dimanche 3 novembre 2013

Louis XIV Les galères françaises

Galères françaises sous Louis XIV
 
 
Quand une galère avait à soutenir un combat en mer, la situation des rameurs, réduits à l'état de rouages moteurs de la galère, était horrible; enchaînés à leurs bancs, ayant dans la bouche un bâillon en liège, appelé tap, qu'on leur mettait pour les empêcher, s'ils étaient
blessés, de troubler leurs voisins par leurs plaintes et leurs gémissements, ils devaient, bon gré mal gré, attendre impassiblement la mort au milieu d'un combat auquel ils ne prenaient point part. La mitraille et la fusillade de l'ennemi frappaient sur les rameurs, car tuer ou blesser les galériens, c'était immobiliser la galère en la privant de l'usage des jambes redoutables qui lui permettaient de marcher sans le secours du vent. Pendant ce temps, deux canons de la galère étaient braqués sur la chiourme, que tenaient en respect cinquante soldats, prêts à faire feu à la moindre apparence de révolte; les malheureux forçats étaient donc placés entre deux feux. Ils attendaient ainsi la mort, sans savoir pour lequel des deux combattants (leur galère ou le navire ennemi) ils devaient faire des vœux.

Un jour la galère où se trouvait Marteilhe, ayant échoué dans la tentative qu'elle avait faite,
de clustériser avec son éperon d'avant, une frégate anglaise, se trouva bord à bord avec ce navire qui la retint dans cette situation périlleuse avec des grappins de fer.


« Ce fut alors, dit Marteilhe, qu'il nous régala de son artillerie... tous ses canons étaient chargés à mitraille... pas un coup de son artillerie, qui nous tirait à brûle-pourpoint, ne se perdait. De plus, le capitaine avait sur les hunes de ses mâts plusieurs de son monde avec des barils pleins de grenades qui nous les faisaient pleuvoir dru comme grêle sur le corps...; l'ennemi fit, pour surcroît, une sortie de quarante à cinquante hommes de son bord qui descendirent sur la galère, le sabre à la main, et hachaient en pièces tout ce qui se trouvait devant eux de l'équipage, épargnant cependant les forçats qui ne faisaient aucun mouvement de défense. »


Les rames de la galère s'étant trouvées brisées par suite de l'abordage entre les deux navires, les Anglais n'avaient plus, du reste, aucun intérêt à frapper les forçats qui ne pouvaient plus mettre les rames en mouvement.

Quant à ceux-ci, enchaînés à leurs bancs, les menottes aux mains et le bâillon à la bouche, ils eussent eu bien de la peine à faire quelque tentative de défense. L'eussent-ils pu, ils auraient été bien sots de le faire, ainsi que la montre l'exemple suivant.

Un jour, dans une rencontre entre les galères de l'Espagne et celles de la France, les galères françaises ayant le dessous, on remit aux forçats français des corbeilles de cailloux, leur promettant la liberté si l'ennemi était repoussé. Les forçats firent pleuvoir sur les Espagnols une telle grêle de pierres qu'ils les repoussèrent et que les galères françaises furent dégagées; mais on ne tint pas parole aux forçats qui, le danger passé; restèrent à la rame et furent traités comme devant.


Marteilhe poursuit ainsi l'émouvant récit du combat entre sa galère et la frégate anglaise, dans la terrible situation faite aux forçats-rameurs, par l'abordage des deux navires, Il se rencontra, dit-il, que notre banc, dans lequel nous étions cinq forçats et un esclave turc, se trouva vis-à-vis d'un canon de la frégate que je voyais bien qui était chargé; en m'élevant un peu, je l'eusse pu toucher avec la main... Ce vilain voisin nous fit tous frémir; mes camarades de banc se couchèrent tous plats, croyant échapper à son coup... Je me déterminai à me tenir tout droit dans le banc, je n'en pouvais sortir. J'y étais enchaîné! Que faire?... Je vis le canonnier, avec sa mèche allumée à la main qui commençait à mettre le feu au canon sur le devant de la frégate, et, de canon en canon, venait vers celui qui donnait sur notre banc, je ne pouvais distraire mes yeux de ce canonnier.


Il vint donc à ce canon fatal; j'eus la constance de lui voir mettre le feu, me tenant toujours tout droit, en recommandant mon âme au Seigneur. Le canon tira et je fus étourdi... le coup de canon m'avait jeté aussi loin que ma chaîne pouvait s'étendre... Il était nuit; je crus d'abord que mes camarades de banc se tenaient couchés par crainte du canon... Le Turc du banc, qui avait été janissaire, restant couché comme les autres : Quoi! Lui dis-je, Isouf, voilà donc la première fois que tu as peur; lève-toi ! Et en même temps je voulus le prendre parle bras pour l'aider.


Mais, ô horreur ! Qui me fait frémir quand j'y pense, son bras détaché du corps me resta à la main. Je rejette avec horreur ce bras... lui, comme les quatre autres, étaient hachés comme chair à pâté... Je perdais beaucoup de sang, sans pouvoir être aidé de personne, tous étaient morts, tant à mon banc qu'à celui d'au-dessous, et à celui d'au-dessus, si bien que de dix-huit personnes que nous étions dans ces trois bancs il n'en échappa que moi, avec trois blessures.)

Le combat fini, on porta les blessés dans la cale sombre et basse du navire, et l'on jeta à la mer ceux qui paraissaient morts. Dans la confusion et l'obscurité Marteilhe, à qui le sang coulé de ses blessures avait fait perdre connaissance, faillit être ainsi jeté par-dessus le bord : heureusement pour lui, un des argousins qui le déferraient, appuya si fort sur une de ses plaies que la douleur le tira de son évanouissement et lui fit pousser un grand cri.


On l'emporta à fond de cale avec les autres blessés, et on le jeta sur un câble roulé, dur lit de repos pour un malheureux blessé souffrant cruellement. Il resta trois jours dans cet affreux fond de cale, sans être pansé qu'avec un peu d'eau-de-vie et de camphre. « Les blessés, dit-il, mouraient comme des mouches dans ce fond de cale, où il faisait une chaleur à étouffer et une puanteur horrible, ce qui causait une si grande corruption dans nos plaies que la gangrène s'y mit partout. Dans cet état nous arrivâmes, trois jours après le combat, à la rade de Dunkerque. »


C'est dans cette cale que les malades étaient placés au cours d'une campagne et qu'ils avaient à passer, non trois jours, mais des semaines et des mois entiers.

Voici la lugubre description que fait de cette infirmerie des galères l’aumônier Jean Bion : Il y a sous le pont à fond de cale un endroit qu'on appelle la chambre de proue, où on ne respire l'air que par un trou large de deux pieds en carré et qui est l'entrée par où on descend en ce lieu. Il y fait aussi obscur de jour que la nuit. Il y a au bout de cette chambre deux espèces d'échafauds, qu'on appelle le Taular, sur lequel on met, sur le bois seul, les malades qui y sont souvent couchés les uns sur les autres, et quand ils sont remplis, on met les nouveaux venus sur les cordages... Pour leurs nécessités naturelles, ils sont obligés de les faire sous eux. Il y a bien, à la vérité, sur chacun de ces taulars une cuvette de bois, qu'on appelle boyaux, mais les malades n'ont pas la force d'y aller, et d'ailleurs elles sont si malpropres que le choix en est assez inutile.


