Louis XIV - Dragonnades - Les Hughenots - Nos ancêtres protestants en
France suite 4
Les États durent, bon gré mal gré, se contenter des explications données par l'ambassadeur de France.
France suite 4
Les États durent, bon gré mal gré, se contenter des explications données par l'ambassadeur de France.
À l'un, ils liaient ensemble les pieds et les mains, lui prenant la tête entre les jambes et faisant rouler sur le plancher l'homme ainsi transformé en boule. À un autre ils emplissaient la bouche de gros cailloux avec lesquels ils lui aiguisaient les dents. Tenant leurs hôtes par les mains, ils leur soufflaient dans la bouche leur fumée de tabac, ou leur faisaient brûler du soufre sous le nez. Ils les bernaient dans des couvertures ou les faisaient danser jusqu'à ce qu'ils perdissent connaissance. Lambert de Beauregard raconte ainsi ce supplice de la danse qui lui fut deux fois infligé et chaque fois pendant six heures. « Je fus tourmenté de la plus étrange façon que l'on puisse imaginer, soit pour me terrasser et me faire tomber rudement à terre: me tirant les bras tantôt en avant, tantôt en arrière, de telle sorte qu'il me semblait à tout moment qu'ils me les arrachaient du corps, et quelquefois, après m'avoir, fait tourner jusqu'à ce que j'étais étourdi, ils me lâchaient, et j'allais tomber lourdement à terre ou contre la muraille. Quoique ce fût en hiver, ces gens quittèrent leurs casaques par la chaleur et la lassitude, et moi, qu'eux tous ensemble voulaient tourmenter, je devais être bien las. »
Le maire de Calais dut se livrer à ce terrible exercice de la danse, ayant attachées sur le dos les bottes des dragons, dont les éperons venaient le frapper chaque fois qu'on le faisait sauter et tourner violemment.
Suspendant leurs hôtes par les aisselles, les soldats les descendaient dans un puits, les plongeant dans l'eau glacée, puis ils les en retiraient de temps en temps, avec menace de les y noyer s'ils n'abjuraient pas. Ils les pendaient à quelque poutre, par les pieds ou par la tête, parfois faisant passer sur le nez du patient la corde qui le tenait suspendu, ils la rattachaient derrière sa tête de façon à ce que tout le poids du corps portât sur la partie, la plus tendre du visage. À d'autres, on liait les gros doigts des pieds avec de fines et solides cordelettes jusqu'à ce qu'elles fussent entrées dans les chairs et y demeurassent cachées. Alors, passant une grosse corde attachée à une poutre entre les pieds et les mains du patient, on faisait tourner, aller et venir ce malheureux, ou on l'élevait, on le descendait brusquement, lui faisant endurer ainsi les plus cruelles souffrances.
À Saint-Maixgetcharent, tandis que dans une chambre voisine leurs filles étaient battues de verges jusqu'au sang par les soldats, les époux Liège, deux vieillards, étaient suspendus par les aisselles, balancés et rudement choqués l'un contre l'autre. Puis lorsque les soldats furent lassés de ce jeu, ils nouèrent au cou du père une serviette, à chaque bout de laquelle était suspendu un seau plein d'eau, et, la strangulation obligeant leur victime à tirer, la langue, ils s'amusaient à la lui piquer à coups d'épingle.
Les soldats prenaient leurs hôtes par le nez avec des pincettes rougies au feu, et les promenaient ainsi par la chambre. Ils leur donnaient la bastonnade sous la plante des pieds, à la mode turque.
Ils les couchaient liés sur un banc, et leur entonnaient, jusqu'à ce qu'ils perdissent connaissance, du vin, de l'eau-de-vie ou de l'eau, qui parfois se trouvait être bouillante. Devant les brasiers allumés pour faire cuire les viandes destinées à leurs interminables repas, ils liaient des enfants à la broche qu'ils faisaient tourner, ou mettant les gens nus, ils les obligeaient à rester exposés à l'ardeur du foyer jusqu'à ce que la chaleur eût fait durcir les œufs qu'ils leur faisaient tenir dans la main ou dans, une serviette. Les sabots d'un paysan, soumis à ce supplice, prennent feu, le malheureux a peur d'être brûlé, et promet d'abjurer, on le retire, il se dédit, on le remet aussitôt devant le feu, ce jeu cruel recommença plusieurs fois, dit Elie Benoît.
