagation de la foi, où il avait été enfermé. M. de Marmande et sa femme partent avec un enfant au berceau, on leur avait enlevé cinq filles et un garçon de cinq ans pour les élever au couvent. Le baron de Neufville émigre avec ses deux jeunes fils; sa femme, contrainte d'abjurer, ne peut emmener avec elle que les deux plus jeunes de ses quatre filles. Ils étaient bien nombreux les réfugiés qui, ayant laissé quelques-uns de leurs enfants aux dures mains des convertisseurs, redisaient chaque jour cette touchante prière, imprimée en 1687 à Amsterdam.
Mon Seigneur et mon Dieu, tu vois la juste douleur qui me presse. Pour te suivre j'ai abandonné ce que j'avais de plus cher, je me suis séparé de moi-même, j'ai rompu les plus forts liens de la nature, j'ai quitté mes enfants a qui j'avais donné la vie. Mais quand je réfléchis sur les dangers où ils se trouvent et sur les ennemis qui les environnent, mon regard se trouble, mes pensées se confondent, ma constance m'abandonne et, comme la désolée Rachel, je ne peux souffrir qu'on me console. »
Et Louis XIV qui, par la persécution religieuse, divisait les familles de cette terrible façon, ne craignait pas, pour retirer aux femmes et veuves protestantes l'administration de leurs biens, d'invoquer ce prétexte : que leur opiniâtreté divisait les familles!
Beaucoup de réfugiés, surtout à la première heure, arrivaient dénués de tout.
Au mois de septembre 1685, les pasteurs de Vevey mandent à Berne que soixante et un fugitifs, évitant les cruautés des gens de guerre du roi, viennent d'arriver : « ils sont venus, disent-ils, avec leurs corps seulement, n'ayant apporté la plupart que leur seul habit et la chemise qui s'est trouvée sur leur corps. »
Sur la terre d'exil, le conseiller Beringhen, beau-frère du duc de la Force, pouvait dire : « Je suis mari sans femme, père sans enfants, conseiller sans charge, riche sans fortune » Madame Cagnard, parvenue à gagner la Hollande avec ses deux filles, n'eut d'autre ressource pour vivre que le produit de la vente d’un collier de perles, seul reste de son opulence passée. — Henri de Mirmaud arrive à Genève avec ses deux petites filles et un vieux serviteur, ne possédant plus que quatre louis d'or; c'était la même somme qui restait à Mlle de Robillard, quand elle fut débarquée le soir, sur une plage déserte en Angleterre, avec ses quatre jeunes frères et soeurs. M. de la Boullonnière, dit une relation, qui était fort voluptueux et aimait ses aises, dut se faire, en Hollande, correcteur de lettres et travailler à cœur crevé, pour gagner vingt sous par jour. Le baron d'Aubaye, ayant abandonné 25.000 livres de rentes, n'avait en poche que trente pistoles. Madame d'Arbaud, qui avait 18 000 livres de rente, arrive dénuée à l'étranger avec neuf enfants dont le plus jeune avait sept ans.
Dans sa
relation d'un voyage fait par lui à Ulm un ministre dit:
« Le bourgmestre m'avoua qu'il était vrai qu'on refusait l'entrée de la ville à ceux de nos réfugiés qu'on croyait être sur le pied de mendiants, que c'était parce que quelques semaines auparavant une troupe d'environ deux cents personnes s'étant trouvée coucher à Ulm, la nuit du samedi au dimanche, le dimanche matin cette grande troupe se trouva à la porte de l'église, lorsque l'assemblée se formait, et que lui-même, touché de l'état de tant de pauvres gens, avait exhorté l'assemblée à la charité; que cela avait produit des aumônes considérables à l'issue de la prédication; mais, que ces gens, non contents de cela, répandus ensuite par toute la ville, allant clochant et mendiant, que cela avait duré trois ou quatre jours, que la bourgeoisie, non accoutumée à cela, avait été obligée de faire prendre des mesures pour l'éviter. — Il ajouta que deux choses l'avaient fort touché, la première de voir tant de peuple sans conducteur, et sans que quelqu'un entendit l'allemand ou le latin, la seconde que ces pauvres gens paraissaient tous muets, ne faisaient que tendre la main avec quelque son de bouche non articulé, qu'il n'avait jamais si bien compris qu'alors que la diversité de la langue fût une si grande incommodité. »
Les Puissances protestantes, comprenant quelle chance inespérée c'était pour elles, d'hériter des meilleurs officiers de terre et de mer, des plus habiles manufacturiers, ouvriers et agriculteurs de la France, rivalisèrent de zèle charitable, en présence du flot sans cesse grossissant des émigrants arrivant la bourse vide, et parfois la santé perdue par suite des fatigues et des privations de la route.