On peut conjecturer de quelle puanteur ce cachot est infecté... dans ce lieu affreux, toutes sortes de vermines exercent un pouvoir despotique. Les poux, les punaises y rongent ces pauvres esclaves sans être inquiétés et quand, par l'obligation de mon emploi, j'y allais confesser ou consoler les malades, j'en étais rempli... Je puis assurer que toutes les fois que j'y descendais, je marchais dans les ombres de la mort, j'étais néanmoins obligé d'y rester longtemps pour confesser les mourants et, comme il n'y a entre le plancher et le taular que trois pieds de hauteur, j'étais contraint de me coucher tout de mon long auprès des malades pour entendre en secret la déclaration de leurs péchés; et, souvent, en confessant celui qui était à ma droite je trouvais celui de ma gauche qui expirait sur ma poitrine.

C'est dans ce triste réduit que les aumôniers des galères, de durs lazaristes que les huguenots appelaient avec raison les grands ressorts de cette machine à bâtons et à gourdins, faisaient jeter après leur avoir fait administrer une terrible bastonnade les forçats huguenots qui avaient refusé de lever le bonnet pendant qu'ils célébraient la messe.


Quand la galère désarmée hivernait dans le port, les aumôniers, par un raffinement de cruauté, obtenaient que l'on donnât pour cachot aux invalides huguenots, l'infecte cale de la galère. « Sur la vieille Saint-Louis, dit le Journal des Galères, où il y a bon nombre de nos frères, vieux, estropiés ou invalides, on les a confinés dans la rougeole, endroit où l'on ne peut se tenir debout et où passent des ordures et les immondices de chaque banc, sans avoir égard à leur vieillesse et à leurs incommodités. M. André Valette est un de ces fidèles souffrants. Pendant l'été, on l'avait placé auprès du Fougon, lieu où l'on fait du feu, afin que la chaleur et la fumée l'incommodassent, et présentement, dans l'hiver, on le fait venir dans la rougeole, où l'eau des bancs coule et où le froid entre plus qu'ailleurs, afin de le mieux affliger. »


Les aumôniers ne se résignaient qu'à regret à laisser porter à l'hôpital les huguenots qu'ils avaient fait maltraiter. Ainsi, Jean L'hostalet ayant reçu une cruelle bastonnade pour n'avoir pas levé, le bonnet, l'aumônier le retint cinq ou six jours sur la galère, bien que le chirurgien eût ordonné de le transporter à l'hôpital. Quand on l'en retira enfin, il était mourant. C'est à cet hôpital que les forçats malades, chargé de lourdes chaîne, n'ayant ni capote, ni feu par les plus grands froids, allaient achever de mourir. Un Cévenol, dit Elie Benoît, y mourut de faim, l'aumônier de l'hôpital ayant défendu de lui donner à manger pour le punir d'avoir refusé de se laisser instruire. C'est là que vint mourir le huguenot Mauru, après avoir craché tous ses poumons : il expira sur un grabat où il grelottait sans feu et sans capote. Pendant dix années, Mauru avait été tourmenté cruellement par l'aumônier de sa galère, et la haine de cet aumônier le poursuivit jusqu'après sa mort, car il fit retirer son corps de la bière dans laquelle on l'avait mis, et le fit jeter tout nu à la voirie.

Les invalides, incapables de manier la rame, restaient enchaînés à leurs bancs comme les autres forçats pendant que la galère était en campagne; à la rentrée dans le port, moyennant un sou payé aux argousins ils obtenaient comme leurs compagnons valides, la faveur d'être déferrés pendant le jour. Cette faveur accordée aux malfaiteurs et aux meurtriers, était refusée aux huguenots. Louis de Marolles écrit en 1687, que, depuis plus de trois mois, il est à la chaîne nuit et jour sur la galère la Fière.


Un des commis de l'intendant, lit-on dans le journal des galères, son rôle à la main, constate si tous les religionnaires sont à la chaîne. Quant à l'argousin trop pitoyable qui avait déferré un huguenot, il était condamné à trente sous d'amende, pour avoir épargné à ce malheureux le supplice de l'éternelle immobilité. Quand on avait un trop grand nombre d'invalides au bagne, on les envoyait en Amérique, et Louis de Marolles, désigné deux fois pour la transportation, eut la malchance de voir rapporter son ordre d'embarquement; on l'envoya mourir dans un des plus affreux cachots de Marseille.

Les aumôniers ne se bornaient pas à faire donner de rudes salades à ceux qui refusaient de lever le bonnet, mais encore ils faisaient si cruellement bâtonner les huguenots qui entretenaient ces correspondances avec le dehors et distribuaient des secours leurs coreligionnaires, que plusieurs furent emportés demi-morts à l'hôpital. Pour arriver à découvrir les coupables, les aumôniers, dit le Journal des Galères, avaient aposté certains scélérats de forçats pour leur tenir toujours les yeux dessus »; parfois même ils mettaient les suspects en quarantaine, interdisant à toute personne étrangère de leur parler et de les approcher.

Grâce au dévouement des esclaves turcs et de quelques forçats catholiques qui leur servaient d'intermédiaires, les huguenots, commis pour régir la Société souffrante des galères, purent continuer à distribuer les sommes qui étaient recueillies en Suisse, en Hollande et en Angleterre, puis envoyées à des négociants de Marseille pour être données en secours aux forçats pour la foi. En vain Pontchartrain, ayant découvert que c'était un pasteur de Genève qui faisait l'envoi des fonds, voulut-il couper le mal dans sa racine, en enjoignant aux magistrats de Genève d'avoir à faire cesser ce désordre. Le seul résultat qu'il obtint, fut de faire substituer une nouvelle organisation à l’ancienne, si bien que jusqu'au jour où le dernier forçat pour cause de religion, sortit du bagne, la caisse de bienfaisance établie à Marseille continua à recevoir les sommes recueillies à l'étranger, pour la Société souffrante des galères.


Parmi les membres de cette Société des galères, on voyait Louis de Marolles, le conseiller du roi, le baron de Monthetou, parent du duc de la Force, le baron de Salgas, le sieur de Lasterne, de la Cantinière, de l'Aubonnière, Élie Néau, les trois frères Serre, Sabatier, etc. Sur une liste de cent cinq forçats pour la foi, que donne Court, on trouve deux chevaliers de Saint-Louis et quarante-six gentilshommes.