Un soldat, jovialement cruel, fait observer que la femme de l'instituteur Migault, à peine relevée de couches, doit être, dans son état, tenue le plus chaudement possible et elle est traînée devant le foyer. « L'ardeur du feu était si insupportable, dit Migault dans la relation qu'il fait pour ses enfants, que les hommes eux-mêmes n'avaient pas la force de rester auprès de la cheminée et qu'il fallait relever toutes les deux ou trois minutes, celui qui était auprès de votre mère. »
Et la pauvre accouchée dut endurer ce supplice jusqu'à ce que la douleur la fasse tomber sans connaissance.
Certains, attachés aux crémaillères des cheminées dans lesquelles on avait allumé du foin mouillé, furent fumés comme des jambons, — d'autres flambés à la paille ou à la chandelle comme des poulets, d'autres enfin enflés avec des soufflets, comme des bœufs morts dont on veut détacher la peau.
Les soldats mettaient une bassinoire ardente sur la tête de leurs hôtes, leur brûlaient avec un fer rouge le jarret ou les lèvres, les asseyaient, culottes bas ou jupes relevées, au-dessus d'un réchaud brûlant, leur mettaient dans la main un charbon ardent en leur tenant la main fermée de force, jusqu'à ce que le charbon fût éteint.
Ils les lardaient d'épingles, depuis le haut jusques en bas; ils leur arrachaient, avec une cruelle lenteur, les cheveux, les poils de la barbe, des bras et des jambes, jusqu'à une entière épilation. — Avec des tenailles, ils leur arrachaient les dents, les ongles des pieds et des mains, torture horriblement douloureuse. Un des supplices les plus familiers à ces bourreaux, le seul que le gouverneur du Poitou, la Vieuville, consentit à qualifier de violence, était de chauffer leurs Victimes, de leur brûler la plante des pieds.
L'archevêque de Bordeaux, dit Elie Benoît, qui, d'une chambre haute, se divertissait à entendre les cris de Palmentier, un pauvre goutteux que les soldats tourmentaient, suggéra à ces soldats l'idée de brûler les pieds de ce malheureux avec une pelle rougie au feu. C'est aussi avec une pelle rouge que le curé de Romans brûla le cou et les mains de Lescalé, qu'il s'était chargé de convertir.
Les soldats me déchaussèrent mes souliers et mes bas, dit Lambert de Beauregard, et, cependant que deux me firent choir à la renverse en me tenant les bras, les autres m'approchaient les pieds à quatre doigts de la braise qui était bien vive, et qui me fit alors souffrir une grande douleur ; et quand je remuais pour retirer mes pieds, et qu'ils s'échappaient de leurs mains, mes talons tombaient dans la braise. Cependant, il y en eut un qui s'avisa de mettre chauffer la pelle du feu jusqu'à ce qu'elle fut toute rouge, et ensuite me la frottèrent contre la semelle des pieds, jusqu'à ce qu'ils jugèrent que j'en avais assez; et, après cela, ils eurent la cruauté de me chausser par force mes bas et mes souliers... Voilà plus de deux fois vingt-quatre heures que je demeurai sans que personne ne s’approchât pour visiter mes plaies, où la gangrène commença à s'attacher... Les chirurgiens ayant vu mes plaies, qui faisaient horreur à ceux qui les voulaient regardé, me donnèrent le premier appareil; après quoi, on me fit porter à l'hôpital général. »
Un
dragon frotta de graisse les jambes d'une fille, en imbiba ses bas,
qu'il recouvrit d'étoupe, à laquelle il mit le feu.
Lejeune, retenu devant un brasier et obligé de tourner la broche où rôtissait un mouton tout entier, ne pouvait s'empêcher de faire de douloureuses contorsions, ce que voyant, le loustic de la bande lui dit : je vais te donner un onguent pour la brûlure, et il versa de la graisse bouillante sur ses jambes qui furent rongées jusqu'aux os. Jurieu, qui se rencontre plus tard sur la terre d'exil, avec Lejeune, dit : Il n'est pas si bien guéri qu'il ne ressente souvent de grandes douleurs, qu'il ne boite des deux jambes, et qu'il n'ait une jambe décharnée jusqu'aux os et moins grosse que l'autre de moitié. »
À Charpentier de Ruffec, les soldats font avaler vingt-cinq ou trente verres d'eau; cette torture n'ayant pas réussi, on lui fait découler dans les yeux le suif brûlant d'une chandelle allumée, et il en meurt. D'autres au contraire, comme les sieurs de Perne et la Madeleine, gentilshommes de l'Angoumois, étaient plongés jusqu'au cou dans l'eau glacée d'un puits, où on les laissait pendant de longues heures, Plus la résistance passive de la victime prolongeait, plus l'irritation des soldats s'augmentait en voyant l'impuissance de la force brutale contre la force morale, et, une torture restée sans résultat, ils ajoutaient mille autres tourments. Ainsi l'opiniâtre Françoise Aubin, après avoir été étouffée à moitié par la fumée du tabac et la vapeur dû soufre, fut suspendue par les aisselles, puis eut les doigts broyés avec des tenailles, et enfin fut attachée à la queue d'un cheval, qui la traîna à travers un feu de fagots. À un autre Opiniâtre, Ryan, qui souffrait fort de la goutte, on serra les doigts avec des cordes, on brûla de la poudre dans les oreilles, on planta des épingles sous ses ongles, on perça les cuisses à coups de sabre et de baïonnette, et enfin l'on mit du sel et du vinaigre dans ses mille blessures saignantes.