« Le bourgmestre m'avoua qu'il était vrai qu'on refusait l'entrée de la ville à ceux de nos réfugiés qu'on croyait être sur le pied de mendiants, que c'était parce que quelques semaines auparavant une troupe d'environ deux cents personnes s'étant trouvée coucher à Ulm, la nuit du samedi au dimanche, le dimanche matin cette grande troupe se trouva à la porte de l'église, lorsque l'assemblée se formait, et que lui-même, touché de l'état de tant de pauvres gens, avait exhorté l'assemblée à la charité; que cela avait produit des aumônes considérables à l'issue de la prédication; mais, que ces gens, non contents de cela, répandus ensuite par toute la ville, allant clochant et mendiant, que cela avait duré trois ou quatre jours, que la bourgeoisie, non accoutumée à cela, avait été obligée de faire prendre des mesures pour l'éviter. — Il ajouta que deux choses l'avaient fort touché, la première de voir tant de peuple sans conducteur, et sans que quelqu'un entendit l'allemand ou le latin, la seconde que ces pauvres gens paraissaient tous muets, ne faisaient que tendre la main avec quelque son de bouche non articulé, qu'il n'avait jamais si bien compris qu'alors que la diversité de la langue fût une si grande incommodité. »
Les Puissances protestantes, comprenant quelle chance inespérée c'était pour elles, d'hériter des meilleurs officiers de terre et de mer, des plus habiles manufacturiers, ouvriers et agriculteurs de la France, rivalisèrent de zèle charitable, en présence du flot sans cesse grossissant des émigrants arrivant la bourse vide, et parfois la santé perdue par suite des fatigues et des privations de la route.
La Suisse multiplia ses sacrifices sans se lasser, et Genève, après avoir pendant dix ans hébergés les innombrables fugitifs qui la traversaient pour se rendre dans les divers États protestants de l'Europe, finit par garder trois mille réfugiés qui s'établirent définitivement chez elle. La Hollande donna aux fugitifs des maisons, des terres, des exemptions d'impôt, et créa de nombreux établissements de refuge pour les femmes.
Le
Brandebourg fit des villes pour nos réfugiés.
L'Angleterre s'imposa pour eux des sacrifices considérables.
Un comité français, établi, à Londres,
répartissait entre les réfugiés les sommes
allouées à l'émigration; les rapports de ce
comité constatent que des secours hebdomadaires étaient
donnés à 15500 réfugiés en 1687, à
27 000 en 1688.
Ce n'était pas seulement par zèle charitable, c'était aussi par intérêt que certaines puissances attiraient les réfugiés chez elles en leur offrant des terres et des exemptions d’impôt, des avantages de toute sorte, c'est ainsi que pour le grand électeur de Brandebourg, Lavisse fait observer avec raison que : « ce prince eut l'heureuse fortune, qu'en repeuplant ses États dévastés, c'est-à-dire en servant ses plus pressants intérêts, il s'acquit la renommée , d'un prince hospitalier, protecteur des persécutés et défenseur de la liberté de conscience.
Ce n'était pas seulement par zèle charitable, c'était aussi par intérêt que certaines puissances attiraient les réfugiés chez elles en leur offrant des terres et des exemptions d’impôt, des avantages de toute sorte, c'est ainsi que pour le grand électeur de Brandebourg, Lavisse fait observer avec raison que : « ce prince eut l'heureuse fortune, qu'en repeuplant ses États dévastés, c'est-à-dire en servant ses plus pressants intérêts, il s'acquit la renommée , d'un prince hospitalier, protecteur des persécutés et défenseur de la liberté de conscience.