Le forçat Fabre qui avait obtenu d'être envoyé aux galères à la place de son père, surpris à une assemblée, expose ainsi la souffrance morale infligée aux honnêtes gens en se voyant jetés au milieu des pires malfaiteurs : « Lorsqu'il me fallut entrer dans ce fatal vaisseau, que je me vis dépouillé pour revêtir l'ignominieux uniforme des scélérats qui l'habitent, confondu avec ce qu'il y a de plus vil sur la terre, enchaîné avec l'un d'eux sur le même banc, le cœur me manqua... Je laisse à penser de quelle douleur mon âme fut accablée, à cette première nuit, lorsque, à la lueur d'une lampe suspendue au milieu de la galère, je promenai mes regards sur tous ces êtres qui m'environnaient, couverts de haillons et de vermine qui les tourmentait. Je m'imaginai être dans un enfer que les remords du crime tourmentaient sans cesse. »


La spirituelle et peu sensible marquise de Sévigné contant à sa fille les horribles détails de la répression de la révolte de la Bretagne, dit : « J'ai une tout autre idée de la justice, depuis que je suis en ce pays. Vos galériens me semblent une société d'honnêtes gens qui se sont retirés du monde pour mener une vie douce; nous vous en avons bien envoyé par centaines. »

C'était bien, grâce à la persécution religieuse, une société d'honnêtes gens que celle des galères; mais l'on a vu quelle vie douce, menaient les forçats retranchés du monde. « Oh ! Noble société que celle des galères, dit Michelet. Il semblait que toute vertu s'y fût réfugiée... On put souvent voir à la chaîne avec le protestant, le catholique charitable qui avait voulu le sauver, avec le forçat de la foi ramait le forçat de la charité. On y voyait le Turc qui, de tout temps, au péril de sa vie et bravant un supplice horrible, servait ses frères, chrétiens, se dévouait à leur chercher à terre les aumônes de leurs amis »

Quelques forçats catholiques, touchés de l'héroïque constance de huguenots leurs compagnons de chaîne, se convertir à la foi protestante sur les galères mêmes, et les aumôniers n'épargnaient point les plus indignes traitements à ces apostats qu'ils menaçaient de la potence.


« Les prosélytes de la chaîne, dit le Journal des Galères, qui n'ont à espérer que des tourments et des misères dans ce monde, ne nous font-ils pas plus d'honneur que cette foule de gens convertis que l'Église romaine s'est faite, et dont elle se glorifie par le motif de l'intérêt, des charges, par dragons, par le sang et le carnage ?


Quant à l'aumônier Bion, en voyant avec quelle cruauté on maltraitait parfois, jusqu'à leur faire venir l'âme jusqu'au bord des lèvres, les forçats huguenots (et cela parce qu'ils n'avaient pas levé le bonnet ou avaient refusé de nommer la personne dont ils avaient reçu des secours pour leurs frères des galères), il abjura sa foi catholique. « Leur sang prêchait, dit-il, je me fis Protestant».


Les aumôniers secondaient les vues de Louis XIV lorsqu'ils employaient tous les moyens pour arriver à ce que le silence se fit sur ce qui se passait dans l'enfer des galères En effet, le roi voulait que tout huguenot qui y entrait, perdit toute espérance d'en sortir autrement que par la mort et que nul ne sût ce qui se passait sur les galères. Quoi que fissent pour les tourmenter, intendants, aumôniers, comites; argousins ou geôliers, les huguenots n'avaient aucun recours contre les violences les plus indignes, contre les plus révoltantes iniquités qu'on voulait laisser ignorées de tous au dehors.

Cependant, en dépit des efforts faits par les aumôniers et les intendants pour les isoler du monde entier, les forçats huguenots, soit du pont des galères, soit du bagne, soit du fond des cachots obscurs où on les renfermait parfois, trouvaient toujours moyen, grâce à des merveilles d'intelligence de patiente ruse, de faire parvenir de leurs nouvelles à leurs coreligionnaires réfugiés à l'étranger. On a recueilli les curieuses et touchantes correspondances de ces martyrs de la liberté de conscience et on les a publiées sous le titre du Journal des Galères; on y voit que, à l'étranger, on était tenu au courant, jour par jour, presque heure par heure, de ce qui se passait dans la société souffrante des galères. À l'instigation des réfugiés français, les puissances protestantes ne cessaient de renouveler leurs démarches en faveur des forçats pour la foi si cruellement persécutés, mais il semblait que rien ne pût triompher de l'implacable obstination du roi à ne se relâcher en rien de ses odieuses rigueurs.

En 1709, Louis XIV, pour obtenir la paix, consent à céder nos places frontières et offre même de payer une subvention aux puissances alliées pour détrôner son petit fils, mais il se refuse absolument à mettre en liberté les huguenots ramant sur ses galères. Son négociateur, de Torcy lui écrit à ce sujet: On a traité dans la conférence de ce matin des religionnaires détenus sans les galères de Votre Majesté. Buys a demandé leur liberté; sans allonger ma lettre pour vous informer, sire, de mes réponses, j'ose vous assurer qu'il ne sera plus question de cet article. »

En effet, il n'en fut pas question dans le traité ; mais la paix signée, Louis XIV avait trop d'intérêt à se ménager les bonnes grâces de la reine Anne pour lui refuser la grâce des forçats pour la loi; seulement, ayant promis de les relâcher tous sur trois cents il n'en mit en liberté que cent trente-six.

L'intendant des galères à qui l'on faisait observer que les libérés, astreints à partir de suite par mer, n'étaient pas en mesure de fréter un navire à leurs frais, répondait que le roi ne voulait pas dépenser un sou pour eux. Les aumôniers, furieux de voir leurs victimes leur échapper, mettaient mille obstacles à leur départ. Les malheureux, autorisés à courir la ville sous la garde de leurs argousins, finirent par traiter avec un capitaine de navire qui les débarqua à Villefranche, d'où ils se rendirent à Nice puis à Genève. Leur entrée dans cette ville huguenote, si hospitalière pour nos réfugiés, fut un véritable triomphe. La population tout entière vint au-devant d'eux, précédée de ses magistrats, et chacun se disputa l'honneur de loger les martyrs de la foi protestante.


Peu de temps après, une députation des libérés partait pour l'Angleterre et fut présentée à la reine Anne par de Rochegude et par le comte de Miramont, un des plus remuants de nos réfugiés.


Bancillon, un des forçats mis en liberté qui faisaient partie de la députation, conte que la bonne reine dit à M. de Rochegude : « Voila donc tous les galériens élargis»; et qu'elle fut fort surprise quand celui-ci lui répondit qu'il y en avait encore un grand nombre sur les galères du roi. Il lui remit la liste des oubliés; et elle promit d'agir de nouveau pour obtenir la liberté de tous les forçats pour la foi. Cette fois le grand roi dut s'exécuter complètement, et en 1714, on relâcha tous les galériens condamnés pour cause de religion, parmi lesquels se trouvait, entre autres, Vincent qui, depuis douze ans, avait fini le temps de galères auquel les juges l'avaient condamné.

De nouvelles condamnations furent prononcées bientôt contre les protestants ayant assisté à des assemblées de prières, si bien que, sous la régence, on eut encore à faire de nouvelles mises en liberté de forçats pour la foi. Puis, à partir de 1724, on recommença à appliquer les, édits du grand roi avec tant de rigueur que les bagnes se peuplèrent de nouveau de huguenots.

Mais le sort des galériens était devenu moins dur par suite de la transformation du matériel maritime de la France ; en effet, sous la régence on avait mis à la réforme les deux tiers des galères. Il y en avait encore quelques-unes sous Louis XVI, mais elles ne servaient plus que pour la parade, pour les voyages des princes et des hauts personnages, en sorte que les galériens étaient rarement soumis au dur supplice de la vogue.