La plus cruelle torture morale que les soldats eussent imaginée était celle-ci : Quand l'opiniâtre était une mère, allaitant son enfant, ils la liaient à la quenouille du lit et mettaient son enfant sur un siège, placé vis-à-vis d'elle, mais hors de sa portée. Pendant des journées entières, on les laissait tous deux ainsi, le supplice de l'enfant, criant et pleurant pour demander sa nourriture, faisait la torture de la mère. La mort de l'enfant ou l'abjuration de la mère pouvaient seules mettre fin à ce cruel supplice, et c'est toujours la mère qui cédait. Comment en eût-il été autrement ? dit Michelet. Toute la nature se soulevait de douleur, la pléthore du sein qui brûlait d'allaiter, le violent transport qui se faisait, la tête échappait. La mère ne se connaissait plus, et disait tout ce qu'on voulait pour être déliée, aller à son enfant et le nourrir, mais dans ce bonheur, que de regrets ! L'enfant, avec le lait, recevait des torrents de larmes. »
Au début des dragonnades, pour ajouter la torture morale aux tortures physiques, on tourmentait les divers membres d'une famille, les uns devant les autres, mais on ne tarda pas à s'apercevoir que le calcul était mauvais, les victimes s'encourageant mutuellement l'une l'autre à souffrir courageusement pour la foi commune.
On se décida donc, pour forcer plus aisément les conversions, dit une lettre du temps, à séparer les membres de la famille, à les disperser dans les chambres, cabinets, caves et greniers de la maison pour les torturer isolément.
« Le roi approuve que vous fassiez séparer les gens de la religion réformée pour les empêcher de se fortifier les uns les autres » écrit Louvois à l'intendant, occupé à faire dragonner la ville de Sedan. Cette tactique de l'isolement parut tellement efficace au gouvernement que, plus d'une fois, il enferma dans des couvents ou dans des prisons éloignées certains membres; d'une famille, tandis que les autres restaient livrés aux mains des dragons.
Pontchartrain, pour venir à bout de Mme Fonpatour et de ses trois filles, tous quatre forts opiniâtres, les fit séparer et enfermer dans quatre couvents différents. Fénélon demandait qu'on refusât aux nouveaux convertis la permission de voir leurs parents prisonniers et disait qu'il ne faudrait même pas que les prisonniers eussent entre eux la liberté de se voir. Les dragons à Bergerac avaient perfectionné cette pratique de l'isolement des gens à convertir, en y ajoutant la privation de nourriture et de sommeil. Une lettre écrite, de France et publiée en Hollande fait le récit suivant : « On lie, on garrotte père, mère, femme, enfants; quatre soldats gardent la porte pour empêcher que personne n'y puisse entrer pour les secourir ou les consoler, on les tient en cet état deux, trois, quatre, cinq et six jours sans manger, sans boire, et sans, dormir; l'enfant crie d'un côté, d'une voix mourante : ah! Mon père, ah ! Ma mère, je n'en puis plus !