Mais tous les émigrants n'arrivaient pas sans argent, tant s'en faut, l'argent affluait en Hollande et en Angleterre à la suite de la révocation, et bien que les plus riches eussent cherché asile en Hollande, l'ambassadeur de Louis XIV en Angleterre, écrivait en 1687 que la Monnaie de Londres avait déjà fondu neuf cent soixante mille louis d'or.
Suivant
un auteur allemand, deux mille huguenots de Metz s'étaient
enfuis dans le Brandebourg en emportant plus de sept millions.
Suivant le maréchal de Vauban, dès 1689, l'émigration
des capitaux s'élevait au chiffre de soixante millions et
Jurieu estimait que, en moyenne, chaque réfugié avait
emporté deux cents écus.
Le gouvernement de Louis XIV avait pourtant fait l'impossible, pour arrêter cette émigration des capitaux.
Les huguenots parents ou amis des fugitifs, dissimulant leur sortie du royaume, leur faisaient parvenir à l'étranger les revenus de leurs biens, mis à l'abri de la confiscation par cette dissimulation, et pour lesquels ils s'étaient fait consentir des baux fictifs. On fit appel aux délateurs, et la moitié de la fortune laissée par les fugitifs, fut attribuée à celui qui signalait leur évasion. Des fugitifs ayant, avant leur départ, confié leur fortune à des amis catholiques qui l'avaient prise sous leur nom; une ordonnance accorda aux délateurs de ces biens recélés, la moitié des meubles et dix ans des revenus des immeubles.
Puis on intéressa les parents à la ruine des fugitifs, en les envoyant en possession des biens de ceux-ci, comme s'ils fussent morts intestats. Beaucoup d'entre eux cependant continuèrent à ne se regarder que comme de simples mandataires, et à faire parvenir aux réfugiés le montant de leurs revenus; on les surveillait, et, du moindre soupçon, on les menaçait de leur retirer la jouissance des biens dont ils avaient été envoyés en possession. — Cependant Marikofer et Weiss constatent qu'en Suisse et dans le Brandebourg, un grand nombre de réfugiés recevaient, sous forme d'envois de vins, soit leurs revenus, soit les valeurs qu'ils avaient déposées en mains sûres avant de partir.
Les fugitifs, avant de quitter la France, vendaient à vil prix leurs immeubles ou consentaient des baux onéreux, afin de se faire de l'argent. Pour les empêcher de pouvoir en agir ainsi le roi décrète : « Déclarons nuls tous contrats de vente et autres dispositions que nos sujets de la religion prétendue réformée, pourraient faire de leurs immeubles, un an avant leur retraite du royaume. »
Pour éluder cette loi il fallait trouver un acheteur consentant à antidater l'acte de vente à lui consenti par un fugitif, moins d'un an avant sa sortie du royaume. Cela se trouvait encore, à des conditions onéreuses naturellement, puisque l'acheteur courait risque, si la fraude était découverte, de voir confisquer les biens qui lui avaient été vendus.
Pour porter remède au mal, une loi interdit à quiconque a été protestant ou est né de parents protestants de vendre ses biens immeubles, et même l'universalité de ses meubles et effets nobiliaires sans permission, et cette interdiction de vente fut renouvelée tous les trois ans jusqu'en 1778.