Jusqu’au dernier moment, l'administration et la justice françaises s'obstinèrent à envoyer les gens aux galères pour cause de religion, si bien que, de 1685 à 1762, plus de sept mille huguenots furent mis au bagne. En 1763, au lendemain du jour où venait d'être prononcée la dernière condamnation aux galères pour cause de religion, le secrétaire d'État , Saint-Florentin (pour repousser la demande de mise en liberté de trente-sept forçats pour la foi, faite par le duc de Belford) disait : « Je n'ai pas entendu dire que nous ayons demandé grâce pour des catholiques condamnés en Angleterre, pour avoir contrevenu aux lois du pays. Les Anglais ne devraient donc pas solliciter en faveur des religionnaires français condamnés pour avoir contrevenu aux nôtres. »


Le progrès de l'esprit de tolérance en France finit par avoir raison de l'obstination des administrateurs à vouloir appliquer les édits de Louis XIV, impudente violation de la liberté de conscience.

En 1769, le duc de Brunswick crut avoir obtenu la liberté du dernier galérien, condamné pour cause de religion ; c'était un vieillard de quatre-vingts ans. « Ce pauvre infortuné, écrivait le pasteur Tessier, sent à peine son bonheur à cause de son âge.»


Il restait encore cependant deux forçats pour la foi, oubliés au bagne depuis trente ans. M. Eymar, que Court avait chargé d'obtenir leur grâce, dit qu'ils jouissaient de la plus grande faveur, pouvant aller librement et sans gardes, exercer en ville une profession lucrative; « en un mot, dit-il, ils ne portaient plus du galérien que le titre et la livrée; d'un autre côté, ils avaient perdu de vue, pendant leur long esclavage, leur famille et leur pays; leurs biens avaient été confisqués, dilapidés ou vendus... Que retrouveraient-ils en échange de l'aisance assurée qu'ils allaient perdre, si ce n'est l'abandon et peut-être la mendicité ? »












À Metz, le jour de l'arrivée des dragons, l'intendant convoque à l'hôtel de ville, tous les huguenots de la localité, et presque tous signent, séance tenante, l'acte d'abjuration qu'il leur présente, en leur disant que la volonté du roi est qu'ils se fassent catholiques. Un bourgeois de Marseille conte ainsi comment se fit la conversion de la ville :

« Le second novembre 1685, jour du saint dimanche, est arrivé en cette ville cent cavaliers, dits dragons, avec les noms des huguenots habitants en cette ville, allant à cheval à chaque maison desdits huguenots lui dire, de par le roi, si veulent obéir à l'arrêt du roi ou aller dès à présent en galères et leurs femmes à l'Amérique. Pour lors, voyant la résolution du roi, crient tous à haute voix : Vive le roi ! et sa sainte loi catholique, apostolique et romaine, que nous croyons tous et obéirons à ses commandements! Dont MM. les vicaires, chacun à sa paroisse, les ont reçus comme enfants de l'Église, et renoncé à Calvin et Luther. M. le grand vicaire les oblige d'assister tous les dimanches au prône, chacun à sa paroisse, et les vicaires, avant de commencer la prière, les appelle chacun par Son nom, et eux de répondre tout haute voix : Monsieur, suis ici. »

Un jour, sur l'annonce de l'arrivée des dragons, toute la population huguenote du pays de Gex s'enfuit affolée, passe la frontière et se réfugie à Genève. Le laboureur avait laissé sa charrue et ses bœufs sur le sillon commencé, la ménagère apportait avec elle la pâte, non encore levée, du pain qu'elle avait préparé pour mettre au four, les plus pressés avaient passé le Rhône à la nage avec leurs bestiaux; c'était là un des premiers flots de l'émigration qui allait bientôt inonder tous les pays de l'Europe.

Dans la Saintonge, des populations entières avaient quitté leurs villages et s'étaient réfugiées dans les bois où elles vivaient comme des bêtes de l'herbe des champs. Louvois écrit à Foucault : « Il y a dans quatre paroisses de La Rochelle, six cents personnes qui ne se sont pas converties, parce qu'elles avaient toutes déserté et s'étaient mises dans les bois ; comme elles n'y pourraient tenir dans la rigueur de l'hiver qui va commencer, Sa Majesté trouvera bien agréable que vous sollicitiez M. de Vérac d'y faire loger des troupes dans la fin de ce mois. »

Pour fuir ces terribles dragons convertisseurs, les huguenots quittaient leurs maisons, fuyant au hasard à travers champs, à travers bois, Migault trouve sur sa route une dame fuyant, portant un enfant à la mamelle et suivie de deux autres en bas âge, courant affolée, ne sachant où aller. Croyant toujours avoir les dragons à sa poursuite, elle marchait toujours devant elle et passa plusieurs jours en rase campagne, sans abri et manquant de nourriture.

C'était un crime de fuir les dragons. De Noailles ayant donné huit jours aux habitants de Nîmes pour se convertir, il fit publier que ceux qui s'en étaient allés, par crainte des dragons, eussent à revenir dans trois jours sous peine d'être pendus ou mis aux galères: Une ordonnance décida que les maisons de ceux qui s'étaient absentés de chez eux seraient rasées, quant aux imprudents qui donnaient asile à ces huguenots errants, on les déclara passibles de grosses amendes.


« Informé, dit l'intendant Foucault, que plusieurs personnes donnent journellement retraite dans leurs maisons aux religionnaires qui abandonnent les leurs pour se mettre à couvert des gens de guerre, ce qui retarde et empêche même souvent leur conversion, fait très extrêmes défenses à toutes personnes de donner: retraite dans leurs châteaux ou maisons aux religionnaires, sous quelque prétexte que ce puisse être, à peine de mille livres d'amende. »


Anne de Chauffepied, dont le château avait été dragonné, avait trouvé asile chez Mme d'Olbreuse, parente de Mme de Maintenon. « Dès le mois suivant, dit-elle, M. et Mme d'Olbreuse furent avertis que Mme de Maintenon ne trouvait pas bon qu'ils nous gardassent chez eux. Mme d'Olbreuse écrivit là-dessus, une lettre pleine de bontés pour nous à cette dame, pour la supplier de nous laisser auprès d'elle, sachant qu'elle le pouvait facilement si elle le voulait. Mais sa dureté ne put être amollie là-dessus, et, sans rien écrire elle-même, elle fit mander à Mme d'Olbreuse qu'elle nous renvoyât, si elle ne voulait avoir bientôt sa maison pleine de dragons.

Quant à ceux qui donnèrent assistance aux fugitifs allant chercher asile hors des frontières, ou qui leur servaient de guides, ils étaient passibles de la peine des galères, parfois même de la peine de mort. Ainsi le Parlement de Rouen condamne à être pendus et étranglés les deux fils du laboureur Lamy, atteints et convaincus « d'avoir donné retraite et couché dans leurs maisons des religionnaires avec leurs hardes et chevaux pour faciliter et favoriser leur sortie du royaume. »



De même la cour de Metz avait condamné à être pendus et étranglés Jontzeller et sa femme Anne Keller convaincus « savoir ledit Jontzeller, d'être venu aux environs de cette ville pour y joindre lesdits religionnaires et les conduire hors du royaume, de les avoir guidés secrètement la nuit et les avoir cachés chez lui pendant un jour; ladite Keller d'avoir empêché leur capture... d'avoir, par deux fois éteint les lampes, et, par ce moyen, donné lieu à l'évasion desdits ».