La femme crie de l'autre part : hélas ! le cœur me va faillir, et leurs bourreaux, bien loin d'en être touchés, en prennent l'occasion de les presser et de les tourmenter encore davantage, les effrayant par leurs menaces, accompagnées de jurements exécrables... Ainsi ces misérables, ne pouvant ni vivre ni mourir, parce que lorsqu'on les a vus défaillir on leur a donné à manger seulement ce qu'il fallait pour les soutenir, et ne voyant point d'autre voie pour sortir de cet enfer où ils étaient incessamment tourmentés, ont plié enfin sous le poids de tant de peines. » Partout, du reste, les soldats avaient fini par reconnaître que la torture la plus efficace pour faire céder les plus obstinés, c'était la privation de sommeil, l'insomnie prolongée, à l'aide de laquelle les dompteurs viennent à bout des fauves. Les soldats, se relayant d'heure en heure. nuit et jour, auprès d'un patient, l'empêchaient de prendre le moindre repos, le tiraillant, le pinçant, le piquant, lui jetant de l'eau au visage, le suspendant par les aisselles, lui mettant sur la tête un chaudron sur lequel ils faisaient, à coups de marteaux, le charivari le plus assourdissant.
Après trois ou quatre jours de veille obligée dans de telles conditions, le patient cédait; s'il résistait plus longtemps, c'est que l'humanité ou la fatigue d'un de ses bourreaux avait interrompu son supplice, et lui avait permis de prendre quelque repos.
Le gouverneur d'Orange, Tessé, vient trouver le pasteur Chambrun et le menace de ce supplice; Chambrun, cloué sur son lit par une grave fracture de la jambe, découvre en vain son corps, en disant à Tessé: vous n'aurez pas le courage de tourmenter ce cadavre. « Sans être touché d'aucune compassion de l'état où il m'avait vu, dit Chambrun, il envoya chez moi dans moins de deux heures, quarante-deux dragons et quatre tambours qui battaient nuit et jour tout autour de ma chambre pour me jeter dans l'insomnie et me faire perdre l'esprit s'il leur eût été possible... L'exercice ordinaire de ces malhonnêtes gens était de manger, de boire et de fumer toute la nuit; cela eût été supportable s'ils ne fussent venus fumer dans ma chambre, peur m'étourdir ou m'étouffer parla fumée de tabac, et si les tambours avaient fait cesser leur bruit importun; pour me laisser prendre quelque repos. — Il ne suffisait pas à ces barbares de m'inquiéter de cette façon; ils joignaient à tout cela des hurlements effroyables, et si, pour mon bonheur, la fumée du vin en endormait quelques-uns, l'officier qui commandait, et qu'on disait être proche parent de M. le marquis de Louvois, les éveillait à coups de canne, afin qu'ils recommençassent à me tourmenter...
Après
avoir essuyé cette mauvaise nuit, le comte de Tessé
m'envoya un officier pour me dire si je ne voulais pas obéir
au roi. Je lui répondis que je voulais obéir à
mon Dieu. Cet officier sortit brusquement de ma chambre et l'ordre
fut donné de loger tout le régiment chez moi, et de me
tourmenter avec plus de violence. Le désordre fut furieux
pendant tout ce jour et la nuit suivante. Les tambours vinrent dans
ma chambre, les dragons venaient fumer à mon nez, mon esprit
se troublait, par cette fumée infernale, par la substruction
des aliments, par mes douleurs et par mes insomnies. Je fus encore
sommé par le même officier d'obéir au roi, je
répondis que mon Dieu était mon roi... Qu'on ferait
bien mieux de me dépêcher plutôt que de me faire
languir par tant d'inhumanités.
Tout cela n'adoucit pas ces cœurs barbares, ils en firent encore pis, de sorte qu'accablé par tant de persécutions, je tombai le mardi 13 de Novembre, dans une pâmoison où je demeurai quatre heures entières avec un peu d'apparence de vie.
Chambrun, qui avait passé un instant pour mort, est encore cruellement tourmenté. Je souffris de telles douleurs, dit-il, que j'allai lâcher cette maudite parole : Eh bien ! Je me réunirai. » Cette maudite parole, arrachée par la souffrance, suffisait aux convertisseurs pour déclarer que Chambrun était revenu à l'Église romaine. Pour être réputé catholique, dit Élie Benoît, il suffisait de prononcer Jésus Maria, ou de faire le signe de la croix. Le plus souvent, pour mettre leur conscience en repos, les victimes qui mettaient leur signature au bas d'un acte d'abjuration ajoutaient: pour obéir à la volonté du roi. La mère de Marteilhe, convertie par les soldats du duc de la Force, signe l'acte d'abjuration avec cette mention amphibologique: La Force me l'a fait faire; quant aux habitants d'Orange qu'il avait convertis tous en vingt-quatre heures, Tessé écrit à Louvois : «Ils croyaient être dans la nécessité de mettre le nom et l'autorité du roi dans toutes les lignes de leur créance, pour se disculper envers leur prince (le prince d'Orange), de ce changement par une contrainte qu'ils voulaient qui parut, vous verrez comme quoi j'ai retranché tout ce qui pouvait la ressentir... en tous cas il faut que Sa Majesté regarde ce qu'on fait avec ces gens-ci, comme d'une mauvaise paie dont on tire ce qu'on peut. »
Le
clergé était de cet avis, et se montrait très
accommodant sur toutes les restrictions dont les huguenots voulaient
entourer leur abjuration.