Voici, d'après une pièce authentique, la requête que devait adresser au Gouvernement celui qui, ayant du sang huguenot dans les veines, voulait vendre ses immeubles : « Aujourd'hui, 3 février 1772, le roi étant à Versailles, la dame X.. a représenté à Sa Majesté qu'elle possède à.... un domaine de la valeur de neuf mille livres qu'elle désirerait vendre, mais, qu'étant issue de parents qui ont professé la religion prétendue réformée, elle ne peut faire cette vente sans la permission de Sa Majesté. »
Le huguenot qui voulait préparer sa fuite, ne pouvant désormais ni aliéner ni affermer ses immeubles, même à vil prix, n'avait plus d'autre moyen de se procurer de l'argent nécessaire au voyage que de vendre, comme il le pouvait, une partie de ses effets et objets mobiliers. — Là encore, nouvel obstacle créé par le gouvernement ; à Metz, dit Olry, il y avait des défenses si fortes de rien acheter de ceux de la religion, que ce fut après de gros dommages, que nous eûmes l'argent des effets que l'on achetait de nous pour le quart de ce qu'ils valaient; au château de Neufville, près d'Abbeville, les dragons, dit une relation, « avaient trouvé la maison fort garnie, on n'avait pu rien vendre, il y avait plus de trois mois qu'il y avait des défenses secrètes de rien acheter et aux fermiers de rien payer. »
Ce n'était pas seulement la difficulté de vendre, qui empêchait les huguenots de réaliser leur pécule de fuite, c'était la nécessité de le faire secrètement, de ne se procurer de l'argent que peu à peu, et de différentes mains, de manière à de pas éveiller les soupçons du clergé et de l'administration. Pour se rendre compte du soin jaloux avec lequel l'administration surveillait les ventes d'objets mobiliers, il faut consulter dans le registre des délibérations de la ville de Tours (séance du27 octobre 1685), l'état des objets achetés aux réformés par les marchands et particuliers catholiques.
Quatre-vingt-quinze réformés sont signalés comme ayant vendu des bijoux, des meubles, des tapisseries, des tableaux, du linge, de la batterie de cuisine. La dame Renou a vendu deux armoires pour quatre livres dix sous, la veuve Dubourg, un moulin à passer la farine pour sept livres vingt sols, de Sicqueville, deux guéridons pour trois livres, Brethon, deux miroirs, deux lustres et une tapisserie pour six cent cinquante livres, Mlle Briot, un fil de perles pour cinq cent livres, Jallot, de la vaisselle d'argent pour neuf cent soixante-douze livres.
Comme l'avait conseillé Fénélon dans son mémoire à Seignelai, on veillait « à empêcher non seulement les ventes de biens et de meubles, mais encore les aliénations, les gros emprunts ». De cette manière, on empêchait les huguenots non commerçants de réaliser facilement leur fortune à l'avance pour la faire passer à l'étranger. Pour les commerçants, Seignelai fit en vain strictement visiter les navires partant pour l'étranger, qu'il croyait remplis de tonneaux d'or et d'argent; cette visite ne pouvait amener de résultats; car, c'est au moyen de lettres de change tirées sur les diverses places de l'Europe, que les commerçants faisaient passer à l'étranger leur fortune, consistant en valeurs mobilières. Weiss dit que quelques familles commerçantes de Lyon firent passer de cette manière jusqu'à six cent mille écus en Hollande et en Angleterre.
Le Gouvernement demeura impuissant, aussi bien pour arrêter l'émigration des capitaux que pour empêcher celle des personnes, bien qu'il eût dicté les plus terribles peines contre les fugitifs et contre ceux qui favoriseraient directement ou indirectement leur évasion.
Un édit de 1679 avait édicté la peine de la confiscation de corps et de biens contre les religionnaires qui seraient arrêtés sur les frontières en état de sortir du royaume, ou qui, après être sortis de France seraient appréhendés sur les vaisseaux étrangers ou autres; une déclaration du 31 mai 1685 substitua à la peine de mort celle des galères pour les hommes, de l'emprisonnement perpétuel pour les femmes, avec confiscation des biens pour tous, peine moins sévère, dit le roi, dont la crainte les puisse empêcher de passer dans les pays étrangers pour s'y habituer ». Ce n'était point par humanité qu'était faite cette substitution de peine, mais par suite de l'impossibilité où l'on se trouvait de punir de la peine capitale un si grand nombre de coupables; ce qui le montre bien, c'est qu'un édit du 12 octobre 1687 substitue au contraire la peine de mort à celle des galères pour ceux qui auront favorisé directement ou indirectement l'évasion des huguenots.
La
crainte de la peine des galères n'arrêta pas plus que
celle de la peine de mort, le flot toujours grossissant de
l'émigration, mais les galères se remplirent de
malheureux arrêtés en état de sortir du royaume.
Marteilhe, acquitté du fait d'évasion, bien qu'arrêté
sur les frontières, vit son procès repris sur ordre
exprès de la Cour et fut envoyé aux galères.
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