Mais les peines terribles édictées, soit contre les fugitifs eux-mêmes, soit contre ceux qui aidaient à leur évasion hors du royaume, ne purent empêcher l'exode des protestants, cet épilogue fatal des dragonnades. 
 

L'émigration

Ne peut s'empêcher de reconnaître avec Michelet, que l'émigration des huguenots a un caractère tout particulier de grandeur; si le huguenot franchissait la frontière, ce n'était pas, comme l'émigré de 1793, pour sauver sa tête, et il n'était pas chassé de son pays, comme le Maure l'avait été de l'Espagne. Tout au contraire, s'il voulait rester et prendre le masque catholique, il lui était offert, pour prix d'une facile hypocrisie, honneurs, faveurs et privilèges de toutes sortes. Qu'il eût été ou non, contraint par la violence à renier des lèvres sa foi religieuse, le péril ne commençait pour lui que du moment où il se mettait en route pour aller chercher au-delà des frontières, une terre de liberté de conscience où il pût avoir la liberté de prier Dieu à sa manière. Pour se soustraire au viol journalier de sa conscience, il lui fallait tout quitter, renoncer à ses biens, abandonner ses parents, sa femme, ses enfants, tous les êtres qui lui étaient chers, et s'exposer, s'il échouait dans sa tentative d'évasion, à des peines terribles. S'il réussissait à franchir la frontière, c'était l'exil au milieu d'une population étrangère dont il ne connaissait ni les mœurs ni la langue, et la dure nécessité de mendier son pain ou de gagner sa vie péniblement à la sueur de son front.



On sait à quel point le Français est attaché à son pays, et combien, alors même qu'il s'agit d'aller se fixer à l'étranger avec tous les siens et en emportant son avoir, il a de la peine à s'arracher aux liens multiples et invisibles qui le retiennent à son pays natal; combien devait être grand le déchirement de cœur du huguenot, obligé de s'expatrier dans les conditions que je viens d'indiquer, et combien, une fois arrivé à l'étranger, devait être amer pour lui le regret de la patrie, regret qu'un réfugié traduit éloquemment en ces quelques mots : la patrie me revient toujours à cœur. Il fallut donc que la révolte de la conscience fût bien puissante pour que l'émigration des huguenots en vint à prendre les proportions d'un véritable exode et constituât pour la France un désastre.

Au début de l'émigration, alors qu'il n'y avait point de peines édictées contre ceux qui seraient surpris sur les frontières, en état de sortir du royaume, il était difficile d'empêcher les huguenots de passer la frontière.

En effet, l’édit de 1669 maintenait le droit de sortir du royaume pour tous les Français, sortant de temps en temps de leur pays pour aller travailler et négocier dans les pays étrangers, et il ne leur défendait que d'aller s'établir dans les pays étrangers, par mariages, acquisitions d'immeubles et transport de leurs familles et biens, pour y prendre leurs établissements stables et sans retour.


C'est pourquoi Châteauneuf recourait à cet expédient pour empêcher l'émigration des huguenots, il écrivait aux intendants : « Sa Majesté trouve bon qu'on se serve de sa déclaration qui défend à tous ceux, de la religion prétendue réformée, d'envoyer et de faire élever leurs enfants dans les pays étrangers avant l'âge de seize ans, pour faire entendre à ceux de la dite religion qui voudront se retirer hors du royaume, que, quand on leur laisserait cette liberté, on ne permettra point qu'ils emmènent leurs enfants au-dessous de cet âge, ce qui, sans doute, sera un bon moyen pour empêcher les pères et mères de quitter leurs habitation..»

Plus d'une fois, du reste, le gouvernement devait avoir recours à ce cruel expédient de mettre les huguenots dans cette douloureuse alternative, ou d'être séparés de leurs enfants, ou de renoncer à aller chercher sur la terre étrangère la liberté religieuse qu'on leur refusait en France.

Ainsi, pour les rares notabilités protestantes à qui l'on ne crut pas pouvoir refuser la permission de sortir de France, on eut soin de retenir leurs enfants pour les mettre aux mains des convertisseurs; il en fut de même pour les opiniâtres, qu'après un long temps de relégation ou d'emprisonnement, on se décida à expulser. Quant aux ministres que l'édit de révocation mettait dans l'alternative, ou de sortir de France, dans un délai de quinze jours, ou d'abjurer, dès le 21 octobre 1835, une circulaire aux intendants prescrivait de ne comprendre dans les brevets qu'on leur accordait, que leurs enfants de l'âge de sept ans ou au dessous, les autres devant être retenus en France.

Que de scènes déchirantes provoquées par cette cruelle disposition ! C'est ainsi que lorsque les quatre pasteurs de Metz, Ancillon, Bancelin, Joly et de Combles, furent accompagnés par les fidèles de leurs églises, jusqu'aux bords de la Moselle où ils devaient s'embarquer pour prendre le chemin de l'exil, on vit leurs seize enfants, ayant dépassé tous l'âge de sept ans, les étreignant dans la douleur et dans les sanglots, ne voulant pas se séparer d'eux.

Peut-être, cette obligation de se séparer des êtres qui leur étaient les plus chers fut-elle la cause déterminante de l'abjuration de plus d'un ministre, car les huguenots avaient au plus haut degré les sentiments de la famille, et l'on vit même des fugitifs qui avaient réussi à franchir la frontière, revenir, bravant tous les périls, se résignant même à la douloureuse épreuve d'une feinte abjuration, pour reprendre ceux de leurs enfants qu'ils n'avaient pu emmener avec eux en partant.

Le baron Collot d'Escury allant rejoindre sa femme et ses enfants, qu'il avait fait partir en avant pour sortir avec eux du royaume, est pris et contraint d'abjurer : «C'est un malheur, dit son fils, qui lui a tenu fort à cœur. Mais, sans cela, sa femme et ses enfants n'auraient guère pu éviter d'être repris. Ainsi, c'est un sacrilège qu'il a commis pour l'amour d'eux, dont nous et les nôtres doivent à tout jamais lui tenir compte. »

Le baron d'Escury avait laissé chez un de ses amis le dernier de ses enfants, le trouvant trop jeune pour supporter les fatigues d'un si pénible voyage. Après avoir abjuré, il alla le reprendre et rejoignit avec lui le reste de sa famille « aimant mieux que Dieu le retirât à lui que de le laisser dans un pays où il aurait été élevé dans une religion si opposée aux commandements de Dieu ».