Une fois l'abjuration obtenue, le huguenot enfermé dans le royaume par la loi contre l'émigration, devait être contraint, par la loi sur les relaps, à faire des actes de catholicité dont il avait horreur.
Une fois l'abjuration obtenue, le huguenot enfermé dans le royaume par la loi contre l'émigration, devait être contraint, par la loi sur les relaps, à faire des actes de catholicité dont il avait horreur.
« C'était là la doctrine, dit Rulhières, qui devint presque générale dans le clergé et fut avouée, discutée, approfondie par de célèbres évêques dont nous avons recouvré les mémoires. Quant aux malheureux à qui, dans un moment de souffrance, on avait fait renier des lèvres la religion à laquelle ils restaient attachés au fond du cœur, plusieurs moururent de désespoir, d'autres devinrent fous. Quelques-uns se dénoncèrent eux-mêmes comme relaps et se firent attacher à la chaîne des galériens. « On en voyait, dit Elie Benoît, qui se jetaient par terre dans les chemins, criant miséricorde, se battaient la poitrine, s'arrachaient les cheveux, fondaient en larmes. Quand deux personnes de ces misérables convertis se rencontraient, quand l'un, voyait l'autre aux pieds d'une image, ou dans un autre acte de catholicité, les cris redoublaient. On ne peut rien imaginer de plus touchant que les reproches des femmes à leurs maris et des, maris à leurs femmes accusait l'autre de sa faiblesse et le rendait responsable de son malheur. La vue des enfants était un supplice continuel pour les pères et les mères qui se reprochaient la perte de ces âmes innocentes. Le laboureur, abandonné à ses réflexions au milieu de son travail, se sentait pressé de remords, et, quittant sa charrue au milieu de son champ, se jetait à genoux, demandait pardon, prenait à témoin qu'il n'avait obéi qu'à la violence. » Un jour que j'étais à la campagne (dit Pierre de Bury, au juge qui lui objecte qu'ayant abjuré il n'a pas le droit de se dire huguenot), duquel jour je ne me souviens pas, je pleurai tant que mon abjuration se trouva rompue. » Vingt-et-un nouveaux convertis parviennent à s'embarquer sur le navire qui emportait Beringhen, expulsé du royaume comme opiniâtre. « Après la bénédiction du pasteur, dit Beringhen, ils s'embrassèrent les uns les autres s'entre demandant pardon du scandale qu'ils s'étaient donné réciproquement par leur apostasie. »
Tous ceux qui, après avoir abjuré, pouvaient passer la frontière, se faisaient, après pénitence publique, réintégrer dans la communion des fidèles.
À Londres le consistoire de l'Église française se réunissait tous les huit jours pour réintégrer dans la confession protestante les fugitifs qui avaient abjuré en France. Le premier dimanche de mai 1686, il réhabilita ainsi cent quatorze fugitifs et dans le mois de mai 1687 on ne compte pas moins de quatre cent quatre-vingt-dix-sept de ces réintégrations dans la communion protestante.
Chambrun se fit ainsi réhabiliter, mais il ne se consola jamais du moment de défaillance qui lui avait fait, au milieu des souffrances renier sa foi. Un autre pasteur, Molines, avait abjuré au pied de l'échafaud. Pendant trente années on le vit en Hollande errer comme une ombre; l'air défait, le visage portant l'empreinte du désespoir. « On ne pouvait, dit une relation, le rencontrer sans se sentir ému de pitié, son attitude exprimait l'affaissement, sa tête pendait de tout son poids sur sa poitrine et ses mains restaient pendantes. »
Pour faire revivre devant les yeux des lecteurs de ce travail, l'abominable jacquerie militaire qui a reçu le nom de dragonnades, il a fallu entrer dans des détails navrants, de nature à blesser peut-être quelques délicatesses, mais ces détails étaient nécessaires pour fixer dans les esprits l'exécrable souvenir qui doit rester attaché à la mémoire de Louis XIV et de ses coopérateurs clercs ou laïques.