Mlle de Robillard sollicite en pleurant le capitaine de navire qui l'emmenait en Angleterre avec quatre de ses frères et sœurs, pour qu'il consentie à emmener, par-dessus le marché, sa plus jeune sœur âgée seulement de deux ans. Elle fait tant qu'elle réussit. « Cette petite fille de deux ans, étant ma sœur et ma filleule, dit-elle, je me croyais d'autant plus obligée à la tirer de l’idolâtrie que les autres. »

La femme d'un gentilhomme, Jean d'Arbaud, lequel s'était converti, avait mis à couvert, chez ses parents, quatre de ses dix enfants; on lui avait laissé les trois plus jeunes; elle se décide à fuir avec eux : « Je me vis contrainte, dit-elle, de prendre la résolution de me retirer, et de faire mon possible pour sauver mes pauvres enfants... fortifiée par la grâce de Dieu et par la nouvelle que je venais de recevoir que mon mari, avec le procureur du roi, venait de m'enlever mes deux filles, l'aînée et la troisième, pour les mettre dans le couvent... Me servant de l'occasion de la foire de Beaucaire, m'y ayant fait traîner avec mes enfants dans un pitoyable équipage, et déguisée pour ne pas être reconnue ; mais ce qu'il y a de surprenant, ce fut d'avoir reconnu mon mari en chemin, dans son carrosse, qui, accompagné de M. le procureur du roi, menait mes deux pauvres filles captives que je reconnus d'abord, et auxquelles, après un triste regard et plusieurs larmes répandues d'une mère fort affligée, je ne pus donner autre secours que celui de mes prières et ma bénédiction, n'ayant osé me donner à connaître, de peur de perdre encore les autres. Dieu sait avec quelle amertume de coeur je poursuivis mon chemin, me voyant dans l'obligation d'abandonner un mari, peut-être pour jamais, que j'aimais extrêmement avant sa chute, et deux de mes filles exposées à toutes les plus violentes contraintes, et à être mises le jour même dans un couvent.
 
Mais enfin, voyant que je n'avais pas de temps à perdre, étant assurée que l'on me poursuivrait dans ma fuite, je pris au plus vite le chemin le moins dangereux, qui était celui de Marseille, où j'ai rencontré mes deux filles que j'avais auparavant envoyées du Dauphiné pour les mettre à couvert et qui avaient ordre de s'y rendre. Et de là, j'allai jusqu'à Nice, jusqu'a Turin, et de Turin à Genève, où j'arrivai avec mes six enfants, par la grâce de Dieu, après avoir été un mois en chemin, souffert une grande fatigue, et consumé ce que je pouvais avoir sur moi. Là, j'eus la joie de voir mon fils aîné, l'autre étant parti depuis deux ou trois mois avec M. le baron de Faisse, pour avoir de l'emploi.

On trouve sur une liste de réfugiés bretons conservée à Oxford, les mentions suivantes :

Mme de la Ville du Bois et ses quatre enfants, elle a laissé en France son mari dont elle s'est dérobée, et un enfant de trois mois qu'elle n'a pu sauver.
Mme de Mûre et trois enfants, elle s'est aussi dérobée de son mari, et a laissé une petite fille de six mois qu'elle n'a pu sauver.

Combien de familles se mettaient en route pour l'exil et ne se retrouvaient pas au complet au-delà de la frontière, ayant laissé sur la route quelques-uns de leurs membres, succombant aux fatigues du voyage ou retombés aux mains des convertisseurs.
Mme Bonneau, de Rennes gagne l'Angleterre avec sa mère et cinq petits enfants, son mari arrêté trois fois en voulant se sauver, était en prison ou aux galères.

Voici, d'après une relation conservée à Friedrichsdorf, la relation des épreuves subies par la famille Privat, de Saint-Hippolyte de Sardège dans le Languedoc :

« La mère fut massacrée par les dragons, le père Antoine Privat fut jeté dans une forteresse... ses onze enfants, dont le plus âgé avait dix-sept ans, erraient dans l'abandon et la misère. Un jour que fatigués, ils se tenaient appuyés contre les murs d'une vieille tour, ils entendirent une voix qui gémissait au fond de la tour... Le soir quelque chose tomba du haut de la tour à leurs pieds, c'était un écu de six livres enveloppé dans un papier. Ils lurent sur le papier : « Mes enfants, voici tout ce que j'ai. Allez vers l'Est et marchez longtemps, vous trouverez un prince agréable à Dieu qui vous recueillera. — Antoine Privat ».

Les enfants prirent confiance et marchèrent vers l'Est, ils marchaient depuis quatre mois, lorsqu'ils arrivèrent dans une grande et belle ville, où ils tombèrent épuisés sur une promenade, cette grande et belle ville était Francfort... Les bourgeois de Francfort donnèrent asile aux neuf filles, et plus tard les marièrent. Les deux garçons s'en allèrent vers l'électeur de Hesse qui leur permit de s'établir à Friedrichsdorf. »

Adrien le Nantonnier, émigré en Angleterre, veut passer en Hollande, il est pris par un corsaire algérien et meurt en esclavage, après avoir passé plusieurs années dans les fers. De ses dix enfants, un seul, son fils aîné, est converti et reste en France, ses quatre grandes filles et deux de ses fils déportés en Amérique comme opiniâtres, parviennent à s'échapper et à regagner l'Europe. Ses trois plus jeunes filles, cruellement tourmentées à l'hôpital de Valence par le féroce d'Hérapine, finirent par être expulsées et se retirèrent à Genève.

Michel Néel et sa femme, fille du célèbre ministre Dubosc, avaient trois enfants; ils gagnent la Hollande, ayant perdu deux de leurs enfants qui périssent de misère en route ; le troisième tombe aux mains des soldats à la frontière: quelques mois près, il meurt dans la maison de la Propagation de la foi, où il avait été enfermé. M. de Marmande et sa femme partent avec un enfant au berceau, on leur avait enlevé cinq filles et un garçon de cinq ans pour les élever au couvent. Le baron de Neufville émigre avec ses deux jeunes fils; sa femme, contrainte d'abjurer, ne peut emmener avec elle que les deux plus jeunes de ses quatre filles. Ils étaient bien nombreux les réfugiés qui, ayant laissé quelques-uns de leurs enfants aux dures mains des convertisseurs, redisaient chaque jour cette touchante prière, imprimée en 1687 à Amsterdam.

Mon Seigneur et mon Dieu, tu vois la juste douleur qui me presse. Pour te suivre j'ai abandonné ce que j'avais de plus cher, je me suis séparé de moi-même, j'ai rompu les plus forts liens de la nature, j'ai quitté mes enfants a qui j'avais donné la vie. Mais quand je réfléchis sur les dangers où ils se trouvent et sur les ennemis qui les environnent, mon regard se trouble, mes pensées se confondent, ma constance m'abandonne et, comme la désolée Rachel, je ne peux souffrir qu'on me console. »

Et Louis XIV qui, par la persécution religieuse, divisait les familles de cette terrible façon, ne craignait pas, pour retirer aux femmes et veuves protestantes l'administration de leurs biens, d'invoquer ce prétexte : que leur opiniâtreté divisait les familles!
Beaucoup de réfugiés, surtout à la première heure, arrivaient dénués de tout.