Les habiles pères jésuites qui composent les livres dans lesquels ils accommodent à leur façon, l'histoire que doivent apprendre les élèves de leurs écoles libres, comprennent bien qu'il est dangereux pour leur cause, de soulever le voile qui couvre ce sujet délicat.
Ils ne craignent pas de donner leur approbation à la révocation, de l'édit de Nantes, lequel établissait une sorte d'égalité entre le protestantisme et le catholicisme, entre le mensonge et l'erreur ; mais à peine prononcent-ils le mot de dragonnades, et ils se bornent à émettre le regret que Louvois ait exécuté avec trop de rigueur le plan conçu par Louis XIV pour ramener son royaume à l'unité religieuse.
Mais les
Loriquet cléricaux qui écrivent pour le grand public
sont plus audacieux, ils nient hardiment la réalité des
faits, sachant bien que l'impudence des affirmations peut parfois en
imposer aux masses ignorantes.
Ainsi, dans son histoire de la révocation, M. Aubineau, un collaborateur e M. Veuillot, dit:
« Le mot dragonnades, éveille mille fantasmagories dans les esprits bourgeois et universitaires.
« Il est ridicule de croire à toutes les atrocités que les huguenots ont prêtés aux dragons et aux intendants de Louis XIV.»
»
Il s'agissait uniquement d'un logement de garnisaires, c'était
une vexation, une tyrannie, si l'on veut, il n'y avait dans cette
mesure en soi ni cruautés ni sévices. On exempta du
logement militaire les nouveaux convertis. Cette seule promesse
suffit à faire abjurer des villes entières — n'est-ce
pas cette exemption qu'on appelle dragonnades ?
»... On dit que les conversions n'étaient pas sincères et qu'elles étaient arrachées par la violence. En accueillant ces griefs, il faut reconnaître que la violence n'était pas grande... Foucault, l'intendant du Béarn, revient en 1684, au moyen d'action imaginé par Marillac en 1681, mais, en maintenant fermement la discipline, ne laissant prendre aucune licence aux troupes. Les succès qu'il obtint firent étendre ce procédé aux autres provinces..
»La bonne grâce avec laquelle les choses se passaient exalta le roi. »
M. de Marne, dans son histoire du gouvernement de Louis XIV, va encore plus loin.
« Il n'y eut pas de persécution, dit-il. Il n'y eut jamais de plus, impudent mensonge que celui des dragonnades. Quand on organisa les missions de l'intérieur, on eut lieu de craindre de la résistance, des soulèvements; alors les gouverneurs Prirent le parti d'envoyer des troupes pour protéger les missionnaires. La plupart du temps, les soldats demeuraient en observation, à distance du lieu de la mission: là, au contraire où les calvinistes fanatiques se montraient disposés à répondre par la violence, les officiers plaçaient dans leurs maisons quelques soldats pour répondre, non de leur soumission religieuse, mais de leur tranquillité civile... Les désordres furent la faute de quelques particuliers et punis sévèrement — tout excès fut réprimé promptement et avec là plus grande sévérité... Voilà ces épouvantables dragonnades! »
»... On dit que les conversions n'étaient pas sincères et qu'elles étaient arrachées par la violence. En accueillant ces griefs, il faut reconnaître que la violence n'était pas grande... Foucault, l'intendant du Béarn, revient en 1684, au moyen d'action imaginé par Marillac en 1681, mais, en maintenant fermement la discipline, ne laissant prendre aucune licence aux troupes. Les succès qu'il obtint firent étendre ce procédé aux autres provinces..
»La bonne grâce avec laquelle les choses se passaient exalta le roi. »
M. de Marne, dans son histoire du gouvernement de Louis XIV, va encore plus loin.
« Il n'y eut pas de persécution, dit-il. Il n'y eut jamais de plus, impudent mensonge que celui des dragonnades. Quand on organisa les missions de l'intérieur, on eut lieu de craindre de la résistance, des soulèvements; alors les gouverneurs Prirent le parti d'envoyer des troupes pour protéger les missionnaires. La plupart du temps, les soldats demeuraient en observation, à distance du lieu de la mission: là, au contraire où les calvinistes fanatiques se montraient disposés à répondre par la violence, les officiers plaçaient dans leurs maisons quelques soldats pour répondre, non de leur soumission religieuse, mais de leur tranquillité civile... Les désordres furent la faute de quelques particuliers et punis sévèrement — tout excès fut réprimé promptement et avec là plus grande sévérité... Voilà ces épouvantables dragonnades! »
L'argument
d'une prétendue résistance violente des huguenots que
l'on torturait est bien le plus impudent mensonge qu'on puisse faire.
Le très fidèle historien Elie Benoît n'a trouvé à citer que l'exemple d'un seul huguenot, ayant résisté aux dragons qui tourmentaient sa femme.
Les huguenots, au contraire, poussaient si loin la doctrine de l'obéissance absolue au roi, qu'ils se laissaient impunément dépouiller et maltraiter par les soldats, conformément à cette décision de Calvin.
Pour ce que j'ai entendu que plusieurs de nous se délibèrent, si on vient les outrager, de résister plutôt à telle violence que de se laisser brigander, je vous prie, mes très chers frères, de vous déporter de tels conseils, lesquels ne seront jamais bénis de Dieu pour venir à bonne issue, puisqu'il ne les approuve pas.
Quant à nier la réalité de la terrible persécution qui a reçu le nom de dragonnades. Alors que chaque jour les archives de la France et des autres pays de l'Europe, livrent des preuves nouvelles et multipliées des odieuses violences subies par les huguenots, on ne peut s'expliquer la hardiesse d'un si effronté démenti donné à l'histoire, que par un aveugle parti pris de sectaires.
On comprend mieux que les coupables, Louis XIV et le clergé son collaborateur, aient tenté, même au prix des mensonges les plus impudents, de donner le change à l'opinion publique sur les moyens employés par eux pour convertir les huguenots; tout mauvais cas est niable.
Au moment où, par suite des dragonnades, les réfugiés fuyant la persécution affluaient en Angleterre aussi bien qu'en Suisse et en Allemagne; ont voit Louis XIV adresser à son ambassadeur à Londres, ces instructions hardies : « Le sieur de Bonrepans doit faire entendre à tous en général, que le bruit qu'on a fait courir de prétendues persécutions que l'on fait en France aux religionnaires n'est pas véritable, Sa Majesté ne se servant que de la voie des exhortations qu'elle leur fait donner pour les ramener à l'Église. »
En même temps l'assemblée générale du clergé osait affirmer : « Que c'était sans violences et sans armes, que le roi avait réduit la religion réformée à être abandonnée de toutes les personnes raisonnables, que les hérétiques étaient rentrés dans le sein de l'Église par le chemin semé de fleurs que le roi leur avait ouvert. »
Bossuet, de son côté, s'adressant aux nouveaux convertis de son diocèse, leur disait : « Loin d'avoir souffert des tourments, vous n'en avez pas seulement entendu parler, j'entends dire la même chose aux autres évêques. »
Ces affirmations audacieusement mensongères soulevèrent partout des protestations indignées; en voici une publiée à La Haye en 1687: « Toute l'Europe sait les tourments que l'on a employés en France, et voici des évêques, qui demeurent dans le royaume, qui ne l’ont pas seulement entendu dire...
« Croyez ces messieurs, qui soutiennent qu'ils n'ont pas entendu parler d'aucun tourment, eux dont les maisons ruinées, les villes détruite, les provinces saccagées, les prisons et les couvents, les galères, les hommes estropiés, les femmes violées, les gibets et les corps morts traînés à la voirie, publient la cruauté et une cruauté de durée. »
Le ministre Claude proteste ainsi : « Si ce n'est pas un reste de pudeur et de conscience, c'en est un, au moins, de respect et de considération pour le public de ne pas oser produire devant lui ces violences dans leur véritable et naturelle forme, et de tâcher de les déguiser pour en diminuer l'horreur. Cependant quelque favorable tour qu'on puisse donner à cette conduite, il faut demeurer d'accord que c'est une hardiesse inconcevable, que de vouloir en imposer à toute la terre ; sur des faits aussi constants et d'un aussi grand éclat que le sont ceux-ci, et d'entreprendre de faire illusion à toute l'Europe, sur des événements qu'elle apprend, non par des gazettes ou des lettres, mais, ce qui est bien plus authentique, par un nombre presque infini de fugitifs et de rechapés, qui vont porter leurs larmes et leurs misères aux yeux des nations les plus éloignées. »
Frotté, un des collaborateurs de Bossuet, de l'Angleterre où il est réfugié, écrit à l'évêque de Maux, pour lui rappeler qu'on amenait des huguenots de force dans son palais épiscopal, qu'il les menaçait s'ils n'abjuraient pas, d'envoyer chez eux des gens de guerre qui leur tourneraient la cervelle. — Il lui cite tel marchand chez lequel il a fait loger dix dragons, tel gentilhomme à qui il en a mis trente sur les bras; les femmes, les enfants, les Vieillards jetés par lui dans les couvents; un moribond qu'il est venu menacer, s'il n'abjurait pas, de le faire jeter à la voirie après sa mort, etc.