Au mois de septembre 1685, les pasteurs de Vevey mandent à Berne que soixante et un fugitifs, évitant les cruautés des gens de guerre du roi, viennent d'arriver : « ils sont venus, disent-ils, avec leurs corps seulement, n'ayant apporté la plupart que leur seul habit et la chemise qui s'est trouvée sur leur corps. »

Sur la terre d'exil, le conseiller Beringhen, beau-frère du duc de la Force, pouvait dire : « Je suis mari sans femme, père sans enfants, conseiller sans charge, riche sans fortune » Madame Cagnard, parvenue à gagner la Hollande avec ses deux filles, n'eut d'autre ressource pour vivre que le produit de la vente d’un collier de perles, seul reste de son opulence passée. — Henri de Mirmaud arrive à Genève avec ses deux petites filles et un vieux serviteur, ne possédant plus que quatre louis d'or; c'était la même somme qui restait à Mlle de Robillard, quand elle fut débarquée le soir, sur une plage déserte en Angleterre, avec ses quatre jeunes frères et soeurs. M. de la Boullonnière, dit une relation, qui était fort voluptueux et aimait ses aises, dut se faire, en Hollande, correcteur de lettres et travailler à cœur crevé, pour gagner vingt sous par jour. Le baron d'Aubaye, ayant abandonné 25.000 livres de rentes, n'avait en poche que trente pistoles. Madame d'Arbaud, qui avait 18 000 livres de rente, arrive dénuée à l'étranger avec neuf enfants dont le plus jeune avait sept ans.
 
Dans sa relation d'un voyage fait par lui à Ulm un ministre dit:
« Le bourgmestre m'avoua qu'il était vrai qu'on refusait l'entrée de la ville à ceux de nos réfugiés qu'on croyait être sur le pied de mendiants, que c'était parce que quelques semaines auparavant une troupe d'environ deux cents personnes s'étant trouvée coucher à Ulm, la nuit du samedi au dimanche, le dimanche matin cette grande troupe se trouva à la porte de l'église, lorsque l'assemblée se formait, et que lui-même, touché de l'état de tant de pauvres gens, avait exhorté l'assemblée à la charité; que cela avait produit des aumônes considérables à l'issue de la prédication; mais, que ces gens, non contents de cela, répandus ensuite par toute la ville, allant clochant et mendiant, que cela avait duré trois ou quatre jours, que la bourgeoisie, non accoutumée à cela, avait été obligée de faire prendre des mesures pour l'éviter. — Il ajouta que deux choses l'avaient fort touché, la première de voir tant de peuple sans conducteur, et sans que quelqu'un entendit l'allemand ou le latin, la seconde que ces pauvres gens paraissaient tous muets, ne faisaient que tendre la main avec quelque son de bouche non articulé, qu'il n'avait jamais si bien compris qu'alors que la diversité de la langue fût une si grande incommodité. »

Les Puissances protestantes, comprenant quelle chance inespérée c'était pour elles, d'hériter des meilleurs officiers de terre et de mer, des plus habiles manufacturiers, ouvriers et agriculteurs de la France, rivalisèrent de zèle charitable, en présence du flot sans cesse grossissant des émigrants arrivant la bourse vide, et parfois la santé perdue par suite des fatigues et des privations de la route.

La Suisse multiplia ses sacrifices sans se lasser, et Genève, après avoir pendant dix ans hébergés les innombrables fugitifs qui la traversaient pour se rendre dans les divers États protestants de l'Europe, finit par garder trois mille réfugiés qui s'établirent définitivement chez elle. La Hollande donna aux fugitifs des maisons, des terres, des exemptions d'impôt, et créa de nombreux établissements de refuge pour les femmes.
 
Le Brandebourg fit des villes pour nos réfugiés. L'Angleterre s'imposa pour eux des sacrifices considérables. Un comité français, établi, à Londres, répartissait entre les réfugiés les sommes allouées à l'émigration; les rapports de ce comité constatent que des secours hebdomadaires étaient donnés à 15500 réfugiés en 1687, à 27 000 en 1688.

Ce n'était pas seulement par zèle charitable, c'était aussi par intérêt que certaines puissances attiraient les réfugiés chez elles en leur offrant des terres et des exemptions d’impôt, des avantages de toute sorte, c'est ainsi que pour le grand électeur de Brandebourg, Lavisse fait observer avec raison que : « ce prince eut l'heureuse fortune, qu'en repeuplant ses États dévastés, c'est-à-dire en servant ses plus pressants intérêts, il s'acquit la renommée , d'un prince hospitalier, protecteur des persécutés et défenseur de la liberté de conscience.

Mais tous les émigrants n'arrivaient pas sans argent, tant s'en faut, l'argent affluait en Hollande et en Angleterre à la suite de la révocation, et bien que les plus riches eussent cherché asile en Hollande, l'ambassadeur de Louis XIV en Angleterre, écrivait en 1687 que la Monnaie de Londres avait déjà fondu neuf cent soixante mille louis d'or.
 
Suivant un auteur allemand, deux mille huguenots de Metz s'étaient enfuis dans le Brandebourg en emportant plus de sept millions. Suivant le maréchal de Vauban, dès 1689, l'émigration des capitaux s'élevait au chiffre de soixante millions et Jurieu estimait que, en moyenne, chaque réfugié avait emporté deux cents écus.

Le gouvernement de Louis XIV avait pourtant fait l'impossible, pour arrêter cette émigration des capitaux.

Les huguenots parents ou amis des fugitifs, dissimulant leur sortie du royaume, leur faisaient parvenir à l'étranger les revenus de leurs biens, mis à l'abri de la confiscation par cette dissimulation, et pour lesquels ils s'étaient fait consentir des baux fictifs. On fit appel aux délateurs, et la moitié de la fortune laissée par les fugitifs, fut attribuée à celui qui signalait leur évasion. Des fugitifs ayant, avant leur départ, confié leur fortune à des amis catholiques qui l'avaient prise sous leur nom; une ordonnance accorda aux délateurs de ces biens recélés, la moitié des meubles et dix ans des revenus des immeubles.

Puis on intéressa les parents à la ruine des fugitifs, en les envoyant en possession des biens de ceux-ci, comme s'ils fussent morts intestats. Beaucoup d'entre eux cependant continuèrent à ne se regarder que comme de simples mandataires, et à faire parvenir aux réfugiés le montant de leurs revenus; on les surveillait, et, du moindre soupçon, on les menaçait de leur retirer la jouissance des biens dont ils avaient été envoyés en possession. — Cependant Marikofer et Weiss constatent qu'en Suisse et dans le Brandebourg, un grand nombre de réfugiés recevaient, sous forme d'envois de vins, soit leurs revenus, soit les valeurs qu'ils avaient déposées en mains sûres avant de partir.

Les fugitifs, avant de quitter la France, vendaient à vil prix leurs immeubles ou consentaient des baux onéreux, afin de se faire de l'argent. Pour les empêcher de pouvoir en agir ainsi le roi décrète : « Déclarons nuls tous contrats de vente et autres dispositions que nos sujets de la religion prétendue réformée, pourraient faire de leurs immeubles, un an avant leur retraite du royaume. »
Pour éluder cette loi il fallait trouver un acheteur consentant à antidater l'acte de vente à lui consenti par un fugitif, moins d'un an avant sa sortie du royaume. Cela se trouvait encore, à des conditions onéreuses naturellement, puisque l'acheteur courait risque, si la fraude était découverte, de voir confisquer les biens qui lui avaient été vendus.

Pour porter remède au mal, une loi interdit à quiconque a été protestant ou est né de parents protestants de vendre ses biens immeubles, et même l'universalité de ses meubles et effets nobiliaires sans permission, et cette interdiction de vente fut renouvelée tous les trois ans jusqu'en 1778.