Un nouveau converti du Vivarais s'écrie : On nous a traités partout comme des esclaves, cependant on a l'impudence de dire que les moyens dont on s'est servi ont été les voies de grâce, qu'on n'a employé que la charité. Voilà de quelle manière on parle d'une persécution inouïe, dont toute l'Europe a été témoin.
Dans la relation qu'elle écrit après avoir fui à l'étranger, Jeanne Faisses, une réchapper des dragons, donne cet échantillon des moyens employés par Louis XIV, pour ajouter au bonheur de ses sujets, celui d'une parfaite et entière réunion, en les ramenant au giron de l'Église (Lettre de Louis XIV à son ambassadeur d'Espagne), dans lequel ils rentraient par un chemin semé de fleurs (déclaration de l’assemblée générale du clergé)... sanglantes :
« Toute l'Europe, dit-elle, a été témoin des désolations que le malheureux effet de la fureur du clergé a causée en général au royaume, et en particulier aux pauvres fidèles de la Religion, contre lesquels l'enfer a vomi tout ce qu'il peut avoir d'affreux et d'épouvantable, et, sans outrer les choses, ce petit échantillon peut faire voir jusqu'où est allée sa cruauté, car, que peut-on imaginer de pis que de semblables horreurs?
« Employer plus de cent mille soldats pour missionnaires, profès à tourmenter tout le monde, entrer dans les villes et dans les bourgs les armes à la main et crier : Tue ! Tue ! Ou à la messe ! manger, dévorer et détruire toute la substance d'un peuple innocent, boire le vin à se gorger, et répandre le reste, donner la viande aux chiens et aux chats, la fouler aux pieds et la jeter à la rue, donner le pain et le blé aux pourceaux et aux chevaux, vendre les meubles des maisons, tuer et vendre les bestiaux, brûler les choses combustibles, rompre les meubles, portes et fenêtres, descendre et abîmer les toits, rompre, démolir et brûler les maisons, battre et assommer les gens, le enfler avec des soufflets jusqu'à les faire crever, leur faire avaler de l'eau sans mesure avec un entonnoir, les faire étouffer à la fumée, les faire geler dans l'eau de puits, leur arracher les cheveux de la tête et les poils de la barbe avec des pincettes, leur arracher les ongles avec des tenailles, larder leurs corps avec des épingles, les pendre par les cheveux, par les aisselles, par les pieds et par le col, les attacher au pied d'un arbre et puis les y tuer, les faire rôtir au feu comme la viande à la broche, leur jeter de la graisse flamboyante sur le corps tout nu, faire dégoutter des chandelles ardentes sur leurs yeux, les jeter dans le feu, les empêcher nuit et jour de dormir, battre des chaudrons sur leur tête jusqu'à leur faire perdre le sens, les déchasser de leurs maisons à coups de bâton; les rattraper, les traîner dans les prisons, dans les cachots, dans la boue, dans la fiente, les y faire mourir de faim, après s'être dévoré les doigts de la main ; les traîner à l'Amérique, aux galères, aux gibets, aux échafauds, aux roues et aux flammes, violer filles et femmes aux yeux des frères et . des maris attachés et garrottés, déterrer les corps morts, les traîner par les rues, leur fendre le ventre, leur arracher les entrailles, les jeter dans les eaux, aux voiries, les exposer aux chemins publics, les faire dévorer aux bêtes sauvages..., tout cela et mille autres choses de même nature sont des témoignages du zèle inconsidéré de ceux qui persécutent les enfants de Dieu, sous prétexte de leur rendre service. »
Avec les terribles moyens qu'employaient les missionnaires bottés pour venir à bout de la constance de leurs hôtes, nul ne se sentait assez sûr de lui-même pour affronter les terribles dragons, chacun se disait qu'il en viendrait peut-être à faire comme le président du Parlement d'Orange, lequel, disait cyniquement Tessé, «aspirait à l'honneur du martyre et fût devenu mahométan, ainsi que le reste du Parlement, si je l'eusse souhaité ».
La terreur des dragonnades, grandissant de jour en jour, on voyait des villes entières se convertir à l'arrivée des troupes.
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