Voici, d'après une pièce authentique, la requête que devait adresser au Gouvernement celui qui, ayant du sang huguenot dans les veines, voulait vendre ses immeubles : « Aujourd'hui, 3 février 1772, le roi étant à Versailles, la dame X.. a représenté à Sa Majesté qu'elle possède à.... un domaine de la valeur de neuf mille livres qu'elle désirerait vendre, mais, qu'étant issue de parents qui ont professé la religion prétendue réformée, elle ne peut faire cette vente sans la permission de Sa Majesté. »

Le huguenot qui voulait préparer sa fuite, ne pouvant désormais ni aliéner ni affermer ses immeubles, même à vil prix, n'avait plus d'autre moyen de se procurer de l'argent nécessaire au voyage que de vendre, comme il le pouvait, une partie de ses effets et objets mobiliers. — Là encore, nouvel obstacle créé par le gouvernement ; à Metz, dit Olry, il y avait des défenses si fortes de rien acheter de ceux de la religion, que ce fut après de gros dommages, que nous eûmes l'argent des effets que l'on achetait de nous pour le quart de ce qu'ils valaient; au château de Neufville, près d'Abbeville, les dragons, dit une relation, « avaient trouvé la maison fort garnie, on n'avait pu rien vendre, il y avait plus de trois mois qu'il y avait des défenses secrètes de rien acheter et aux fermiers de rien payer. »

Ce n'était pas seulement la difficulté de vendre, qui empêchait les huguenots de réaliser leur pécule de fuite, c'était la nécessité de le faire secrètement, de ne se procurer de l'argent que peu à peu, et de différentes mains, de manière à de pas éveiller les soupçons du clergé et de l'administration. Pour se rendre compte du soin jaloux avec lequel l'administration surveillait les ventes d'objets mobiliers, il faut consulter dans le registre des délibérations de la ville de Tours (séance du27 octobre 1685), l'état des objets achetés aux réformés par les marchands et particuliers catholiques.

Quatre-vingt-quinze réformés sont signalés comme ayant vendu des bijoux, des meubles, des tapisseries, des tableaux, du linge, de la batterie de cuisine. La dame Renou a vendu deux armoires pour quatre livres dix sous, la veuve Dubourg, un moulin à passer la farine pour sept livres vingt sols, de Sicqueville, deux guéridons pour trois livres, Brethon, deux miroirs, deux lustres et une tapisserie pour six cent cinquante livres, Mlle Briot, un fil de perles pour cinq cent livres, Jallot, de la vaisselle d'argent pour neuf cent soixante-douze livres.

Comme l'avait conseillé Fénélon dans son mémoire à Seignelai, on veillait « à empêcher non seulement les ventes de biens et de meubles, mais encore les aliénations, les gros emprunts ». De cette manière, on empêchait les huguenots non commerçants de réaliser facilement leur fortune à l'avance pour la faire passer à l'étranger. Pour les commerçants, Seignelai fit en vain strictement visiter les navires partant pour l'étranger, qu'il croyait remplis de tonneaux d'or et d'argent; cette visite ne pouvait amener de résultats; car, c'est au moyen de lettres de change tirées sur les diverses places de l'Europe, que les commerçants faisaient passer à l'étranger leur fortune, consistant en valeurs mobilières. Weiss dit que quelques familles commerçantes de Lyon firent passer de cette manière jusqu'à six cent mille écus en Hollande et en Angleterre.

Le Gouvernement demeura impuissant, aussi bien pour arrêter l'émigration des capitaux que pour empêcher celle des personnes, bien qu'il eût dicté les plus terribles peines contre les fugitifs et contre ceux qui favoriseraient directement ou indirectement leur évasion.

Un édit de 1679 avait édicté la peine de la confiscation de corps et de biens contre les religionnaires qui seraient arrêtés sur les frontières en état de sortir du royaume, ou qui, après être sortis de France seraient appréhendés sur les vaisseaux étrangers ou autres; une déclaration du 31 mai 1685 substitua à la peine de mort celle des galères pour les hommes, de l'emprisonnement perpétuel pour les femmes, avec confiscation des biens pour tous, peine moins sévère, dit le roi, dont la crainte les puisse empêcher de passer dans les pays étrangers pour s'y habituer ». Ce n'était point par humanité qu'était faite cette substitution de peine, mais par suite de l'impossibilité où l'on se trouvait de punir de la peine capitale un si grand nombre de coupables; ce qui le montre bien, c'est qu'un édit du 12 octobre 1687 substitue au contraire la peine de mort à celle des galères pour ceux qui auront favorisé directement ou indirectement l'évasion des huguenots.
 
La crainte de la peine des galères n'arrêta pas plus que celle de la peine de mort, le flot toujours grossissant de l'émigration, mais les galères se remplirent de malheureux arrêtés en état de sortir du royaume. Marteilhe, acquitté du fait d'évasion, bien qu'arrêté sur les frontières, vit son procès repris sur ordre exprès de la Cour et fut envoyé aux galères.

Aussi, quand M. Eymar annonça à ces deux vieillards qu'ils étaient graciés, il les vit accueillir cette bonne nouvelle avec la plus froide indifférence. « Je les vis même, dit-il, pleurer leurs fers et regretter leur liberté. » Heureusement que la Société de secours, établie à Marseille pour les galériens, existait encore ; elle put fournir à ces malheureux, devenus si peu soucieux de leur liberté, un équipement complet et une somme de mille francs pour les mettre à l'abri de la misère qu'ils redoutaient.

On le voit, c'est presque à la veille de la révolution que sortirent du bagne les deux dernières victimes de l'odieuse législation de Louis XIV, impitoyablement appliquée pendant un siècle.

Louis XIV avait mis en prison, à l'hôpital ou au couvent, expulsé ou transporté en Amérique les opiniâtres qui persistaient dans les erreurs d'une religion que, écrivait-il au duc de la Force, je ne veux plus tolérer dans mon royaume.

Il avait envoyé aux galères tout huguenots qui avaient tenté de passer à l'étranger, assisté à une assemblée de prières, ou rétracté l'abjuration que la violence lui avait arrachée. Pour compléter le tableau de cette odieuse croisade faite par le roi très chrétien contre la liberté de conscience de ses sujets, il ne me reste plus qu'à raconter ce que furent les exhortations données aux huguenots par ses soldats, qu'à faire la lamentable histoire des dragonnades.
 

http://www.regard.eu.org/Livres.7/Huguenots/18.html

http://www.google.ca/imgres?imgurl=http://www.loc.gov/exhibits/religion/vc006751.jpg&imgrefurl=http://www.loc.gov/exhibits/religion/rel01.html&usg=__WmryM75m80Mk0y7er_S9hk7ha84=&h=750&w=558&sz=115&hl=fr&start=13&sig2=DpJvnRzLN5B64tEmVx3JUA&um=1&itbs=1&tbnid=vFIJD65P8dXrxM:&tbnh=141&tbnw=105&prev=/images%3Fq%3Dhuguenots%26um%3D1%26hl%3Dfr%26rlz%3D1T4GGLL_frCA374CA375%26tbs%3Disch:1&ei=Tef8S6SfNIG78gaSh4i8Cw

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